Le monde, plus paisible qu’on ne le pense : une plongée dans les chiffres qui démontent le mythe de la violence galopante.
Dans un monde saturé d’images choc et de titres alarmistes, il est facile de croire que la société sombre dans un chaos sans fin. Les journaux télévisés regorgent de faits divers (+73 % en dix ans selon l’Institut national de l’audiovisuel), les réseaux sociaux amplifient les récits de violence, et les discours politiques brandissent le spectre d’un monde en perdition. Pourtant, les chiffres racontent une histoire bien différente : jamais dans l’histoire de l’humanité nous n’avons été aussi en sécurité. Loin du sensationnalisme médiatique, les indicateurs convergent pour montrer une société qui se pacifie progressivement.
Embarquons pour un voyage statistique, armés des analyses de Jean-François Dortier sur France Culture, des perspectives historiques de Slate.fr, et des données médiatiques d’Ouest-France, pour démontrer que le monde va bel et bien vers plus de paix et de sécurité.
La guerre : un déclin historique indéniable

Commençons par le plus grand spectre de la violence : la guerre. Jean-François Dortier, sociologue interrogé par France Culture, le souligne avec clarté : “À l’échelle de l’histoire, la guerre connaît un déclin évident.” Si les conflits armés, comme ceux au Yémen ou au Mali, persistent, ils sont bien moins meurtriers qu’autrefois. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les guerres étaient la norme, tuant des millions de personnes par décennie. Depuis 1945, le nombre de morts par conflit armé a chuté de manière spectaculaire. Selon l’Uppsala Conflict Data Program, le nombre de décès liés aux guerres a diminué de plus de 90 % entre les années 1950 et les années 2010. Même en tenant compte des soubresauts récents (Syrie, Ukraine), les guerres modernes tuent proportionnellement beaucoup moins qu’à l’époque des grands conflits mondiaux ou coloniaux.

Slate.fr, dans son article “Le monde est-il plus en chaos ou plus en paix ?”, appuie cette tendance en citant le travail de Steven Pinker, auteur de The Better Angels of Our Nature. Pinker montre que la probabilité de mourir dans un conflit armé est à son plus bas historique. En 2020, environ 0,5 % de la population mondiale était affectée par des conflits armés, contre plus de 10 % durant les guerres mondiales. Les institutions internationales (ONU, traités de paix) et la dissuasion nucléaire ont certes leurs limites, mais elles ont contribué à réduire les guerres interétatiques. Même les conflits internes, bien que médiatisés, sont moins fréquents et moins létaux qu’il y a un siècle.
La criminalité : une baisse structurelle malgré les gros titres
Passons à la violence quotidienne, celle des faits divers qui envahissent les JT.
Ouest-France rapporte une augmentation de 73 % des sujets consacrés aux faits divers dans les journaux télévisés entre 2003 et 2013
créant une impression de société hors contrôle. Mais cette surmédiatisation est trompeuse. Les statistiques criminelles racontent une autre histoire. En France, selon le ministère de l’Intérieur, les homicides volontaires ont diminué de 30 % entre 1990 et 2020, passant de 1 200 à environ 850 par an pour une population en croissance. Les vols avec violence ont également chuté, grâce à l’amélioration des technologies de sécurité (alarmes, caméras) et des politiques de prévention.

À l’échelle mondiale, le tableau est similaire. Le Global Peace Index (2023) montre que 84 % des pays ont vu leur niveau de criminalité violente diminuer ou stagner depuis les années 2000. Dortier explique sur France Culture que “les sociétés modernes, grâce à l’État de droit et à l’amélioration des conditions de vie, sont beaucoup moins violentes qu’autrefois.” Au Moyen Âge, le taux d’homicide en Europe était de 50 pour 100 000 habitants ; aujourd’hui, il oscille autour de 1 pour 100 000 dans la plupart des pays développés. Même les pays en développement, malgré des défis persistants, enregistrent des baisses grâce à l’urbanisation et à l’éducation.
La violence domestique : une sensibilité accrue, pas une augmentation
La violence domestique, souvent mise en avant dans les médias, semble exploser. Dortier nuance : “On n’a jamais autant parlé de la violence domestique, mais ce n’est pas forcément le signe d’une augmentation.” Les statistiques sont complexes, car la sensibilisation accrue (mouvements comme #MeToo) a conduit à plus de signalements, rendant les comparaisons historiques délicates. Cependant, des études longitudinales, comme celles de l’OMS, montrent que les violences conjugales et infantiles diminuent dans les pays où l’égalité des genres et les protections légales progressent. En France, les condamnations pour violences conjugales ont augmenté, mais c’est largement dû à une tolérance moindre : ce qui était “normal” il y a 50 ans est aujourd’hui un délit.

Slate.fr ajoute une perspective historique : dans les sociétés prémodernes, la violence domestique était institutionnalisée (droit de correction des maris, châtiments corporels sur les enfants). Aujourd’hui, ces pratiques sont non seulement illégales mais socialement inacceptables dans la plupart des cultures. Les campagnes de sensibilisation et les refuges pour victimes ont réduit l’incidence des cas graves, même si le chemin reste long.
La violence verbale et les incivilités : un fléau difficile à quantifier
La violence verbale, notamment sur les réseaux sociaux, et les incivilités sont souvent perçues comme une nouvelle forme de chaos. Dortier admet qu’il est “très difficile de mesurer” ce phénomène. Les données sur le harcèlement scolaire, par exemple, ne permettent pas de conclure à une augmentation par rapport à il y a 50 ans. Ce qui a changé, c’est notre sensibilité : des comportements autrefois banalisés (insultes, brimades) sont désormais scrutés et condamnés. Les médias amplifient cette perception, comme le note Ouest-France avec l’explosion des faits divers à la télévision. Pourtant, cette focalisation reflète plus une demande de sensationnalisme qu’une réalité statistique. Les enquêtes de victimation, comme celles de l’INSEE, montrent que les incivilités graves (agressions verbales menaçantes) restent marginales et n’ont pas augmenté de manière significative.
Pourquoi cette illusion de chaos ?

Si le monde est plus sûr, pourquoi cette obsession pour la violence ? Dortier l’explique : “Les médias adorent les crimes, les catastrophes, parce que le public adore ça.” Les séries policières, les jeux vidéo violents et les chaînes d’info en continu prospèrent sur cet imaginaire. Ouest-France confirme que les faits divers occupent une place démesurée dans les JT, avec plus de cinq sujets par jour en moyenne. Slate.fr ajoute que les politiques instrumentalisent ce sentiment d’insécurité pour mobiliser leur base, transformant chaque incident en preuve d’un prétendu chaos. Cette distorsion cognitive, appelée “biais de disponibilité”, nous pousse à surestimer les risques en raison de leur surexposition médiatique.
Un monde plus sûr, mais une histoire moins vendeuse
Les données sont formelles : le monde n’a jamais été aussi pacifique. Les guerres tuent moins, les crimes violents diminuent, la violence domestique recule dans les sociétés modernes, et même les incivilités ne sont pas objectivement en hausse.
Comme le résume Dortier, “nous sommes baignés dans un imaginaire de la violence, en paradoxe complet avec notre situation de gens ordinaires, pour la plupart pacifiques.”
Slate.fr insiste : “Les progrès de l’État de droit, de l’éducation et de la coopération internationale ont construit un monde plus stable.” Oui, des défis persistent – conflits locaux, inégalités, cyberharcèlement – mais ils ne doivent pas occulter une vérité statistique : nous vivons dans l’époque la plus sûre de l’histoire.
Alors, la prochaine fois qu’un JT vous inonde de faits divers ou qu’un politique agite le spectre du chaos, prenez un moment pour regarder les chiffres. Ils ne font pas les gros titres, mais ils racontent une histoire bien plus optimiste : celle d’un monde qui, lentement mais sûrement, apprend à poser ses armes.
Sources :
- France Culture, “La société est-elle plus violente qu’avant ?”
- Slate.fr, “Le monde est-il plus en chaos ou plus en paix ?”
- Ouest-France, “Télévision. En 10 ans, les faits divers ont augmenté de 73 % dans les JT”
- Uppsala Conflict Data Program (2023)
- Global Peace Index (2023)
- Ministère de l’Intérieur, France (2020)
- OMS, rapports sur la violence domestique (2021)