Je discutais un soir dans les vestiaires de mon dojo, avec un jeune (tout jeune arrivé de son outremer natal pour faire ses études en métropole… Il a pas dû être déçu!). Celui-ci me disait que dans sa scolarité, les programmes scolaires de lecture ne lui avaient pas du tout fait aimer la lecture. Renseignement pris, il y a véritablement un problème avec la lecture et la littérature dans le secondaire. Bien qu’il existe des structures aussi anciennes que la République (les bibliothèques municipales pour la lecture publique, par exemple), il existe encore des personnes qui ont peur d’ouvrir un livre, ou tout simplement, qui n’en ont pas le réflexe, n’ayant pas vu leurs parents le faire. En même temps, la manière dont on demande aux enseignants d’enseigner la littérature au travers d’articles de journaux ou d’ouvrages calibrés pour des élèves de collège. Bon, il y a aussi le stand-up ! Bon, je ne remets pas en cause l’intérêt de cette discipline (même si ceux qui la pratiquent dans mon bureau ont tendance à me soûler), mais résumer l’expression orale à un numéro comique semi-improvisé, n’est-ce pas un peu réducteur, en dépit du flow ? Quid des grands monologues du Cid ? Ou de la splendide Contrebasse de Patrick Süskind ? Bon, je suis un boomer avec mes références germanopratines...
Au fond, ces programmes imposés par des technocrates qui le font « pour notre bien », n’ont pour effet qu’un appauvrissement de la langue et de la pensée. Plus grand monde ne connaît le Cid, Musset ou Michel Audiard. Que connaît-on à la place ? Ben… Pas grand-chose (ou des comédiens de stand-up).
De la même manière, il y avait eu une polémique il y a quelques années sur la traduction des aventures du Club des Cinq. Les traductions contemporaines sont en effet beaucoup plus pauvres en vocabulaire que les traductions d’il y a quelques décennies. Pour simplifier la tâche des enfants, ou des parents trop fatigués (ou ignorants) pour leur expliquer le sens d’un mot ?
L’Ignorance remercie donc les pédagogues, qui imposent la lecture globale, interdisent la grammaire, estiment que la division ne peut être comprise avant 12 ans et refusent l’accès au savoir aux jeunes générations. Le Fanatisme, nourri des fadaises qui remplacent le savoir dans le grand vide creusé par des années de programmes à la noix aussi. L’Ambition, qui déclenche des effets Dunning-Krueger aux conséquences dévastatrices (il n’y a qu’à voir nos gouvernants actuels) également.
En fait, j’en viens à me demander s’il n’y a pas une volonté politique des caciques de la pédagogie (les mêmes que ceux qui parlent de « référentiel bondissant » pour un ballon ou de « milieu aquatique fermé » pour un bassin) de laisser les élèves dans une forme de médiocrité. Le peu de littérature offert aux enfants ne les incite pas à rêver, mais plutôt à se résigner. Certes, des enseignants résistent à cette immonde broyeuse d’âmes qu’est devenue l’Education Nationale et tentent au risque de sanctions administratives, d’enseigner à leurs élèves qu’il faut rêver. Nous avons besoin d’Edmond Dantès, d’Eugène Rastignac, de Jean Valjean, Marius Pontmercy, des Thénardier, de Harry Potter, de Corto Maltese, de Tintin, de d’Artagnan, d’Elric de Melniboné, de Salambo et de tant d’autres qui ont su se battre pour dépasser leur condition. Nous avons besoin de craindre Voldemort, Milady, Hermionei ou Vautrin, ou de mépriser Georges Duroy. Nous avons besoin d’admirer Roland, Olivier, Arthur, Lancelot, Perceval, Robin des Bois ou Don Rodrigue. Nous avons besoin de nous balader dans le Paris des Merveilles ou les Terres du Milieu, de voyager avec Gulliver ou encore d’admirer de loin l’île d’Avalon. Nous avons besoin de lire autre chose que nous-mêmes pour mieux nous retrouver. Connaître les grands récits et les grands héros quelques soient leurs noms (Elric, d’Artagnan, Harry Potter, le Cid etc.) et leurs histoires, souvent les mêmes, nous aide à rêver, imaginer, créer, ou à défaut, nous dire qu’autre chose peut exister que ce monde toujours plus triste ou consommer devient notre seule liberté. Nous avons besoin de héros qui nous font voyager et qui nous montrent que d’autres mondes sont possibles. Nous avons besoin de héros qui nous montrent des ailleurs ! Bref, nous avons besoin de héros qui dépassent leurs conditions, qui nous inspirent et nous encouragent à bouleverser l’ordre établi ou nous battre pour ce qui compte à nos yeux. En somme, tout ce que le pouvoir, les intégrismes ou les tyrannies n’aiment pas.
Dans ma Loge, il y a une petite tradition. Chaque apprenti, au bout de quelques mois, fait son premier travail de la manière suivante : il offre un livre qui lui correspond particulièrement, et explique devant l’Atelier pourquoi il offre cet ouvrage et pas un autre. J’ai accompli cette tradition avec joie, ce qui m’a donné l’occasion de relire Les 3 mousquetaires et de me rendre compte que j’aurais toujours besoin de rêver, même si par les temps qui courent, il faut le courage de rêverii. Rêver pour m’élever, et rêver pour me révolter.
J’ai dit.
PS: je suppose que vous l’avez déjà fait, mais n’hésitez pas à lire la tribune “Ensemble, défendons notre liberté”, publiée le 23/9 dans différents journaux et à soutenir la liberté de la presse contre les réels Mauvais Compagnons, qui font des dégâts non moins réels.
iJe parle de l’héroïne tragique de Racine, pas de Hermione Granger.
iiTraduction du titre de mon billet, il s’agit d’une chanson issue de la comédie musicale allemande Linie 1