lun 07 avril 2025 - 19:04

INFO ou INTOX ? : « Une bibliothèque au Tibet contenant 84 000 manuscrits de plus de 10 000 ans »

Une information circule depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux et certains sites internet. Elle concerne une prétendue découverte au monastère de Sakya (et non “Sakia”, une faute d’orthographe courante) au Tibet, où une bibliothèque contenant 84 000 manuscrits secrets aurait été trouvée derrière un mur de 60 mètres de long et 10 mètres de haut, ces manuscrits étant supposés relater plus de 10 000 ans d’histoire humaine. Cependant, cette affirmation comporte des inexactitudes importantes et mérite une analyse critique.

Ce qui est vrai

Le monastère de Sakya, situé dans la région autonome du Tibet, est un site historique majeur, fondé en 1073 par Khön Könchog Gyalpo, membre de l’école Sakyapa du bouddhisme tibétain. Il abrite effectivement une bibliothèque renommée, qui contient des milliers de textes anciens, principalement des écritures bouddhistes, mais aussi des ouvrages sur la littérature, l’histoire, la philosophie, l’astronomie, les mathématiques, l’agriculture et l’art. En 2003, une découverte a bien eu lieu : des moines ont trouvé une collection de manuscrits derrière un mur de 60 mètres de long et 10 mètres de haut, scellé depuis des siècles. Selon des rapports de l’époque, comme celui de l’agence de presse chinoise Xinhua (14 novembre 2003), cette collection comprend environ 84 000 rouleaux, qui auraient été préservés en raison du climat aride de la région. Ces manuscrits, écrits en tibétain, sanskrit, chinois et mongol, sont en cours d’examen par l’Académie tibétaine des sciences sociales, et un processus de numérisation a été entamé depuis 2011, avec plus de 20 % des textes numérisés à ce jour.

Ce qui est faux ou exagéré

L’affirmation selon laquelle ces manuscrits contiendraient “l’histoire de l’humanité de plus de 10 000 ans” est fausse et impossible. Les plus anciennes formes d’écriture connues, comme les cunéiformes sumériens, datent d’environ 3400-3100 av. J.-C., soit il y a environ 5 000 ans. Aucun système d’écriture n’existait il y a 10 000 ans, période correspondant au Néolithique, où les sociétés humaines étaient encore largement préhistoriques et ne produisaient pas de documents écrits. Les experts, tels que Joshua J. Mark de l’Ancient History Encyclopedia, ont confirmé qu’il est “complètement intenable” que des textes tibétains datent de 10 000 ans, car cela précéderait de loin les premières traces d’écriture. Les manuscrits de Sakya, bien que précieux, sont estimés dater de plusieurs centaines d’années, certains remontant peut-être au XIe siècle, époque de la fondation du monastère.

De plus, l’idée que ces manuscrits soient “secrets” est une exagération. Les rapports initiaux, comme celui de Xinhua, ne mentionnent pas de caractère secret. Ces textes étaient probablement scellés pour des raisons pratiques ou religieuses, une pratique courante dans les monastères bouddhistes pour protéger les écritures sacrées. Certains chercheurs, comme Aurel Stein à propos de la bibliothèque de Dunhuang (découverte en 1900), ont suggéré que de telles caches pouvaient servir de “dépôts de déchets sacrés”, où des manuscrits usagés, mais considérés comme sacrés, étaient entreposés pour éviter leur profanation.

Enfin, l’affirmation selon laquelle cette bibliothèque serait “peut-être la plus grande du monde sur la lointaine histoire de la planète” est également exagérée. Bien que la collection de Sakya soit impressionnante, d’autres bibliothèques anciennes, comme celle de Dunhuang (plus de 50 000 manuscrits découverts en 1900) ou la Genizah du Caire, rivalisent en taille et en importance. De plus, la majorité des textes de Sakya sont des écritures bouddhistes, comme le Kangyur et le Tengyur, et non des récits historiques couvrant des millénaires.

Origine de la rumeur

Cette information a été popularisée par des publications virales sur les réseaux sociaux, notamment un post Facebook de septembre 2020, qui a été vu plus de 7,5 millions de fois. Ce post, relayé par des utilisateurs sur X, a amplifié la rumeur en ajoutant des détails sensationnalistes, comme les “10 000 ans d’histoire” ou les “50 000 ans” mentionnés dans certaines variantes. Ces chiffres semblent provenir d’une mauvaise interprétation ou d’une traduction erronée, où le terme “dix mille” en chinois peut être utilisé comme une expression pour signifier “beaucoup” ou “innombrable”, un phénomène linguistique également observé dans d’autres cultures (par exemple, le mot grec “myriade” pour 10 000, qui signifie souvent “un grand nombre”).

Une perspective maçonnique

En tant que maçons, nous sommes familiers avec l’importance des archives et des textes anciens pour préserver la mémoire et les traditions. Les manuscrits de Sakya, bien qu’ils ne datent pas de 10 000 ans, rappellent l’importance de protéger notre propre patrimoine documentaire. En France, des obédiences comme le Grand Orient de France (GODF) ou la Grande Loge de France (GLDF) conservent des archives précieuses, mais elles sont souvent peu accessibles au public. La numérisation des textes de Sakya, entamée en 2011, pourrait inspirer des initiatives similaires pour nos propres archives, afin de les rendre disponibles aux chercheurs tout en les protégeant des dégradations, comme celles subies par le monastère de Sakya pendant la Révolution culturelle chinoise (1966-1976).

Cependant, nous devons aussi rester vigilants face aux récits sensationnalistes. La rumeur des “10 000 ans” reflète une tendance humaine à projeter des attentes mystiques sur des découvertes anciennes, un phénomène que Lionel Obadia a exploré dans The Conversation (31 mars 2025) à propos de l’IA réactivant des croyances mystiques. En tant que maçons, nous cherchons la lumière à travers la raison et la réflexion, et non dans des récits non vérifiés.

Notre conclusion

La bibliothèque du monastère de Sakya existe bel et bien, et sa découverte en 2003 est une avancée majeure pour l’étude du bouddhisme tibétain et de l’histoire de la région. Cependant, l’idée qu’elle contienne 84 000 manuscrits secrets relatant 10 000 ans d’histoire humaine est une exagération démentie par les faits. Ces textes, bien que précieux, datent de plusieurs siècles et non de millénaires, et ils sont principalement des écritures bouddhistes. Cette histoire nous rappelle l’importance de préserver notre patrimoine, mais aussi de l’aborder avec un esprit critique, pour distinguer la vérité des légendes. Que cette découverte, même sans ses aspects mythiques, continue d’éclairer notre compréhension du passé, dans un esprit de Sagesse, de Force, et de Beauté.

1 COMMENTAIRE

  1. Une écriture de cet article simpliste uniquement avec quelques évidences journalistiques qui laisse penser à une rédaction faite par une I.A…

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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