N.D.L.R. :L’Université maçonnique a organisé, ce samedi 22 mai 2025 de 10 h à 12 h, en distanciel, via un webinaire Zoom, sa conférence mensuelle, ouverte sur inscription libre aux membres de toutes obédiences et de tous grades, sur le thème de la violence. Cette matinée proposée en ligne a remporté un grand succès d’audience, tant la question débattue semble occuper l’esprit de nos contemporains.
Avant de susciter de très larges échanges, le public a successivement entendu Hervé Coantic, commandant divisionnaire de police (er), sur le sujet suivant : « De l’usage légal de la force à la violence légitime », et Jean-Robert Daumas, ès qualités de membre de la Grande Loge de France pratiquant le Rite Écossais Ancien et Accepté, sur : « La violence des rituels maçonniques ».
La première conférence analysant le recours à la force par les services de police et de gendarmerie du point de vue du droit et ce, sans aucun caractère narratif, présentait un strict intérêt descriptif, au demeurant, dépourvu de tout lien avec la franc-maçonnerie ; la seconde, prononcée par un intervenant qui se trouve être également président de l’Université maçonnique, en se focalisant sur la fonction de la violence dans le processus initiatique, développait une réflexion entièrement reliée à nos pratiques. C’est pourquoi nous avons demandé à l’auteur de cette dernière de bien vouloir nous en confier la publication. Nous l’en remercions.
Avec l’intervention de notre frère Hervé nous avons évoqué le thème de la violence dans les rapports de pouvoir profane. J’ai trouvé intéressant d’avoir le point de vue d’un pratiquant ou au moins d’un connaisseur de la notion de violence légitime et de son monopole accordé à la puissance publique. Pour être franc, et sans vous raconter ma vie, j’ai été aussi parfois un pratiquant de cette violence d’état comme tous ceux qui ont servi sous les drapeaux dans des opérations militaires extérieurs. J’ai été amené à m’interroger sur les limites de cette violence légitime et à partir de quel moment nous étions dans un abus de violence légitime.
Et à quel moment, le libre arbitre que nous autres maçons revendiquons comme un fondement de notre démarche, nous dicte de tempérer cette violence légitime dont les militaires ne sont pas les instigateurs, mais les exécutants des politiques qui nous dirigent. Exécutant fidèles, mais pas obligatoirement serviles.
Comme le dit une de nos sentences du REAA « j’ai appris à être obéissant et à rester fidèle… ». Chaque fois que j’entends cette sentence, je me rajoute intérieurement ce petit supplément « … en ce qu’on ne nous commandera rien de contraire à l’honneur ».
Mais la réflexion que je vais vous proposer concerne la violence contenue dans nos rituels maçonniques. J’en profite pour préciser que mon propos s’appuiera sur ma pratique du REAA tel qu’il est pratiqué dans mon obédience la GLDF.
Il peut sembler paradoxal que la Franc-maçonnerie dont les finalités d’actions sur soi et sur le monde sont empreintes de bienveillance, de tolérance et d’amour, ait recours à de la violence symbolique. Pourquoi trouve-t-on tant de violence dans nos rituels ?
En prenant deux exemples différents, je vais essayer de décrire cette violence et de justifier le sens qu’il faut lui donner.
D’abord l’entrée en maçonnerie du profane où ce malheureux impétrant est soumis à de nombreux sévices. Car ce passage de l’état de profane à celui d’initié est tout sauf un long fleuve tranquille !

Il est d’abord soumis à des enquêtes. Même s’il constate que ses enquêteurs ne sont pas des émules de Torquemada, il est amené à se dévoiler et à répondre à des questions que l’on vous pose rarement autour de la machine à café de son entreprise.
Il a beau ne pas se sentir suspect de la moindre turpitude, il est amené à se dévoiler et exposer une part de son intimité, ce qui peut être ressenti comme une intrusion dérangeante.
Puis le passage sous le bandeau ! On aura beau lui dire qu’il est devant une assemblée fraternelle, que nous sommes simplement là pour mieux le connaitre, cette étape est souvent perçue comme une épreuve.
Puis l’attente dans le Cabinet de réflexion qui ressemble plus à un cachot ou un tombeau qu’a une salle d’attente profane. Tout y est inquiétant : les objets, les symboles, et jusqu’à la rédaction de son testament philosophique. Heureusement il y a le mot « philosophique » qui lui signifiera qu’il ne s’agit pas de sa mort physique qui est envisagée mais qu’il s’agit quand même d’une certaine forme de mort !

Mais la suite de la cérémonie d’initiation ne sera pas vraiment paisible. Dès le début il sera malmené. Il devra déambuler sur les objets étranges, soumis à des bruits bizarres, accablé de sentences dont certaines peuvent être inquiétantes… comme le fait d’avoir « la langue arrachée ou la gorge coupée ».
On peut se demander pourquoi tant de violence rituélique. Il faut pour cela revenir à la définition de ce qu’est un processus d’initiation dans toute tradition profane ou sacrée.
Trois étapes distinctes : le préliminaire, le liminaire et le post liminaire.
Le préliminaire consiste à sortir l’impétrant de son environnement habituel pour le placer dans une situation inhabituelle.
Ce sera le cachot noir et sinistre pour le jeune écuyer qui va subir l’initiation chevaleresque.
Ce sera une nuit dans une jungle hostile avec serpents et animaux sauvages pour les initiations tribales africaines.
Ensuite vient le liminaire où l’impétrant sera confronté à des épreuves physiques ou symboliques.
A titre d’exemple, le jeune écuyer devra démonter ses capacités de combattant avec les épreuves suivantes :
• La quintaine : Il doit frapper une cible pivotante (souvent un mannequin armé) tout en restant en selle.
• Combat à l’épée ou à la lance (en bois) : Duels supervisés pour tester sa technique, sa discipline et sa maîtrise de soi.
• Tournois d’entraînement : Parfois organisés pour les jeunes nobles, ces tournois simulent des joutes ou mêlées avec des armes émoussées.
Enfin le post-liminaire : l’impétrant ayant triomphé des épreuves symboliques ou physiques il aura droit à intégrer le groupe et son arrivée sera fêtée.
Pour l’initiation tribale ce sera le passage à l’état d’adulte.
Pour l’initiation chevaleresque ce sera le passage au grade de Chevalier
Pour l’initiation maçonnique ce sera le passage du profane à l’initié.
Dans toutes ces épreuves, la violence a un rôle performatif. Elle est le passage nécessaire et le chemin qui conduira à la naissance ou à la renaissance de l’impétrant dans une vie nouvelle, profane ou sacrée.

Je vais maintenant évoquer un autre moment de violence symbolique en maçonnerie.
Je sais qu’il y a certains de nos auditeurs qui ne sont qu’Apprentis ou Compagnons mais nous allons parler du meurtre d’Hiram. Je ne dévoilerai aucun secret que l’on ne trouve dans toutes les bonnes librairies ésotériques ou à la FNAC.
Le secret véritable se situe dans l’esprit et dans le cœur de celui ou celle qui subit l’élévation au grade de Maître maçon.
Et ce secret est par définition inviolable car il n’appartient qu’au nouveau Maître.
Rappelons les faits…

Au REAA (comme dans la plupart des rites maçonniques), la légende d’Hiram Abiff occupe une place centrale. D’après les rituels, Hiram (fils d’une veuve de Nephtali) était l’architecte en chef du Temple de Salomon. Trois compagnons ambi¬tieux décident de le tuer pour connaître les secrets qu’il garde. Dans la cérémonie du 3ᵉ degré, on reconstitue précisément cet assassinat : l’un frappe Hiram au niveau de l’épaule avec une règle (carré), le second au cou avec un levier, et le troisième lui porte un coup fatal au front avec un maillet. Les assassins cachent ensuite son corps et ne réapparaissent que plus tard pour être jugés et châtiés dans des degrés au-delà du 3ème degré.
A priori la légende d’Hiram, notre mythe fondateur, n’est apparemment qu’un « petit roman profane », une banale intrigue policière. On connait les assassins, le motif de leur crime, les circonstances précises du meurtre.

Un détail intrigue cependant les enquêteurs : le comportement étrange de la victime qui a certes cherché à fuir, qui a même discuté avec ses agresseurs et tenté de les convaincre de renoncer, mais qui n’a jamais appelé au secours.
Le profane se perd alors en conjectures humaines, trop humaines. Le psychologue de service n’a strictement rien à dire sur les motivations d’Hiram.
Seul l’Initié qui a vécu dans sa chair et dans son esprit le rituel initiatique peut espérer en parler avec pertinence. Et encore ne le peut-il qu’en utilisant des mots substitués.
Comme dans la tragédie antique c’est bien le destin qui donne tout son sens au psychodrame. C’est son destin que le postulant accepte en toute conscience. Il ne le subit pas comme une fatalité mais l’assume comme un choix glorieux.
Dans le rituel, le postulant doit avoir conscience qu’il réunit en lui tous les protagonistes de la tragédie : les assassins comme la victime.
En lui sont les mauvais compagnons qui ne veulent pas payer le prix de l’élévation spirituelle, le prix de la Lumière.

En lui sont ces tricheurs qui, comme le dit le rituel, ”tentent d’obtenir par la violence les prérogatives qui ne doivent être accordées qu’au travail et au mérite”.
Oui, ils veulent brûler les étapes mais aussi et c’est toute l’ambigüité de la situation, parce qu’ils sont avides de Lumière.
Mais en lui aussi est Hiram, la conscience supérieure, la victime glorieuse.
Le nœud de la tragédie est toujours le moment dramatique où se condense toutes les contradictions apparentes du monde profane, celui du choix.

C’est le moment où Socrate pourrait fuir comme le suggère ses amis.
C’est celui où Jésus pourrait dire à Pierre de tirer l’épée au jardin des Oliviers pour lui permettre de s’enfuir. J’ai toujours vu une analogie forte entre le Christ de la théologie chrétienne et Hiram.
C’est le moment ou le Postulant à la Maîtrise peut encore dire non à la mort symbolique qui l’attend et refuser son destin.
Appeler au secours ce serait alors dire non à la mort, mais ce serait dire non aussi à la résurrection ou à la renaissance. Ce serait arrêter le passage nécessairement tragique du Rituel.
Si nous avions appelé au secours nous étions perdus. En nous taisant, en faisant silence, nous nous sommes sauvés, pour aider les autres à se sauver.
L’analogie avec la passion du Christ se précise.

Certes on peut contester cette vision de la violence symbolique qui relie le Christ et Hiram.
Comment peut-on en effet mettre en balance une réalité historique ni contestée ni contestable avec une légende symbolique ?
Comment comparer et choisir raisonnablement entre un personnage né sous Tibère, mort sous Ponce Pilate et tenu par l’une des trois grandes religions du Livre pour le véritable Messie, le Fils de Dieu en trois personnes et un personnage de fiction qui sert de symbole à un Ordre initiatique ?
Comment choisir entre ce qui est apparemment incomparable ?
D’un côté la résurrection de la chair, le retour d’entre les morts, le défi à toutes les lois naturelles.
De l’autre une renaissance spirituelle de l’homme bien vivant qui triomphe d’une mort profane symbolique.
D’un côté un fait historique qui est le fondement de la foi chrétienne. « Si le Christ n’est pas ressuscité notre foi est vaine » dit Saint Paul.
De l’autre une simple parole d’espérance. « Rien ne meurt, tout est vivant » dit notre rituel funèbre.

Simplement parce qu’avec nos outils symboliques nous avons mesuré les différences et surtout les analogies. Dans l’ésotérisme chrétien, La résurrection du Christ est bien un mystère de la foi pour le Chrétien, mais sa finalité est la renaissance spirituelle de l’Homme nouveau, comparable à celle du Maître initié.
Le Christ de l’ésotérisme chrétien et l’Hiram de la F.°.M.°. nous invitons alors à célébrer la même Pâques, celle de la renaissance à la vraie Vie, fruit naturel de notre quête qui laisse grande ouverte, pour qui le voudra, l’espérance de la résurrection ou de la renaissance.
La dramaturgie maçonnique suggère ainsi que l’accession à la maîtrise passe par un acte fondateur de destruction symbolique de l’ancien état (mort du maître) et par l’affirmation d’une nouvelle alliance entre frères (renaissance dans l’espérance).
Et c’est tout le sens de cette violence rituélique de la mort d’Hiram.
Cette violence symbolique au REAA n’est pas une fin en soi, mais un outil initiatique structurant : elle révèle au candidat ses propres conflits intérieurs (ego contre collectif, conscience contre instinct), tout en l’éduquant à transcender l’agressivité humaine. Dans la théâtralité de la loge, cet affrontement simulé sert de catharsis intelligente, un véritable « barrage à la violence » réelle. Le rite fait du sacré par la mort et du tragique sa matière première, cherchant ainsi à transformer la « barbarie » en un ordre moral et spirituel nouveau.

Ces scènes de violence rituelle ont pour but non pas de glorifier l’agression, mais de permettre au postulant de prendre conscience de l’« animalité » de l’homme et de la transcender. En d’autres termes, la mise en scène dramatique agit comme un « garde-fou » : exposer l’initié à la violence dans un cadre symbolique lui permet de « mettre des mots sur l’instinct, l’identifier et le maîtriser », plutôt que de le refouler ou de l’ignorer. La succession d’ombre et de lumière, de mort simulée et de renaissance, offre au candidat une expérience intime de transformation psychologique.
Cette « métamorphose » est au cœur du REAA et de nombreux autres rites. En s’identifiant à Hiram le bâtisseur-martyr, le franc-maçon symbolise son propre passage de l’ignorance à la connaissance : il renonce à l’ancien moi pour renaître psychologiquement. Le mythe d’Hiram dessine ainsi un pont (une « archè ») entre le profane et le sacré. À travers cette épreuve, le nouvel initié doit retenir que sa « tâche » est de combattre sans relâche les trois fléaux du rite – l’ignorance, le fanatisme, l’ambition démesurée – et de veiller à ce que la fraternité survive à toute « tentation de pouvoir ».
En somme, la violence symbolique sert à briser l’ego pour reconstruire un individu éclairé, altruiste et fidèle à la loi maçonnique.

Comme le proclame la devise du REAA « Ordo Ab Chaos ».
Un ordre nouveau fait d’empathie, de bienfaisance et de tolérance naîtra de ce chaos de violence, de cette violence fondatrice qui nous obligera à une introspection profonde sur ce que nous sommes et ce que nous devrions être.
Mes TCS et TCF, J’ai dit
Jean-Robert DAUMAS
24 mai 2025
Jesus-Christ : un fait historique ? Je ne suis pas sûr que les manuels d’histoire relatent l’histoire du Christ. Qu’en est-il en vérité ? Pouvez-vous m’éclairer ? Merci.
Je détecte une autre violence dans le rituel, tout aussi symbolique mais réelle : le silence imposé à l’apprenti. N’est-ce pas une forme de violence que d’imposer le silence ? Même si là encore, bien sûr, cette réduction au silence a valeur d’instruction.
Le silence imposé à l’apprenti le rend libre. Il ne prend pas la parole et ne peut ainsi craindre aucune appréciation d’aucun membre présent de la Loge, à la suite de propos qu’il aurait été autorisé à exprimer. Il n’en est que plus à même d’observer le déroulement des tenues, d’assimiler les temps forts du rite et les références aux symboles.
Il apprend à lâcher prise, à mûrir sa présence muette. Plus tard, il saura mieux évaluer l’intérêt d’une posture intérieure d’ouverture qui permet au mouvement de la nature de s’accomplir, à la voie de la sagesse de trouver son temps.
C’est le début d’un entraînement où il prend progressivement conscience du caractère nuisible ou au mieux inutile des réactions précipitées. Il découvre peu à peu la pertinence du non agir, non point seulement comme capacité de choisir le bon moment pour intervenir mais comme faculté de laisser émerger un inattendu profitable.
Au fond, le silence de l’apprenti le prépare à être opportun dans ses paroles et dans ses actes, grâce à une pensée plus compréhensive et en toute fidélité à son idéal. Il s’agit donc d’une règle bienveillante.
Très belle planche qui met en lumière le passage du profane à l’initié.
La violence dans les rituels maçonniques n’ont en réalité qu’un rôle performatif, car le chemin qui conduit à la naissance ou à la renaissance de l’impétrant dans une vie nouvelle : du profane au sacré, est jonché et parsemé d’embûches, d’obstacles qu’il devra transcender en faisant montre de courage, de lucidité, de paix intérieure.
En conclusion, cette violence est nécessaire car une résurrection précède une mort sacrificielle fut-elle symbolique.
Mes respects à toute la communauté des Francs-maçons à travers le monde.
Et mes salutations distinguées et fraternelles à toute la classe dirigeante de La Grande Loge de Côte d’Ivoire.
Salut La LUMIÈRE…
N’oublions pas la réflexion sur le fait que les rôles sont alternatifs au cours de la cérémonie d’élévation ! Le Vénérable et les Surveillants, qui relèveront Hiram, sont aussi les mauvais compagnons; le compagnon devenant le Maître vivant à nouveau …