L’expression « Grand Architecte de l’Univers » suggère l’existence d’un principe unique, à l’origine de toute chose, donc créateur, et qui demeure aussi régulateur de toute chose, car tout élément de la création ou de la manifestation ne peut qu’obéir aux lois émanant de ce principe. En fait, le concept de Grand Architecte de l’Univers permet d’exprimer l’unité fondamentale de notre univers, sa cohérence, par-delà sa diversité.
L’invocation au Grand Architecte de l’Univers, présente dès le Premier Degré, est hautement signifiante. Elle place cet épisode dans une dimension qui est celle de la spiritualité. Elle rattache cet épisode à la quête de l’initié en ce qu’elle a d’immatériel, de transcendant.
Progressivement, il s’agit de passer de la matérialité à la spiritualité, du monde fini à l’infini, du limité à l’absolu. C’est en tous cas le commencement de cette progression.
Le concept de Grand Architecte de l’Univers a-t-il été inventé par la Franc-maçonnerie ?
La réponse est sans ambiguïté : non.

L’idée d’une religion naturelle, qui revient à envisager qu’une entité, un Être Suprême, a organisé l’Univers est fort ancienne. Platon évoque dans le Timée un suprême ordonnateur, et écrit « Il est une autre question qu’il faut examiner à propos de l’univers, à savoir d’après lequel des deux modèles son architecte l’a construit ». Plus loin il évoque un divin ouvrier qui « organisa l’univers de manière qu’il fût, par sa constitution même, l’ouvrage le plus beau et le plus parfait. »
Cicéron, un siècle avant notre ère, reprend la même idée : « quoi de plus manifeste et de plus clair, quand nous avons porté nos regards vers le ciel et contemplé les corps célestes, que l’existence d’une divinité d’intelligence absolument supérieure qui règle leur mouvement ?… Non seulement la demeure céleste et divine a un habitant, mais celui qui l’habite exerce sur le monde une action directrice, il est en quelque sorte l’architecte d’un si grand ouvrage et veille à son entretien. »
La tradition juive reconnaît en Dieu le créateur de l’Univers et le loue dans une bénédiction qui énonce que « Créateur parfait d’ouvrages parfaits, il leur fait remplir ses volontés avec joie et avec allégresse ».
Cette idée d’une construction parfaite est reprise par le Coran, qui fait de Dieu un bâtisseur lorsqu’il est dit dans la sourate 50 (Qaf) « N’ont-ils donc pas observé le ciel au-dessus d’eux, comment Nous l’avons bâti et embelli; et comment il est sans fissures? »

Et cette idée n’a depuis cessé de venir à l’esprit d’hommes éclairés. Ainsi, Calvin, vers 1550, avait choisi de qualifier Dieu de « Grand Architecte » ou d’« Architecte de l’Univers ».
C’est au philosophe allemand Leibniz que l’on doit, dans les dernières années du 17ème siècle, d’avoir porté de la manière la plus aboutie l’idée que partageaient ses contemporains philosophes des Lumières selon laquelle Dieu, du fait de sa perfection suprême, a choisi pour créer l’univers le meilleur plan possible.
Et il va de soi que « plan » renvoie à « architecte ».
Descartes dans les Méditations métaphysiques parle d’un Grand Horloger, et Voltaire a repris la même image dans ses célèbres vers : « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger. »
Nous avons vu que le concept de Grand Architecte de l’Univers avait été suggéré dès l’Antiquité, et que des fidèles des religions du Livre l’avaient repris à leur compte, jusqu’aux philosophes des Lumières.
Au 17ème siècle et au début du 18ème siècle, les premiers francs-maçons étaient tous soit catholiques, soit protestants.

Si l’expression précise « Grand Architecte de l’Univers » n’est jamais employée, le manuscrit Dumfries rédigé vers 1710 fait référence à « ye great architector of heaven & earth » (le grand architecte des cieux et de la terre), en même temps qu’à « Dieu », ou à « notre Seigneur Jésus-Christ ». Bien entendu, dans le contexte de l’époque, il est précisé que l’apprenti franc-maçon «doit être fidèle à Dieu et à la Sainte Église catholique».
Quelques années plus tard, en 1723, le pasteur James Anderson mentionne explicitement le Grand Architecte, au tout début des Constitutions qu’il fût chargé de rédiger pour la première Grande Loge, celle de Londres et de Westminster : “Adam, notre premier Parent, créé à l’Image de Dieu, le Grand Architecte de l’Univers, a dû avoir les Sciences Libérales, en particulier la Géométrie, écrites sur son Cœur“.
En 1751, Laurence Dermott écrit dans son ouvrage majeur l’Ahiman Rezon, qui est considéré comme le fondement de la maçonnerie des Anciens dont nous nous réclamons : «Le Grand Architecte de l‘Univers est notre Maître Suprême».
Dans la divulgation Three Distinct Knocks (Trois Coups Distincts) publiée à Dublin et à Londres en avril 1760, on trouve une prière qui commence par : « Ô Seigneur Dieu, Grand et Universel Maçon du monde, et Premier Constructeur de l’homme comme s’il était un temple […] »
C’est à cette époque, et jusqu’à la fin du 19ème siècle que la franc-maçonnerie s’ouvre à d’autres religions révélées et même, dans certains pays, à d’autres conceptions du divin.

L’ambition de ce mouvement est à tout le moins de rassembler déistes et théistes. Pour tenir compte de cette ouverture et concrétiser sa vocation à rassembler ce qui est épars et à être le Centre de l’Union, on voit l’expression « Grand Architecte de l’Univers » remplacer peu à peu le mot « Dieu ».
Il faut savoir que cette vision, qui vaut pour la France et les pays où la Maçonnerie française a été ou est encore influente, n’a pas cours aux États-Unis, où les mots « Great Architect of the Universe » désignent clairement le Dieu des religions monothéistes, s’alignant de fait sur la Grande Loge Unie d’Angleterre. Elle s’en tient à la résolution qu’elle a adoptée en 1878, selon laquelle « la croyance dans le Grand Architecte de L’Univers et en Sa volonté révélée soit une condition essentielle de l’admission des membres. »

Revenons au Rite Écossais Ancien et Accepté. Ce Rite en 33 degrés a été formellement constitué avec la fondation du premier Suprême Conseil, qui s’est réuni à Charleston, en Caroline du Sud, en mai 1801, et c’est avec des patentes de ce premier Suprême Conseil que furent progressivement constitués tous les autres Suprêmes Conseils du monde. Quelques mois plus tard, en décembre 1802, le Suprême Conseil du Rite a adressé aux obédiences maçonniques du monde entier un texte essentiel, la « Circulaire aux Deux Hémisphères », qui créé la structure du R.E.A.A. Ce document s’ouvre par une formule latine que l’on traduit par « A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers ».
Nul doute que pour ces fondateurs, le Grand Architecte de l’Univers et Dieu ne sont que deux appellations pour une seule et même entité créatrice. Ils avaient voulu et ils avaient su dépasser leurs différences pour construire ensemble.
Donc le concept de Grand Architecte de l’Univers est ancien et n’est pas exclusivement un concept maçonnique. Mais pourquoi, s’ils ne l’ont pas inventé, les Francs-maçons ont-ils choisi de perpétuer et de se référer à ce concept ?
Certains se demandent donc si l’expression « Grand Architecte de l’Univers » ne serait pas en fait une façon « œcuménique » de nommer Dieu.

Précisons pour ceux qui craindraient que nous nous égarions dans la confusion des genres que d’envisager notre parcours en termes d’éveil spirituel et de quête de transcendance n’implique aucune croyance, aucune adhésion religieuse particulière. Il va de soi que cela ne l’exclut pas davantage.
La spiritualité n’est pas l’apanage des religions.
Des siècles durant, il a semblé que la seule spiritualité possible était celle qu’offraient les religions. C’est-à-dire les systèmes organisés autour d’une croyance en Dieu, en un Dieu révélé, donc un théisme. Ceci est particulièrement vrai dans notre pays, où cohabitent plusieurs religions.
De multiples cultes s’y sont implantés au fil de son histoire complexe et mouvementée, héritiers de la même tradition du Livre. La foi catholique ou protestante y côtoie depuis longtemps le judaïsme, auquel l’Islam s’est ajouté depuis près d’un siècle.
Quoi qu’il en soit, il semblait acquis que religion et spiritualité, ou plutôt aspiration religieuse et quête spirituelle étaient synonymes.
On ne faisait guère référence aux enseignements des philosophes grecs, de Spinoza, des néo-platoniciens, des spiritualités orientales, comme le bouddhisme ou le taoïsme, qui sont d’immenses spiritualités sans croyance en un Dieu, ni en une transcendance.
Pourtant, ces « spiritualités de l’immanence » font une large place au sacré, considérant que chaque élément de la Nature porte une part de sacralité, sans faire aucune référence à quelque Divinité, à quelque Dieu que ce soit.
Nous pouvons donc reconnaître qu’il existe donc une, ou plutôt des spiritualités sans Dieu, comme il en existe avec Dieu.

Mais finalement, sont-elles si différentes ? N’ont-elles pas au contraire en commun de constituer des voies d’élévation de l’homme vers ce qu’il porte de meilleur en lui, vers sa complète réalisation, et sa pleine humanité ?
Avec ou sans Dieu, la spiritualité n’est-elle pas d’abord une recherche en soi-même, une quête de paix intérieure, de sagesse et de sérénité ?
En fait, quand bien même en effet il serait vérifié que chacun de nous a le même entendement du principe qu’est le G\A\D\L\U\, il y a parmi les Franc-Maçonnes et les Francs-Maçons à n’en pas douter, des religieux comme des non-religieux, des pratiquants comme des non-pratiquants.
Mais au-delà de cette diversité dans la foi au sens religieux du terme, ils se rejoignent, dans leur commune recherche de la vérité, dans leur perception impérieuse du Devoir, dans notre persévérance dans l’effort. Surtout, nous nous unissons derrière l’étendard de la tolérance, du respect de la croyance d’autrui.
C’est même en cela que Franc-Maçonnes et Francs-Maçons sont non pas, comme certains, engagés dans une démarche militante de laïcisme voire de laïcardisme, mais bien authentiquement laïcs, c’est-à-dire libres.
Pour l’initié, la spiritualité ne sera en fait pas seulement un champ de recherche ou d’expériences intérieures, mais au-delà la source vivante de valeurs éthiques, le fondement d’un humanisme authentique, profond, engagé, vécu et non seulement proclamé.

C’est ce que la conception du principe créateur qu’est le Grand Architecte de l’Univers, a posé comme fondement de la Franc-Maçonnerie traditionnelle, et plus particulièrement du Rite Écossais Ancien et Accepté.
Ayant dit cela, une question nous vient naturellement à l’esprit :

Ce Grand Architecte de l’Univers est-il le Dieu des théistes, qui croient en Dieu et adhèrent à l’une ou l’autre des religions révélées ; ou est-il le Dieu des déistes, croyant en Dieu mais n’adhérant à aucune religion telle que des hommes les ont organisées et les administrent ?
Certaines obédiences se définissent comme théiste, c’est-à-dire partageant toute croyance en un Dieu révélé et révélant, servi et agissant. Il s’agit de “l’Autre en Soi” autant que de l’Architecte de l’Univers. Ces obédiences se retrouvent ainsi dans toutes les religions qui reconnaissent l’action d’une force suprême sur l’univers (Dieu pour certains).
A dire vrai, libre à chacun d’avoir sur le sujet la réponse qu’il souhaite ! L’essentiel est en effet ici dans la liberté reconnue à chaque individu de penser comme il le souhaite, de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer.
Si les Francs-Maçons se rassemblent ; au-delà de leurs différences, et si différents qu’ils puissent être, c’est qu’ils ont tous fait, librement et en pleine conscience, le choix de travailler à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers.
En fait, à n’en pas douter, le concept de Grand Architecte de l’Univers est au cœur même de la démarche maçonnique traditionnelle, et notamment au cœur du Rite Écossais Ancien et Accepté.
Une question se pose alors : un athée, qui ne croit pas à l’existence de Dieu au singulier ou de dieux au pluriel, et dont la pensée se revendique comme fondée sur le principe du rationnel, pourrait-il dans ces conditions adhérer à un tel concept ? Comment pourrait-il travailler à la Gloire d’une entité à laquelle il ne croit pas ?
Autre question, bien sûr : comment un agnostique, habité par le doute, pourrait-il sérieusement déroger à sa posture de cherchant sur un point aussi essentiel que celui de l’origine de notre monde et le sens de notre vie?
Laissons athées et agnostiques à leurs questions et à leurs doutes, d’autant que l’on ne peut être certain qu’il n’y en ait pas au sein de nos Loges et surtout la pensée de chacun peut varier au cours de la vie de chacune et de chacun…
La volonté de rassembler ce qui était épars, d’être le Centre d’Union qui permet à des hommes et à des femmes d’origines, d’ethnies et de croyances différentes de se rassembler en fraternité perdure, et même s’étend, se renforce. Et le concept de Grand Architecte apparaît comme l’expression de cette conscience spirituelle partagée, au cœur de la démarche du REAA.
Car dans les loges de REAA, c’est sous l’invocation du Grand Architecte de l’Univers qu’est prêtée la première obligation, et c’est « A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers » que le Vénérable Maître créé, constitue et reçoit chaque Apprenti Franc-maçon.
S’agit-il donc d’un élément dogmatique, c’est-à-dire d’un point de doctrine qui ne peut être ni discuté ni questionné ?
Tout au contraire. Il est essentiel de laisser à chacun la liberté d’interpréter le concept de Grand Architecte de l’Univers librement, et donc de ne pas lui donner une vision restrictive, contrainte et fermée, alors que la démarche maçonnique vise à nous préserver d’un tel enfermement de la conscience et de l’esprit.
Certaines obédiences se définissent comme initiatiques, spiritualistes, laïques et mixtes tandis que d’autres se veulent davantage sociétales. Le paysage maçonnique français offre une grande variété de postures quant à la spiritualité.

Il existe des obédiences qui mettent la croyance en Dieu et sa volonté révélée en tête de leurs fondamentaux, tandis que d’autres militent contre la restriction à la liberté de conscience que constitue selon eux l’adhésion à un système religieux dogmatique par nature.
Sans doute les plus avisées ne s’alignent ni sur l’une ni sur l’autre de ces positions. Respectueuse de l’absolue liberté de conscience et de croyance des Frères et Sœurs des Loges qu’elle fédère, ces Grandes Loges considèrent que le fait d’envisager notre parcours en termes d’éveil spirituel et de quête de transcendance n’implique aucune croyance, aucune adhésion religieuse particulière, mais il importe de souligner que cela ne l’exclut en aucune façon.
C’est ainsi qu’elles entendent promouvoir et pratiquer une véritable spiritualité « laïque ».
Rappelons que le mot «Laïque » désigne initialement une personne commune par opposition au possesseur d’un “état religieux”. Et par extension la nécessaire séparation de l’Église et de l’État. L’initiation maçonnique est donc laïque au sens où elle est adogmatique ; vécue sans immixtion de croyances ou de convictions philosophiques, avec le respect de l’autre dans sa différence.
Certains pourraient se demander si l’invocation “à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers” utilisée dans les loges de Rite Écossais Ancien & Accepté ne constitue pas un dogme.
La réponse à cette objection est très simple et sans ambiguïté : en aucune façon.
Affirmer que l’univers est organisé, ordonné selon des règles que l’on peut décrire par les outils des sciences, ne suppose ni n’interdit aucune croyance, ne requiert ni ne fait obstacle à aucune foi particulière ni aucune pratique religieuse quelle qu’elle soit.

Au contraire, la Franc-Maçonnerie de Rite Écossais Ancien et Accepté, en travaillant à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, respecte et encourage la liberté de chacun de ses membres à donner à ce principe la dimension qui correspond à ses propres convictions métaphysiques ou spirituelles, à ses propres convictions religieuses.
Au demeurant, dans cette conception du principe que nous nommons Grand Architecte, il est fait référence à un ordre, à des lois, celles de la Nature, des lois mathématiques, physiques, chimiques, des lois biologiques, génétiques, qui régissent l’évolution et le fonctionnement de l’univers en chacune de ses composantes et de ses structures depuis l’origine et sans que l’on puisse leur envisager un terme ni dans le temps ni dans l’espace.
La spécificité de la démarche maçonnique est celle du questionnement permanent, du refus des certitudes immuables et pré-établies, des jugements définitifs et préconçus.
Les textes fondamentaux indiquent clairement qu’il convient de laisser chaque Frère ou Sœur libre de ses convictions et de sa pratique religieuse, pour n’exiger que la reconnaissance du Principe Créateur nommé G∴A∴D∴L∴U∴.

Chacun de nous peut ainsi avoir de ce Principe la perception qu’il veut, celle d’un Dieu qui s’est révélé à sa Création et que l’on peut louer, prier ou invoquer, ou celle d’un ensemble de lois mathématiques, physiques, qui organisent l’Univers, sans que l’on ait une vision anthropomorphe et donc réductrice du Dieu créateur…
A ce stade, il semble intéressant de se poser la question : Qu’en est-il aujourd’hui pour les Francs-maçons et Franc-maçonnes ?
Les rituels ont été conçus pour abstraire notre esprit des questions qui l’agitent dans le monde profane, pour l’ouvrir à d’autres dimensions, en favorisant l’écoute de soi-même et l’écoute de l’autre, dont le regard sur le monde aide à construire le sien propre, soit en le confortant soit en le contredisant, peu importe, mais toujours en l’enrichissant.
Le rituel est ainsi source de liberté de pensée, d’autant qu’il ne véhicule aucune vérité dogmatique à laquelle chacun devrait se soumettre.
Le Franc-Maçon est un Cherchant, inlassablement en quête de Connaissance. A ce titre, il travaille à découvrir- en fait plus humblement à approcher -, au travers d’une démarche intérieure de questionnement sur lui-même, non pas des certitudes descriptives mais une approche intuitive qui lui permette de percevoir, d’apercevoir quelque chose de l’ordre du sens.
Du sens du monde pour donner un sens à sa vie, un sens qui se fonde harmonieusement dans celui de l’Univers, qui concoure à sa beauté et à son développement harmonieux.
Ainsi, notre démarche de cherchants a vocation à structurer le champ de notre conscience – à en organiser le sens. Cette idée d’organisation, d’orientation, d’ordre harmonieux des choses se retrouve dans la devise Ordo ab chao, faire naître l’ordre du désordre.
Chaque Franc-maçon est libre de croire en un Dieu révélé et révélant, et reconnait dans le Grand Architecte le Principe créateur de l’Univers, qui organise et régit l’Univers dans tous ses composants et dans leurs rapports entre eux.
Au-delà, l’Ordre maçonnique n’impose la croyance en aucune révélation particulière et n’exclut ni ne fait référence à aucun au-delà qui s’imposerait à tous comme à chacun.
C’est donc bien le contraire d’un enfermement dogmatique, une démarche de liberté de conscience, de liberté de croyance et de pensée, une voie spirituelle, un chemin de vie qui forme, en fait qui transforme, l’homme par la spiritualité.

La quête d’un Franc-Maçon, qui permet de s’approcher graduellement de la Vérité, degré après degré, a pour caractéristique d’être individuelle – un travail sur soi-même, en soi-même et pour soi-même -, en même temps que collective – impossible à conduire hors du collectif que forme, à chaque degré, la Loge, hors notamment de ce qu’apportent les Frères et les Sœurs déjà plus avancés -.
Sans être convenablement instruit, sans être initié aux outils qui, à chaque degré, permettent de mieux appréhender l’univers et soi-même, sans travail personnel pour véritablement intégrer ces outils, il n’est guère possible de progresser sur les voies de la Vérité et de la Connaissance.
Aller vers la Vérité et la Connaissance signifie s’efforcer de percevoir, en nous-mêmes et dans l’univers qui nous entoure, la marque du Principe créateur que nous nommons Grand Architecte de l’Univers.
Les rituels et leur contenu symbolique non seulement sacralisent le temps et l’espace de nos tenues, mais surtout sont le vecteur nécessaire de la transmission de la Connaissance, ou plutôt des moyens qui permettront d’y accéder.
Les Francs-Maçons et Franc-Maçonnes entendent défendre une véritable ouverture à l’autre, qui procède de la conscience au plus profond de soi d’une même filiation, d’une commune appartenance à la création du Grand Architecte de l’Univers, dans son unicité et dans sa diversité. Telle est la spiritualité dont ils se réclament.
Concluons en portant la réflexion sur la notion de foi.
L’expression « foi maçonnique » figure dans certains rituels, par exemple lorsque le Vénérable Maître nouvellement élu jure, sur son honneur et sa foi maçonnique, de respecter et de faire respecter la Constitution et les Règlements Généraux de son obédience.
Mais le mot « foi » est plus communément employé dans un contexte religieux. La foi religieuse est l’adhésion à un corpus révélé. Elle suppose une adhésion sans faille à une doctrine. C’est un sentiment qui ne procède pas de la raison. La foi est une croyance qui ne se fonde pas sur un rationnel.
Qu’en est-il de la Foi telle que la conçoit le Franc-Maçon ? Toute notre tradition nous amène à considérer que la foi en ce principe créateur qu’est le G∴A∴D∴L∴U∴ est pour le Franc-Maçon du R∴E∴A∴A∴ d’un autre degré, voire d’une autre nature.
En quoi cette foi est-elle différente ? Qu’on veuille nommer le concepteur et le régulateur du monde « Dieu » ou « Grand Architecte », ce n’est ni un catalogue d’articles de foi, ni un texte – fût-il sacré -, ni une personnalité historique ou mythique.
La foi qui anime les Francs-Maçons et les Franc-Maçonnes est bien davantage de l’ordre d’une conscience, d’une connaissance ou plutôt d’une re-connaissance de l’absolu qui est en eux, et qui les conduit à une appréhension de l’Absolu et de l’Universel
En plaçant leurs travaux sous l’invocation “À la Gloire du Grand Architecte de l’Univers”, ils ne s’obligent pas à honorer une entité divine personnalisée.
N’ayant aucun parti pris religieux ou philosophique, le Rite reste étranger à toute controverse sur ces sujets ; et sa neutralité et son universalité font qu’il les transcende toutes. Le Rite laisse à ses membres la libre détermination et la pratique privée de leurs convictions dont il n’a pas à se préoccuper.
En ayant choisi de travailler à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, le Rite Écossais Ancien et Accepté reconnaît l’existence d’un Principe d’Ordre à l’œuvre dans l’Univers, on pourrait aussi parler d’un Principe d’Unité. Par cette reconnaissance fondamentale, fondatrice, le Rite engage à œuvrer dans le sens de l’ordre, de la construction, de la paix, de l’harmonie, en même temps qu’à combattre le désordre, la violence destructrice, le chaos.
En fait, le Rite nous engage à ressentir l’unité de la Vie, quelle que soient la diversité et de la multiplicité des formes, ce qui conduit naturellement à devenir solidaires de toute existence. Le Rite invite dès le 1er Degré à reconnaître l’Unité, au-delà des dualités apparentes que sont par exemple le noir et le blanc du pavé mosaïque, ou encore l’Équerre et le Compas, le Soleil et la Lune, etc.
Point n’est besoin à qui n’en ressent pas la présence ni la nécessité d’envisager rien qui soit de l’ordre du surnaturel, du surhumain. Mais dans le même temps, la spiritualité du Rite Écossais Ancien et Accepté est ouverte à ceux qu’une religion révélée aide à s’accomplir comme êtres moraux et vertueux.

Ainsi, le Grand Architecte de l’Univers est le symbole de l’absolue liberté de conscience.
Parce qu’il serait vain de penser si ce n’était pour agir, la voie sur laquelle Maçonnes et Maçons sont résolument engagés dans une loge de Rite Ecossais Ancien et Accepté travaillant à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, est d’abord une voie de réalisation personnelle. C’est aussi une voie de réalisation collective. La finalité de la voie spirituelle et humaniste que propose le Rite est de parvenir à son propre accomplissement, mais aussi celle de l‘engagement et de l’action au service de l’Homme et de l’Humanité.
Dans un monde matérialiste, dangereusement instable, profondément inique, réduisant des peuples entiers à la misère ou les précipitant dans des guerres fratricides, exacerbant les extrémismes de tous bords, le Rite Écossais Ancien et Accepté engage à tourner son regard vers la Lumière et à agir concrètement dans le monde. L’éveil spirituel qu’induit le Rite n’a de sens que s’il se concrétise dans l’ici et maintenant du vécu quotidien, comme dans l’engagement personnel et responsable dans la Cité.

Il s’agit donc pour chacune et chacun qui s’y engage de se mettre au service d’une cause, de LA cause, la cause première, qui n’a besoin d’aucun dogme ni d’aucun culte pour être reconnue, la cause que figurée sous l’appellation de Grand Architecte de l’Univers et qui s’exprime dans ces deux ternaires symétriques à l’ouverture et à la fermeture des travaux dont le sens doit nous pénétrer pleinement à chaque tenue :
Sagesse, Force, Beauté, Paix, Charité et Joie.
Réponse à Bénédicte Roth : Loin de moi la volonté de dénier la transcendance au bouddhisme et au taoisme. Mais la Franc-Maçonnerie n’est vraiment répandue que dans les contrées où la Bible, qu’il s’agisse de l’Ancien ou du Nouveau Testament, sont la référence, qu’on la suive ou qu’on la dénie. Les spiritualités de l’Asie ont d’autres références, y compris l’animisme, et se réfèrent à une cause première d’ordre transcendant, comme vous le notez avec justesse. Nous aurions évidemment tort de réserver la transcendance aux grandes traditions dites monothéistes. Mais encore une fois il se trouve que c’est au sein des peuples qui connaissent ces traditions monothéistes que la Franc-Maçonnerie a été créée et s’est répandue. Libre bien entendu à chacune et chacun d’être davantage en harmonie avec d’autres spiritualités, orientales notamment, car comme le dit le précepte “Adinnadana veramani sikkhapadam samadiyami”.. Et la voie spirituelle a plus de valeur que n’importe quel trésor !.
Bonjour et merci pour ce texte riche qui fait bien la différence entre Dieu et spiritualité. Hélas, pourquoi déniez-vous la transcendance au bouddhisme et au taoisme ? Si j’ai du mal à la percevoir dans le bouddhisme, mais je suis sure que c’est le cas pour des initiés du Mahayana, je suis sure de mon fait pour le taoisme ; ce n’est parce qu’un Dieu révélé n’y est pas invoqué que le Tao ne constitue pas un Principe transcendant, plus générateur que créateur certes ; les extraits du Tao-te-king ou de Tchouang-Tseu sont sur ce point d’une portée métaphysique incontestable : Tchouang-tseu chap.18 : « Il fut un temps où il n’y avait pas encore la vie. Non seulement, il n’y avait pas la vie, mais il fut un temps où il n’y avait pas encore de forme. Non seulement, il n’y avait pas de forme, mais il fut un temps où il n’y avait pas encore de tsi . Mêlé ensemble dans l’amorphe, quelque chose se transforma, et il y eu le tsi, quelque chose dans le tsi se transforma, et il y eu les formes, quelque chose dans les formes se transforma, et il y eu la vie. » (Le tsi, c’est l’énergie vitale et l’influx spirituel, c’est « le vide qui accueille toute chose ». Dans l’initiation taoïste, « l’homme véritable », se situe au centre, dans l’invariable milieu, à l’écart des vicissitudes du monde, alors que « l’homme transcendant » s’élève selon l’axe du monde vers les états supérieurs, au-delà de l’état humain, jusqu’au « faîte du Ciel », et réalise la coïncidence des pôles terrestre et céleste. Lisez aussi “La voie métaphysique” de Matgioi. Toutes les traditions qui voient la matière habitée par l’esprit, y compris l’animisme, se réfèrent à une cause première d’ordre transcendant. Les chamanes travaillent avec des esprits alliés qui travaillent eux-mêmes pour un être suprême ou “grand Tout” (CF Mircea Eliade). Ne réservons pas la transcendance aux grandes traditions dites monothéistes.
ca fait du bien de lire un si beau travail quand on est dans une obédience qui a abandonné toute spiritualité en la remplaçant par du profane …merci..
Je ne peux que saluer les savoirs historiques, choisis avec finesse, et l’écriture, raffinée et précise, de ce beau commentaire de notre TCS Solange Sudarskis. Mais au-delà, il me semble utile d’insister sur ce qui fît de ce Convent réuni à Lausanne en 1875 un moment décisif pour les Francs-maçons, en tous cas Européens.
La référence au G.A.D.L.U. est en effet décisive, en ce qu’elle ouvre sans restriction la voie de la quête maçonnique aux non-religieux, voire aux non-croyants dans la Divinité formatée par les institutions, églises, temples ou synagogues. C’est à Adolphe Crémieux, Grand Commandeur du Suprême Conseil de France, que l’on doit d’avoir amené la formulation “Grand Architecte de l’Univers”, connue depuis l’Antiquité et conciliant à la fois l’affirmation d’un Principe créateur et le respect de la liberté de conscience,
La vérité historique amène à préciser que la Suprême Conseil de France choisit bien sûr de maintenir la devise universelle des Suprême Conseils « Deus Meumque Jus” et d’y adjoindre « Liberté – Egalité – Fraternité »,
On ne peut donc être Franc-Maçon “régulier” en étant athée au sens de convaincu de l’absence ou de refuser toute croyance en quelque divinité que ce soit. Le terme s’oppose donc au théisme, et bien entendu au déisme, école de pensée qui rejette toute révélation et ne croit qu’à l’existence d’un Dieu comme cause du monde, il fait référence à une conception (au demeurant non-prouvée et non-prouvable) qui affirme l’existence d’un Dieu unique et cause du monde,
L’athéisme est donc la conception selon laquelle cette conception doit être rejetée tant qu’aucune preuve ne permet de vérifier cette théorie.
La Franc-Maçonnerie “régulière” telle que nous la pratiquons en Europe est ouverte à toutes et tous. Elle est aussi spirituelle au sens où elle reconnaît le G.A.D.L.U. sans imposer la croyance en un Dieu au sens des églises et autres institutions religieuses.
Aux Etats-Unis; la situation est un peu différente comme le montre la devise nationale “In God We Trust”, qui implique que le Great Architect of the Universe EST Dieu…
La Franc-Maçonnerie européenne, et celle des pays suivant l’Europe en la matière, est donc spirituelle sans être religieuse, au-delà des très belles paroles du Pasteur Jean-Théophile Désaguliers, de Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux, voire du Livre de la Sagesse , qui fait partie du canon des Écritures inspirées pour les Catholiques et certains Orthodoxes…
En somme, c’est le problème de QUI décide de la “régularité” d’une obédience !
Le Gadlu ne serait-il qu’une réponse à la question de la causalité ? Pas étonnant qu’il soit assimilé à Dieu qui se veut aussi une réponse à la causalité. Pour Jean-Théophile Désaguliers, Dieu-géomètre est l’être qui «régit toutes choses, et non comme une sorte d’âme du monde, mais comme un maître au-dessus de tout ; et c’est à cause de son pouvoir qu’il faut qu’on l’appelle pantocratòr (παντοκρατωρ)». : 450.fm/2022/04/05/nom-de-dieu/
Le gadlu ne serait-il qu’un principe de cohérence ? Le Livre de la Sagesse de Salomon, rédigé en grec au premier siècle avant notre ère, nous informe que « Dieu a créé [réglé] les corps et animaux, depuis le ciel jusqu’aux minéraux, par nombre, poids et mesure harmonique. Heureux est donc qui un tel savoir explique, et qui entend secrets si généraux sur tous les arts.» Bernard de Clairvaux, l’éminence occulte du mouvement templier, aurait dit que Dieu était une question de dimension, de hauteur, de longueur et de profondeur. Cette même locution sur les « nombres, poids et mesures » apparaît plusieurs siècles plus tôt aussi bien dans les Mémorables de Xénophon que dans la République de Platon, les deux principaux témoins de la philosophie du Maître. 450.fm/2021/06/25/un-ordonnateur-du-chaos/
Le gadlu ne serait-il que le « véhicule » obligé vers la spiritualité? 450.fm/2021/08/02/petite-reflexion-sur-la-spiritualite/
Sinon, comment choisir sa Franc-maçonnerie entre théisme, déisme, naturalisme, athéisme, … ? 450.fm/2023/01/10/comment-choisir-sa-franc-maconnerie/