Il y a quelques semaines, avant de rentrer chez moi, j’ai eu une course à faire. Le temps de faire ma course, j’ai été très surpris de voir tout un boulevard occupé par les forces de l’ordre, équipés presque pour une bataille à la Warhammer : armures, casques, boucliers, etc. Un peu intrigué, j’ai passé mon chemin, et ce n’est qu’une fois à la maison que j’ai su ce qui s’était passé. Ce jour-là se tenait une manifestation en soutien à une victime des forces de l’ordre. Je ne me prononcerai pas sur le cafouillage des autorisations-autorisées-mais-en-fait-non-puis-oui-puis-merde. J’aime bien les énigmes complexes, mais j’avoue trouver plus simple de résoudre l’équation de Boltzmann avec un boulier que comprendre ce que nos dirigeants ont dans la tête… En tout cas, ces manifestations auront le mérite de nous faire nous poser des questions sur le maintien de l’ordre dans notre beau pays ainsi que sur la relation entre le citoyen et lesdites forces de l’ordre. Un maintien de l’ordre par KO, bien sûr. Rappelons-nous toutefois que notre police est diaboliquement efficace pour les actions de masse : les morts du métro Charonne sont là pour nous rappeler cette tradition sanglante. Elle est malheureusement connue pour d’autres dérives, comme l’affaire Malik Oussekine en 1986. L’Etat, selon Weber se caractérise par l’emploi légitime de la force et de la violence pour maintenir l’ordre. Mais derrière le terme de légitime se cache aussi l’idée de proportionnalité. Au vu des polémiques récentes ou des alertes lancées par des ONG telles qu’Amnesty International, il semblerait que la notion de proportionnalité de la réponse de l’Etat ait été quelque peu négligée.
Mais au-delà des considérations sur le maintien de l’ordre (reste à savoir lequel) se pose aussi, à en juger par les mots d’ordre des manifestants, la question du racisme. On se pose encore en 2020 cette question. Décidément, la fraternité, l’altérité, la place de l’autre, c’est encore abstrait pour quelques-unsi. A ce propos, les Préfectures sont régulièrement épinglées pour leur excès de zèle à délivrer des titres de séjour, au point d’en faire l’objet de travaux universitairesii.
D’un autre côté, voici une toute autre histoire. J’ai une amie, que nous appellerons B. B est titulaire d’un diplôme d’ingénieur d’une de nos grandes écoles, docteur ès sciences, fondatrice d’une start-up et très engagée dans la cause féministe. B est l’exemple de la jeune femme qui a réussi et devrait disposer d’un statut social envié. Sauf que… B est métis. A ce titre, elle est régulièrement sujette aux contrôles au faciès, aux allusions condescendantes ou au toucher capillaire (ce qui l’agace au plus haut point). Bref, ces petits actes de racisme mesquin du quotidien. Son engagement l’a poussée à rejoindre ces groupes de paroles « non mixtes », à savoir des conférences et débat réservées aux femmes, mais « racisées ». Ce mot, qui n’est pas dans le dictionnaire, doit désigner la population non occidentale. Pour ma part, j’estime que ce mot est une abomination, car il remet en cause le principe selon lequel il n’y a pas de races dans l’humanité, mais une seule humanité. J’ai mal à mon universalisme, là. Il est aussi important de noter qu’un certain nombre de personnes, incluant la journaliste et femme de lettres Tania de Montaigne, estime que ce terme est une forme d’insulte (voir ici son interview sur Radio Delta)…
Dans le cas de B, elle s’est déjà fait mal voir, voire refouler de ces rassemblements antiracistes au motif qu’elle était métis… Décidément, on est toujours l’Autre de quelqu’un.
En tant que Franc-maçon, le racisme est pour moi sans aucun sens, et relèverait plutôt d’une série de préjugés, inculqués depuis l’enfance. Quelques exemples de préjugés : on a la peau noire ? On est forcément issu d’un pays africain, pauvre, en guerre, et donc inculte et pauvre, mais aussi une bête de sexe. On a une tête de maghrébin ? On est un délinquant en puissance. Un peu comme les italiens après la Guerre, soit dit en passant. On porte un survêtement et on est « raciséiii »? Délinquant, voyons ! Donc il faut agir avec cette idée, d’où les contrôles aux faciès, etc. Et ainsi de suite. La liste est très longue et je ne vais pas la faire.
D’un autre côté, il y aurait une surreprésentation de la population descendante d’immigrés. Le problème est qu’il s’agit d’une population pauvre. Donc exposée au risque de délinquance associée à la pauvreté. Exactement le même phénomène qu’avec les italiens.
Contrairement à la société américaine, la société française n’est pas raciste. J’en veux pour preuve les petits métis que je croise le matin en passant devant l’école à côté de mon bureau. Il n’y a pas de lois raciales ou ségrégationnistes en France, ni de statistiques ethniques (d’ailleurs interdites, car dans le cas contraire, elles corroboreraient l’absurde idée de races dans l’humanité …).
Par contre, les individus qui composent notre société peuvent l’être, racistes. Reste à savoir s’il s’agit de racisme ou de préjugés. A ce propos, je vous invite à revoir l’excellent La Crise de Coline Serreau. Assez édifiant, avec cette citation : « Les arabes, c’est tous des cons, sauf Djamilah, (…) et tous nos copains arabes ».
Le problème est que ce racisme peut mener à l’abus de pouvoir et causer du mal à autrui, notamment par les mesures policières. Je ne parle même pas du phénomène identitaire et des groupuscules ultra-violents… Tout cela doit être combattu, au nom de l’universalisme et de l’éthique. La culture, le partage de références communes, ou de symboles peut justement y aider.
L’avantage du travail symbolique, c’est l’apprentissage du discernement, qui nous permet de briser les biais et préjugés que nous connaissons. La Franc-maçonnerie nous apprend à ne surtout pas juger, et reconnaître chaque homme comme un Frèreiv. Pour paraphraser cette grande dame et Sœur qu’était Louise Michel, il n’y pas le blanc, le noir, le jaune, « il n’y a pas l’Homme et la Femme, il y a l’Humanité ».
J’ai dit.
i Vous apprécierez mon sens de la litote.
ii https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2016-1-page-91.htm#
iii Je n’aime pas ce mot !!!!!
iv Au risque de mécontenter les partisans de l’inclusion à tout va, homme et Frère sont à prendre ici au genre neutre, donc universel.