De notre confrère universalfreemasonry.org – Par Annie Besant
Les affaires du monde pourraient-elles être supervisées par un groupe « occulte » ou caché d’initiés adeptes ?

Dans cette conférence intitulée « L’Orient et l’Occident », et dans une autre conférence intitulée « Les destinées des nations », qui suit, je me propose d’aborder la formation de l’histoire d’une manière qui me paraît présenter un intérêt beaucoup plus profond que celui que l’on peut trouver dans les manuels d’histoire ordinaires. Nous adopterons ici une vue plus générale, tandis que dans la conférence suivante nous nous spécialiserons. Nous examinerons les prémisses qui sous-tendent le conflit actuel en Extrême-Orient et les grandes conséquences qui découlent des triomphes militaires du Japon. Car nous avons devant les yeux une grande leçon de choses et, comme nous l’a dit HP Blavatsky, en ce vingtième siècle, certains des comptes en suspens entre les nations de l’Est et de l’Ouest doivent être réglés.

C’est pourquoi je souhaite amener certains esprits réfléchis à une vision plus profonde des actions des hommes qui jouent un grand rôle dans le drame mondial que nous appelons l’histoire, afin qu’au lieu de considérer les événements de la vie ordinaire des nations comme s’ils étaient réellement guidés par des dirigeants et des hommes d’État, nous puissions apprendre à comprendre que le drame des nations a un Auteur qui l’écrit, et que les acteurs jouent les rôles pour lesquels ils se sont préparés dans le passé ; les acteurs sont des acteurs et non des créateurs de l’histoire du monde.

Pour exposer cette conception de la vie et pour rendre intelligible une partie de l’argumentation que je désire présenter, je dois définir ce que j’entends ici par « idéaux ». Je veux dire les idées dominantes exprimées dans les civilisations, façonnées et modelées selon les idées ou idéaux dominants, les conceptions sur les valeurs de la vie qui règnent dans l’esprit de la nation concernée. Et je dis idéaux « orientaux » et « occidentaux », parce que les différences entre ces idéaux et leur utilité dans l’évolution de l’humanité dans son ensemble doivent être comprises si nous voulons suivre correctement les actes du drame mondial. Et nous devons comprendre que dans la situation actuelle, il s’agit d’un déséquilibre manifeste d’un équilibre devenu trop léger et menaçant de s’effondrer, de sorte que l’humanité était menacée d’une perte d’idéaux essentiels à son plein développement.
Je ne veux pas mettre en opposition les idéaux de l’Orient et de l’Occident. Je voudrais plutôt montrer que les deux sont nécessaires à la grande évolution de l’humanité et que le danger existait ces dernières années de voir périr les idéaux orientaux. Pour que l’humanité ne soit pas ainsi privée d’une partie de sa richesse idéale, il est devenu nécessaire de rétablir l’équilibre entre l’Est et l’Ouest, entre l’Europe et l’Asie. Ce rétablissement ne pouvait se faire qu’en freinant la marche conquérante de l’Europe et en rendant à l’Asie une partie de son ancienne indépendance. Aussi, en considérant la lutte actuelle, que nos sympathies aillent à l’une ou à l’autre nation, il est sage que nous comprenions les problèmes plus profonds en jeu et que nous lisions avec les yeux de la sagesse plutôt qu’avec les yeux de la passion les pages de l’histoire qui se déroulent maintenant devant nous.

J’ai dit que je ne voulais pas mettre ces deux idéaux en conflit. Néanmoins, dans une certaine mesure, ce conflit a été inévitable ; et c’est, je pense, le rôle d’un étudiant de la Sagesse divine d’essayer de sentir la paix au milieu des combats, et de fixer fermement ses yeux sur le but à atteindre, afin de ne pas être emporté par le tumulte du moment. Si nous regardons en arrière sur le dix-neuvième siècle, nous remarquerons que l’Occident domine de plus en plus l’Orient – principalement par la conquête, mais dans une immense mesure par l’expansion de la pensée et de la civilisation occidentales dans le sillage de la conquête. Nous avons vu dans les pays orientaux que les anciens idéaux tendaient à disparaître. Qu’ils n’aient pas fait leur chemin en grande partie en Europe aurait été de peu d’importance ; Mais qu’ils soient menacés de mort sur le sol de leur naissance était un véritable péril pour l’humanité. Au fur et à mesure que les armes et le commerce occidentaux se répandaient, la pensée occidentale parmi les nations orientales commençait à revendiquer la prédominance, d’autant plus facilement et plus dangereusement qu’elle était associée à l’épée conquérante, à la croissance de la puissance militaire.
Quelques-unes des conquêtes de l’Orient étaient de nature très précise, comme celle de l’Inde par la Grande-Bretagne ; d’autres moins honnêtes, mais n’en sont pas moins efficaces. Et l’Europe en est venue à considérer de plus en plus l’Asie comme son héritage naturel, de sorte que la politique asiatique devait être dirigée, que les intérêts asiatiques devaient être contrôlés, non pas pour le bénéfice des peuples asiatiques, mais pour l’enrichissement de l’Europe. Cela s’est fait en grande partie sous le couvert d’intérêts commerciaux ; mais les intérêts commerciaux étaient les intérêts commerciaux de l’Occident, cherchant à découvrir par lui-même de nouveaux marchés et à poursuivre son expansion. Personne ne s’est demandé, lorsqu’il a été question du port ouvert, etc., si la nation orientale concernée bénéficierait dans son commerce de l’intrusion de la rivalité occidentale ; Personne ne demandait si les industries de l’Est pourraient faire face sans danger de destruction au choc brutal de la concurrence de l’Ouest ; personne n’a jamais songé à se demander, dans les nombreux débats qui ont eu lieu dans les parlements de l’Europe à propos des affaires asiatiques, si ces nations de l’Orient seraient meilleures, plus heureuses, plus riches, si on leur imposait des biens qu’elles ne demandaient pas. Tout ce qui était considéré était la question du marché pour l’Europe, et les pays européens se disputaient entre eux des avantages parmi les peuples orientaux.
La lutte commerciale n’était pas entre l’Europe et l’Asie, mais entre les nations européennes plantées sur le sol oriental sans le consentement des propriétaires naturels de la terre. Des guerres ont même été déclenchées afin d’imposer l’ouverture du marché aux nations asiatiques, guerres souvent déclenchées par des peuples qui fermaient leurs propres marchés aux marchandises de l’étranger. Toutes les considérations qui sont considérées ici comme contraignantes ont été entièrement négligées dans les relations avec les peuples orientaux, et la Chine, par exemple, devait être obligée d’admettre dans son pays des marchandises étrangères qu’elle n’exigeait pas, et même détestait, tandis que, d’autre part, la plupart des nations occidentales se prémunissaient par des droits protecteurs et une législation contre la concurrence des marchandises chinoises et de la main-d’œuvre chinoise. Tout le courant des affaires signifiait la subordination complète de l’Orient à l’Occident, ce qui entraînait la disparition de l’Est et la substitution à ceux-ci des idéaux occidentaux.
Cette substitution d’idéaux n’a pas fait de grands progrès à l’heure actuelle. Bien sûr, en Inde, on constate dans une certaine mesure une substitution des idéaux occidentaux au sein d’une certaine classe de la population. Un certain nombre de jeunes Indiens instruits à l’anglaise ont accepté avec enthousiasme les idéaux qui ont cours en Occident, mais les vastes masses du peuple indien n’en sont pas affectées. Non seulement la population agricole et artisanale, mais aussi la population riche de la culture de la pensée et de la littérature orientales restent indifférentes. Mais il faut se rappeler que les classes concernées sont les plus énergiques, celles qui ont le plus de pouvoir d’influence sur l’activité du pays, sinon sur sa pensée. Elles pèsent donc plus lourd qu’elles ne comptent. Leur nombre est relativement faible, mais derrière ces chiffres, le pouvoir de réflexion, l’intelligence vive, l’enthousiasme vif pèsent lourd dans la balance.
En Chine et au Japon, les choses ont été quelque peu différentes. Le Japon a l’avantage que possède aussi l’Angleterre, celui d’être un empire insulaire. Cela lui a permis de rester dans ses propres frontières, tout en pouvant y importer tout ce qu’elle voulait des pays occidentaux. L’occidentalisation du Japon a semblé à un moment donné presque complète, et c’est ce triomphe des idéaux occidentaux qui a rendu absolument nécessaire le rétablissement de l’équilibre. Car l’occidentalisation complète du Japon aurait provoqué une forte réaction sur les autres nations orientales, et le Japon, tirant comme il l’a fait – comme l’a bien souligné l’un de ses principaux écrivains – tous ses idéaux de vie de l’Inde, aurait été un puissant facteur d’occidentalisation de l’Asie s’il avait complètement abandonné ces idéaux.
La Chine, affectée sur ses côtes, ne l’était pas du tout dans ses terres intérieures. Elle y conservait ses anciens enseignements et sa vieille morale, mais la question se posait, avec l’installation d’un empire armé sur ses côtes, de savoir s’il lui serait possible de conserver cet isolement alors que l’Europe bordait pratiquement son pays de colonies sous domination européenne. L’heure était critique. Ceux qui guident les destinées humaines voyaient que les idéaux orientaux risquaient d’être piétinés et que l’Occident n’écouterait que les leçons imposées par la main de fer. Il fallait changer l’équilibre, et il est en train de changer sous nos yeux.
Quels sont donc ces idéaux orientaux considérés comme si importants par les grandes Intelligences qui guident les destinées des nations ? L’un des principaux idéaux orientaux est que le monde est sous un gouvernement divin, que les destinées des nations sont guidées par le monde invisible. Dans les pays orientaux, les mondes invisibles jouent toujours un rôle immense dans le drame de la vie humaine, que ce soit sous la forme du culte des ancêtres, si répandu au Japon, ou sous cette même forme, l’une des grandes croyances dominantes de la Chine ; que ce soit sous une forme modifiée de cette même idée dans les sacrifices quotidiens aux Pitrs en Inde, ou sous la forme de la reconnaissance d’Intelligences non humaines, telles que celles qu’on appelle en Occident les Anges ou les Archanges. On reconnaît ainsi qu’il existe une action très puissante, constante et directrice exercée sur le monde des hommes par des Intelligences surhumaines qui n’appartiennent pas à l’évolution humaine.
Cette croyance est universelle en Occident. Ce n’est pas une simple croyance de façade, c’est une croyance active et concrète reconnue dans la vie ordinaire. Si en Occident, des hommes politiques, discutant d’une question de politique publique, parlaient de l’influence des anges comme d’un des éléments avec lesquels les politiciens doivent compter, vous pouvez imaginer le genre de commentaires qui seraient publiés dans les journaux le lendemain matin ; mais en Orient, c’est naturel ; le travail des Devas, comme les Indiens appellent les anges, fait partie du travail reconnu du monde, et chaque nation a son dirigeant dans le monde invisible, qui guide les dirigeants sur le plan physique. Combien différente est l’attitude envers la vie chez les peuples qui considèrent ainsi les intelligences surhumaines comme intervenant constamment dans les affaires humaines. Nous retrouvons bien sûr cette croyance chez les Juifs d’autrefois, où ils parlent des anges des nations. Nous trouvons des allusions à ces anges dans les Ecritures canoniques, parfois voilées sous le nom de Jéhovah ou Elohim, traduit au singulier Dieu, bien que pluriel en hébreu, l’hébreu n’entendant pas par là le Dieu suprême de l’univers, mais la divinité nationale tribale, telle que nous devrions appeler un archange à notre époque. Et cela est évident quand nous voyons que dans la bataille livrée par Israël contre des forces ennemies, il a pu chasser les habitants des collines mais non ceux des plaines, parce qu’ils avaient des chars de fer, et celui qui a pu vaincre les hommes des collines mais non ceux des plaines était le “Seigneur” ; pourtant, ce n’était certainement pas la divinité universelle qui a été contrecarrée dans ses tentatives par la simple possession par ses adversaires de chars de fer. Ainsi, parmi les premiers Pères chrétiens, en particulier chez Origène, vous trouverez de nombreuses allusions aux anges nationaux qui appartiennent à des peuples particuliers et non à l’univers en général. Il est vrai que de nos jours, dans le monde occidental, le nom de Dieu est très souvent invoqué dans les conflits nationaux, et chaque nation revendique cette aide comme lui appartenant en propre. Mais j’ai entendu l’autre jour un petit garçon faire une remarque qui me semble montrer une compréhension plus juste de la relation de Dieu à l’homme que bien des déclarations faites par des dirigeants et des hommes d’État, lorsqu’ils prétendent que le succès de leurs armes est la preuve de la faveur divine du Seigneur de tous. En effet, entendant ses aînés discuter de la guerre en cours, et entendant une divergence d’opinions sur la question de savoir si Dieu était du côté des Japonais ou des Russes, il intervint de sa jeune voix et dit : « Je ne pense pas que Dieu combatte pour les Japonais ou les Russes ; je ne pense pas non plus qu’il combattrait pour nous si nous allions en guerre, bien que nous le lui demandions bien sûr ; car Dieu n’est contre aucune nation, mais il est pour tous. » Que le gouvernement divin soit exercé par ces diverses agences subordonnées, qui luttent souvent entre elles comme les hommes sur le plan physique luttent aussi, est une opinion profondément ancrée dans la fibre même de la pensée orientale.bien qu’il ait disparu de l’Occident. .Et cet idéal des mondes invisibles se mêlant aux affaires des hommes était un idéal qui devait être sauvé.
Cette conception d’un gouvernement divin façonne l’idée orientale du gouvernement humain ; on pense toujours qu’il émane d’en haut et non d’en bas. L’idée selon laquelle un roi gouverne par la voix du peuple plutôt que par l’autorité divine ne fait que commencer à faire son chemin dans la pensée orientale parmi les nations influencées par les idées occidentales. Le résultat de l’idée selon laquelle celui qui siège sur le trône gouverne par nomination divine et non par suffrage humain est que dans tout l’Orient, la responsabilité du supérieur pour le bien-être du inférieur est une pensée bien établie et définie. On la retrouve dans toute la littérature, bien qu’elle soit en voie de disparition aujourd’hui. Confucius, à qui un roi demandait pourquoi les voleurs étaient si nombreux dans son pays, répondit : « Si vous, ô roi, viviez honnêtement et justement, il n’y aurait pas de voleurs dans votre royaume ». De même, dans toutes les anciennes lois de l’Inde, on trouve le roi, le gouverneur, le dirigeant, jusqu’au plus petit fonctionnaire de village, tenu pour responsable du bonheur, de la santé et de la prospérité du peuple qu’il gouverne. D’où la difficulté, dans les temps anciens, de trouver quelqu’un qui veuille bien prendre la direction d’un district, d’une ville ou d’un village. La hiérarchie dirigeante, jusqu’au roi lui-même, tenait pour responsable du bonheur des gouvernés un lieu qui n’était pas un lit de roses et où l’on trouvait moins de satisfactions pour l’orgueil que de demandes de temps et d’efforts. Car, si grand que fût le pouvoir du roi dans les pays de l’Est, il y avait toujours une chose qui se tenait derrière son trône, administrée par des dirigeants invisibles. Cette chose est désignée par le mot Danda, et Max Müller le traduit par « punition » dans sa traduction des Institutions de Manu. Mais je crois que la traduction correcte serait le mot « Justice » ou « Loi », plutôt que « punition » – la Justice étant considérée comme un Deva gouvernant les rois plus sévèrement que les peuples, de sorte que lorsque le roi allait à l’encontre de la Justice, la Justice le coupait. Ainsi, vous avez le fameux avertissement que vous pouvez lire, sorti de la bouche d’un homme d’État hindou à un jeune monarque, où il lui est recommandé de redouter par-dessus tout les cris des faibles. « La faiblesse », dit l’homme d’État mourant, « est le pire ennemi des rois. La malédiction des faibles, les larmes des faibles détruisent le trône de l’oppresseur. » Et cette pensée traverse toutes les vieilles théories du gouvernement en Orient ; de sorte que même aujourd’hui, en Inde, s’il y a une famine, une peste, une épidémie, c’est le gouvernement qui en est tenu pour responsable par les masses populaires. La vieille idée est que tout malheur national est la faute des dirigeants qui ont négligé leur devoir, et non la faute des gouvernés. Une telle idée est tout à fait hors de portée de la pensée d’un penseur ou d’un homme d’État occidental ; et pourtant, pour la sécurité de l’Empire indien, il est nécessaire de comprendre la pensée du peuple indien, et pas seulement celle de l’Occident.et de faire face à cette pensée à mesure qu’elle se répand dans les esprits des vastes masses de la population ignorante, ignorante des coutumes occidentales, mais non ignorante de leurs propres traditions.
Passons de ce point de vue au grand idéal suivant que nous trouvons en Orient, qui découle naturellement de cet idéal de la responsabilité des dirigeants envers les gouvernés : l’idée du devoir. Le mot « devoir » n’a pas la même force que le mot sanskrit « dharma » qui signifie bien plus que cela. Il signifie la loi de tout son passé, par laquelle l’homme s’incarne dans le lieu pour lequel son évolution le rend apte ; la loi qui, l’y plaçant, l’entoure de tous les devoirs nécessaires, par l’accomplissement desquels se fera sa prochaine étape d’évolution. Tout cela est contenu dans le mot indien « dharma ». En venant au monde, avec le passé derrière nous, nous sommes guidés vers des environnements inadéquats. Dans les devoirs imposés à l’homme par cet environnement se trouve son meilleur chemin d’évolution. S’il les accomplit bien pour le progrès de l’âme, s’il les néglige, le progrès lui devient impossible. C’est pourquoi l’idéal social et politique des nations orientales est construit sur le devoir, pour prendre un terme plus restreint. L’idéal ici, bien sûr, est celui des « droits ». L’homme a certains droits dès sa naissance ; cette idée a fait la révolution américaine, puis la révolution française, et est devenue plus tard encore la pensée fondamentale des écrivains politiques et économiques du début du XIXe siècle ; mais cette idée de droits n’existe pas en Orient. Elle a sa place dans l’évolution, mais c’est un idéal de combat, de compétition, absolument nécessaire, avec tous ses accompagnements indésirables, comme étape du progrès de l’humanité ; mais c’est l’antithèse même de l’idéal oriental, qui voit l’homme entouré de devoirs et est pratiquement aveugle à ses droits. Aucun homme qui suit un idéal oriental ne dit : « J’ai le droit d’avoir ceci ou cela ». Le devoir, oui, le devoir envers tous ceux qui l’entourent, envers ses inférieurs, ses égaux et ses supérieurs, mais toujours le devoir, et il n’y a pas d’excuse pour manquer à son devoir parce qu’un autre a manqué à son devoir envers soi-même. De là naît une attitude entièrement différente envers la vie ; de là la facilité avec laquelle il est possible de gouverner les peuples orientaux. Je ne défends pas l’un ou l’autre idéal, mais j’essaie simplement de nous faire prendre conscience de la différence profonde entre les deux et de la valeur que cet idéal du devoir peut apporter au monde, afin qu’il ne disparaisse pas complètement de l’esprit des hommes. Ce qu’il peut faire, incarné dans une nation, nous l’avons vu dans les triomphes du Japon.
De cet idéal naît une autre idée : le caractère relatif de toute moralité. Un homme né dans un certain milieu de devoirs trouve sa propre moralité dans l’accomplissement des devoirs que lui impose son milieu. Sa moralité variera donc selon sa position, selon son stade d’évolution. Aucun sage ou penseur oriental ne rêve d’établir un idéal moral commun à tous ; c’est une fantaisie purement occidentale, qui ne fonctionne pas très bien dans l’ensemble. En Orient, la caste des combattants aura son propre ensemble de devoirs et sa propre moralité ; la caste des enseignants aura ses propres devoirs et sa propre moralité, très différents de l’humilité du combattant ; la caste des marchands aura ses propres devoirs et sa propre moralité ; et le paysan et l’artisan auront leur propre code moral et leurs propres devoirs. Le serviteur a son code spécial, qui comporte relativement peu de devoirs – obéissance, honnêteté et bon service – mais ceux qu’il doit remplir avec soin. En dehors de cela, ce qui serait mal voulu n’est pas considéré comme mal pour lui. Les autres parties des codes moraux trouveront leur accomplissement dans les vies qui restent à vivre. Rien ne presse. Nous n’avons pas besoin d’essayer d’atteindre la perfection universelle en une seule vie – la plus impossible de toutes les tâches impossibles. Si nous apprenons les devoirs propres à notre stade et les accomplissons bien, notre progrès est assuré. Le code moral variera donc à chaque stade. Je vais prendre un exemple courant. Un homme en Inde abandonne tout, est devenu ce qu’on appellerait en Occident un moine du type le plus extrême de pauvreté. Il ne possède rien ; il a donné sa vie au service du monde, et ceux qui guident le monde dirigeront cette vie. Il n’a qu’à donner. Il n’a plus à se soucier de sa propre vie. Cette vision d’abandon absolu va de pair avec le devoir d’innocuité absolue. Il ne doit pas toucher une vie qui partage le monde avec lui. Le serpent venimeux ne doit pas être tué, le tigre ne doit pas être blessé. Il ne doit utiliser aucun pouvoir de la vie abandonnée pour la défendre contre l’attaque d’une autre créature ; car si le serpent ou le tigre viennent à lui et le tuent, il vient comme un messager de derrière le voile pour lui dire que son service dans ce corps est terminé. Mais la même règle ne s’applique pas au chef de famille, à l’homme qui a des enfants à garder, des serviteurs à protéger, des animaux qui font partie de sa maison. En tant que gardien des vies plus jeunes et plus faibles, il doit se tenir entre elles et le péril, et il est tout autant de son devoir de tuer le serpent intrus, s’il les menace, que du devoir du Sannyasin de le laisser passer sans lui faire de mal. De là naît une grande confusion dans l’esprit occidental lorsqu’il lit des livres orientaux, car ils lisent, comme obligatoires pour tous, des idéaux qui, en Orient, sont liés à leur propre stade d’évolution – une doctrine qui trouve peu d’acceptation en Occident. Et naturellement, il en est de même chez les chrétiens modernes, car le Sermon sur la Montagne est présenté comme l’idéal moral,Mais cet idéal de non-résistance appliqué à l’homme ordinaire est impossible et donc négligé. Quand un homme comme Tolstoï l’applique à tout le monde, on dit de lui qu’il est un « excentrique ». Il est certainement très imprudent. Aucun État ne pourrait vivre sur un tel fondement, faux aussi bien pour le citoyen que pour le voleur, vrai seulement pour le saint. L’ancien archevêque de Peterborough a dit qu’une nation fondée sur le Sermon sur la montagne s’effondrerait très vite. Mais alors n’est-il pas dommage de faire du Sermon sur la montagne un principe obligatoire pour tous les chrétiens ? Car le résultat est que, dans la mesure où ils savent que c’est impossible pour eux, cela les conduit à professer du bout des lèvres une croyance qui ne guide pas la vie. La vision de la relativité de la morale est un autre des précieux idéaux orientaux qui peuvent alors avoir quelque chose à faire et à dire en Occident.
Le dernier grand idéal de grande portée que je puisse aborder ici est celui de ce qu’on appelle aujourd’hui la « vie simple » et la pauvreté volontaire. Il faut qu’une nation ait un certain niveau de position sociale. Dans la plupart des nations occidentales, depuis l’époque féodale, le niveau de position sociale est le niveau de naissance. Ces dernières années, ce niveau s’est largement mêlé au niveau de l’argent, en partie parce que les grandes richesses recevaient souvent un titre qui plaçait leur propriétaire parmi ceux dont les titres leur étaient parvenus par une longue lignée, et en partie parce que, avec le luxe croissant de l’époque, la richesse pesait de plus en plus lourd sur la distinction sociale. Le résultat de cette situation se manifeste largement dans la vulgarisation de la société, dans la perte des manières nobles, majestueuses et dignes. Un homme qui fait une immense fortune n’a en règle générale ni le temps, ni les loisirs, ni le goût pour la culture des facultés mentales les plus délicates, ni pour les grâces qui vont de pair avec une culture qui a traversé les siècles. Et ainsi, peu à peu, dans le monde occidental, un nouvel étalon s’impose face à l’étalon de la naissance : l’étalon de la grande richesse. La société s’adapte à ces nouvelles conditions.
Les manières de la grande dame d’autrefois sont bel et bien révolues, et la voix forte, le rire bruyant, les gestes familiers ont remplacé le ton doux, le rire bas et musical, l’attitude courtoise mais majestueuse des chefs de la société, quand une clé d’or n’ouvrait pas toutes les portes. Et ce changement signifie beaucoup, car
Les manières ne sont pas vaines, mais le fruitd’une nature loyale et d’un esprit noble.
L’aristocratie doit être la gardienne de manières majestueuses, d’une tenue digne, d’une culture artistique, d’une vie simple ou fastueuse, selon la convenance de l’occasion, l’exemple permanent du « bon goût ». L’automobile ne le symbolise que trop bien, fonçant à toute allure, insouciante de sa vie et de ses membres, criant sa priorité de façon discordante, cliquetant bruyamment et haletant furieusement, sans se soucier de tout autre confort que le sien, répandant poussière et odeur nauséabonde sur tout ce qui se trouve derrière elle.
En Orient, la richesse n’a jamais été considérée comme la norme de la considération sociale ; au contraire, l’accumulation des richesses était l’œuvre de la troisième caste, et non de la deuxième ni de la plus élevée. Les castes guerrière et enseignante n’avaient pas pour devoir d’amasser et de conserver des richesses. Le guerrier devait être généreux et splendide. Vous pouvez encore trouver en Inde un immense étalage de richesses chez les dirigeants et les princes lors des occasions officielles ; mais entrez dans leurs maisons quand il n’y a pas de grande cérémonie, mêlez-vous à eux dans leur vie domestique et vous y trouverez une vie simple – la splendeur pour les cérémonies du rang, la simplicité pour le service au foyer. Et lorsque de la caste guerrière et de sa splendeur publique vous passez à la classe des érudits, alors la richesse est considérée comme une honte, non comme un motif d’orgueil. « La richesse d’un enseignant, c’est son savoir », est-il écrit. Et la considération sociale, vous devez vous en souvenir, est allée à l’enseignant, non au millionnaire, de sorte que le millionnaire et le prince se prosternent tous deux aux pieds de l’homme à moitié nu mais érudit. Cela donne un niveau de vie sociale entièrement différent, et cela fonctionne encore aujourd’hui, malgré tous les changements qui ont eu lieu dans la vie indienne. Le mode de vie ordinaire, si semblable dans les différentes classes, rassemble ces différentes classes d’une manière dont on n’aurait jamais rêvé en Occident. Vous envoyez chercher un homme en Inde pour vous vendre un châle. Il entre dans votre chambre et s’assoit sur un tapis près de vous. Il joue avec vos enfants, il parle avec vous comme un ami avec un ami, jusqu’à ce que le coolie vienne avec les châles parmi lesquels vous pouvez choisir. Il n’aurait jamais songé à prendre ce qu’on appelle ici une liberté ; il est trop bien élevé. Vous rencontrer de cette façon, ce n’est pas prendre une liberté, mais reconnaître une vie humaine commune. Et ainsi de suite ; et dans la mesure où les vêtements et la nourriture sont très semblables dans les différentes classes, sauf là où l’influence occidentale s’est répandue, on n’y trouve pas la même amertume et la même jalousie qu’en Occident, où la vie des pauvres est obligatoirement simple, et celle des riches luxueuse et compliquée. Les deux hommes, chez eux, ne porteront qu’un seul vêtement, plus fin dans un cas que dans l’autre, mais toujours le simple vêtement commun porté de la même façon ; tous deux s’assoient à leurs repas de la même manière, et la différence des repas n’est pas aussi grande qu’on pourrait le penser. Ce sont ces forces qui font que le raffinement général des gens se remarque en Inde. Vous pouvez rencontrer un homme qui n’est qu’un ouvrier, mais ses manières seront celles d’un gentleman. Un gentleman donne une pièce de théâtre dans sa maison, et n’importe qui peut entrer de la rue et partager l’amusement ; une partie de la salle est réservée aux invités ; la foule non invitée à l’extérieur est parfaitement bien élevée et satisfaite. Vous y trouvez du raffinement, car le standard pour tous est tellement semblable dans ces choses extérieures. Vivre luxueusement signifie vivre à la manière occidentale,et parmi la masse des gens, c’est plutôt un reproche qu’un éloge, bien qu’il y ait un désir croissant d’imiter, ce qui menace largement de corrompre la vieille simplicité de la vie indienne.
Cette simplicité de la vie matérielle qui met l’accent sur la connaissance, le caractère, le service plutôt que sur la richesse, combien il serait bon que les nations occidentales la connaissent aussi dans une certaine mesure ! La concurrence effroyable, la multiplication sans fin des articles de luxe, l’encombrement des maisons par des meubles inutiles et l’accumulation sur ces meubles de bibelots encore plus inutiles, de sorte que lorsque vous entrez dans une pièce, celle-ci ressemble plus à un bazar qu’à une pièce – toutes ces choses que vous voyez de tous côtés ne tendent pas à la beauté mais seulement à l’ostentation. C’est la vulgarisation de l’ensemble des peuples et leur abaissement à un niveau de vie inférieur. Cela signifie une concurrence accrue, une lutte accrue. Cela signifie que les pauvres deviennent plus pauvres tandis que les riches deviennent plus riches ; car cela signifie que le travail est transformé en des moyens inutiles, que de nouveaux besoins se multiplient et que de nouveaux objets sont conçus pour y répondre, jusqu’à ce que toute la vie devienne complexe et surchargée. Et bien que je ne demande pas que chaque vie soit aussi simple que la meilleure vie indienne, je dis qu’il serait bon pour l’Angleterre, et pour toutes les nations occidentales, que ceux qui seuls peuvent le faire – les riches et les haut placés, surtout les haut placés, encore plus que les riches – adoptent une noble simplicité et une beauté de vie digne, qui encourageraient le véritable art mais décourageraient l’ostentation oisive et remplaceraient l’ostentation par la beauté, et le luxe excessif par la simplicité.
Revenons maintenant à mon point de départ. Ces idéaux de l’Orient étaient en danger de disparition. L’humanité ne peut se permettre de les laisser mourir. L’énergie, l’initiative et la volonté de l’Occident d’assumer ses responsabilités sont toutes bonnes pour la vie orientale ; mais l’Occident a aussi beaucoup à apprendre de l’Orient et beaucoup à lui enseigner. Le danger était que la puissance croissante de l’Occident en Orient ne tue ces grands idéaux qui changent l’attitude des hommes envers le monde et envers la vie en général. Et si l’équilibre est rétabli aujourd’hui, si sur terre et sur mer une nation orientale conquiert une nation occidentale, c’est parce que l’Occident n’apprend à respecter que là où la force armée peut lui tenir tête, et les idéaux orientaux n’ont aucune chance d’être méprisés et méprisés tant qu’ils ne sont pas élevés au sommet d’une main qui sait manier l’épée et se montre aussi forte sur le champ de bataille qu’elle l’est dans le royaume de l’esprit.
LES DESTINÉES DES NATIONS
Dans la dernière conférence, j’ai souligné que certaines grandes idées, nécessaires à l’évolution de la race, peuvent être considérées comme appartenant spécialement aux civilisations de l’Orient, et que ces idées risquaient d’être piétinées par les civilisations occidentales en progrès. Nous avons vu que cela constituait un danger pour l’humanité tout entière, les idéaux des civilisations orientales et occidentales étant nécessaires à l’avenir du monde ; et qu’il devenait nécessaire qu’une intervention précise ait lieu pour rétablir l’équilibre de la pensée. Je désire maintenant attirer l’attention sur la nature de cette intervention, montrer ce qui se cache derrière les destinées des nations et quelles forces guident le cours des affaires, afin que nous puissions voir à travers le voile des événements les forces qui les guident. Le grand drame mondial n’est pas écrit par la plume du hasard, mais par la pensée du Logos, guidant son monde sur la route de l’évolution. Au cours de cette évolution, de nombreux êtres sont concernés. Nous devons considérer ce monde comme une partie d’une chaîne de mondes étroitement liés entre eux, tous les habitants de ces différents mondes ayant quelque chose à dire dans les parties du drame qui se jouent dans chacun d’eux. Nous vivons tous dans trois mondes différents, et pas seulement dans un seul ; et que ce soit dans le monde physique, dans le monde suivant, l’astral, ou dans le troisième, le monde céleste, les habitants sont occupés à la conduite générale des affaires qui affectent les trois. La vie devient énormément plus intéressante lorsque nous reconnaissons qu’elle se façonne non seulement dans le monde physique mais aussi dans d’autres mondes, et que lorsque nous suivons les destinées des nations, nous découvrons que ces destinées remontent à l’arrière-plan, et que le déroulement dans le présent est largement conditionné par les énergies du passé.
Examinons un instant le plan général de l’ensemble. Je le présenterai comme s’il s’agissait d’un grand drame écrit par une plume divine. L’histoire du monde et les différents rôles des acteurs sur la scène y sont tous écrits. Ce qui n’est pas déterminé, c’est qui seront les acteurs, et à cet égard, une grande part de ce que l’on appelle le choix intervient. Ce drame est la manifestation de certaines grandes idées de l’Esprit divin, idées inscrites, pour ainsi dire, dans les cieux ; car il est suggéré dans la pensée très ancienne que ce que nous appelons les signes du zodiaque ont un lien précis avec le cours des affaires humaines. Sur ce point, dans les grandes lignes, il n’y a aucun doute dans l’esprit de quiconque a pénétré un peu derrière le voile. L’importance de ces influences stellaires ne peut être surestimée ; En effet, dans la mesure où les êtres humains sont liés, par la composition de leur corps physique et de leurs autres corps plus subtils, aux mondes parmi lesquels ils se meuvent dans l’espace, il doit exister des relations magnétiques entre eux et le système dont ils font partie, et à certaines époques de l’histoire de l’évolution, il y aura telle ou telle influence dominante présente dans l’atmosphère dans laquelle les hommes pensent et agissent, et ils ne peuvent pas plus échapper à cette influence que leur corps ne peut échapper à l’influence du soleil lointain. Le grand drame, donc, est le grand plan de l’évolution humaine. Il est plein de rôles qui doivent être joués par les nations, mais pas nécessairement par telle ou telle nation ; car la nation se qualifie pour jouer un certain rôle qui peut être offert à plus d’une nation, et l’une ou l’autre peut se hisser à la hauteur de sa grande opportunité.
Laissons cela de côté pour un moment et posons-nous la question des forces qui contribuent à adapter les acteurs aux rôles. Peut-on trouver, dans ce qui semble être le grand chaos des volontés humaines, une force directrice qui réunisse l’acteur et le rôle ? On ne peut pas avoir un drame aussi vaste que le processus mondial, comme l’évolution, et un grand fossé entre l’Auteur d’un plan aussi vaste et les acteurs individuels qui composent les nations et choisissent les rôles.
Comment faire pour que le bon acteur soit mis en contact avec sa part dans l’histoire de la nation, dans l’histoire des naissances et des décès successifs des individus ? C’est le point suivant à saisir.
Or, le vaste mécanisme qui permet de réunir les parties et les acteurs se trouve dans les hiérarchies d’intelligences suprahumaines reconnues dans toutes les religions du monde et dans l’enseignement occulte sur lequel elles sont fondées. Aucune grande religion du passé ou du présent ne voit entourer le monde et se mêler à ses affaires par de vastes hiérarchies d’intelligences spirituelles entre les mains desquelles est confiée la tâche de réunir les acteurs et les parties. Vous verrez, si vous vous tournez vers les religions des nations du passé, comment elles ont reconnu que ces mécanismes jouaient un grand rôle dans la formation pratique des destinées des nations. Pas un seul grand peuple de l’Antiquité n’a eu ses propres « dieux » nationaux.
Le mot « Dieux » est cependant très confus dans la langue anglaise, car il s’applique non seulement à ces grandes armées d’Intelligences, mais aussi au Suprême, au Logos, l’Auteur du drame. Or, dans les nations qui ont d’autres religions que la religion chrétienne, cette confusion ne se produit pas. C’est lorsque le chrétien considère ceux qu’il appelle les « païens » que la plus grande confusion surgit, car dans toute leur vaste théologie il utilise le nom unique de « Dieu ». Et pourtant il pourrait facilement échapper à cette confusion en se rappelant que sa propre cosmogonie n’est qu’une reproduction des pensées plus anciennes de ces peuples plus anciens. En Orient, il existe un nom qui est utilisé pour ces Intelligences – le nom de « Devas », de la racine « div », qui signifie « briller » ou « jouer » ; « ceux qui brillent » ou « ceux qui jouent » serait la traduction anglaise. Lorsque Bunyan emploie si souvent le terme « êtres brillants », il emploie une expression tout à fait orientale, car c’est sous ce nom que l’Orient connaît cette grande hiérarchie de l’intelligence. Parmi les chrétiens et les musulmans, dont la religion s’inspire largement de la religion juive, on emploie le nom « Ange », les termes « Ange », « Archange », « Chérubins », « Séraphins », etc., étant représentés dans les religions plus anciennes soit par le mot « Deva » soit par un mot qui en dérive. « Dieu », au sens chrétien, est connu sous d’autres noms, et il n’y a pas de confusion.
Dans toutes les religions anciennes, ces Dévas jouaient un rôle énorme, et chaque nation avait son propre groupe de Dévas. Les Égyptiens considéraient certaines Intelligences surhumaines comme leurs premiers législateurs, et le lien entre le législateur humain, le Roi divin, et le Dévas est toujours clairement marqué. Chaque civilisation prend naissance dans un petit groupe, en partie humain, en partie surhumain, vers lequel elle se tourne et duquel elle tire ses lois. Les Grecs avaient leurs Demi-dieux ou Héros, et leurs Dieux ou Dévas. Ainsi, chez les Chinois, les Perses, les Indiens, on retrouve la même idée selon laquelle la nation est fondée par le groupe qui contient le législateur humain et le Dévas qui a travaillé avec lui à la construction de la nation. Celse laisse entendre que les êtres « à qui était assignée la charge de surveiller le pays pour lequel on légiférait, ont promulgué les lois de chaque pays en coopération avec ses législateurs. Il semble alors indiquer que le pays des Juifs et la nation qui l’habite sont surveillés par un ou plusieurs êtres qui ont coopéré avec Moïse et ont promulgué les lois des Juifs » (Origène, Con. Cel. V, xxv).
Les Rois Divins, les Héros, ont disparu, mais le Déva demeure toujours à la tête de chaque nation, une existence réelle dans les mondes astral et céleste, avec une foule d’intelligences moins développées sous sa main directrice. Et quand vous en arrivez aux Juifs, vous trouvez cette idée très clairement exprimée dans leurs écritures. Je m’arrête un instant sur ce point, car la phrase que je vais prendre de l’Ancien Testament, du Deutéronome, donne exactement l’idée que je veux prendre en considérant le déroulement des destinées d’une nation : « Quand le Très-Haut divisa les nations, quand il dispersa les fils d’Adam, il fixa les limites des peuples selon le nombre des anges de Dieu ; et la part du Seigneur fut son peuple Jacob » (Deut., xxxii, 8, 9, Septante). Pour beaucoup de lecteurs modernes, la dernière partie de cette phrase, « le Seigneur », peut paraître surprenante, car ils ont l’habitude de rattacher ce mot au Dieu suprême ; mais nous pouvons voir d’après l’ensemble de la phrase que c’est le nom « Très-Haut » qui indique le Logos, le Dieu manifesté, et il « divise toutes les nations du monde selon le nombre des anges, et à un grand ange, « le Seigneur », il donne Jacob, Israël, comme sa part particulière. » Origène, en traitant de cela, fait allusion aux « raisons relatives à la nature de la nation » (Deut., XXXII, 8, 9, Septante). Il souligne que dans l’histoire grecque, « certains de ceux qui sont considérés comme des dieux sont présentés comme ayant lutté entre eux pour la possession de l’Attique ; tandis que dans les écrits des poètes grecs, certains de ceux qu’on appelle des dieux sont représentés comme reconnaissant que certains endroits ici sont préférés par eux à d’autres » (Cau. Cel. V, xxix). Il souligne ainsi qu’après ce qu’il considère comme la dispersion symbolique, lors de la construction de la tour de Babel, les différentes nations furent données à ces groupes d’êtres célestes (Ibid., xxxiv). Cette idée du « ministère des anges » est très générale chez les premiers chrétiens ; ainsi nous avons chez Hermas la vision de la construction d’une tour :
« Et je lui répondis : Ces choses sont très admirables ; mais, madame, qui sont ces six jeunes gens qui construisent ?
« Ce sont, dit-elle, les anges de Dieu, qui ont été institués les premiers, et à qui le Seigneur a confié toutes ses créatures pour les former, les édifier et les gouverner. Car c’est par eux que sera achevée la construction de la tour.
” Et qui sont les autres qui leur apportent des pierres
« Ce sont aussi les saints anges du Seigneur ; mais les autres sont plus excellents que ceux-ci. C’est pourquoi, lorsque toute la construction de la tour sera achevée, ils festoieront tous ensemble à côté de la tour, et glorifieront Dieu, parce que la construction de la tour est achevée » (1er Livre d’Hermas, Vision iii, 43-46).
Clément (1ère épître, xiii, 7) cite le texte cité plus haut. On notera aussi la remarque suivante faite par Satan au prince de l’enfer au sujet de Jésus : « Quant à moi, je l’ai tenté, et j’ai excité contre lui mon vieux peuple, les Juifs, avec zèle et colère » (Evangile de Nicodème, xv, 9). Les Juifs étaient sous Saturne, ou Jéhovah, selon Origène. La même idée est enseignée chez les musulmans. Ils considèrent que les anges prennent une part très active aux affaires des hommes. Et il est à peine nécessaire de vous rappeler que dans les grands poèmes épiques de l’Inde, le Mahâbhârata et le Ramâyâna, vous trouvez les Devas se mêlant aux affaires des hommes, de sorte que, lorsque de grandes querelles doivent être décidées, ils prennent manifestement part à la lutte, chacun luttant pour la tribu ou la nation particulière placée entre ses mains pour son évolution. Un correspondant de Bristol, M. Tudor Pole, m’a dit qu’il existe une vieille légende teutonique selon laquelle, à la veille du Nouvel An, tous les « dirigeants intérieurs », les anges des nations, se réunissent devant le Conseil des dieux pour recevoir leurs ordres pour l’année à venir ; chacun doit formuler sa requête quant au destin de sa nation au cours de l’année à venir ; le Conseil décide du rôle que chaque nation jouera au cours de l’année suivante, et les grands seigneurs sont consultés. Finalement, les dirigeants se dispersent, certains avec de la musique et de la joie, d’autres en pleurs, d’autres encore dans une grande agonie.
En Grèce, les « dieux » et les hommes se mélangent souvent, et les Grecs, malgré leur philosophie, considéraient la chose comme réelle et non comme un conte de fées, bien que les philosophes grecs, comme les hindous et les bouddhistes, n’adoraient pas ces « dieux ». Dans le septième livre de l’Odyssée, nous lisons comment « Minerve rencontre Ulysse, sous la forme d’une jeune fille portant une cruche », et elle le guide jusqu’au lieu d’Alcinoos, un lieu gardé, à la manière atlante, par des chiens immortels d’or et d’argent, créés par l’esprit de Vulcain. Et il en est de même dans bien d’autres contes, écrits à une époque où l’esprit des hommes était moins aveuglé qu’il ne l’est aujourd’hui.
Bien entendu, cette idée a disparu dans les temps modernes, et elle doit paraître un conte de fées aux lecteurs modernes lorsqu’ils mettent ces pensées en contact avec des choses qui peuvent leur sembler bien plus réelles : les luttes des rois et la politique du monde moderne. Et pourtant, derrière tout cela, les forces de coordination sont toujours continuellement à l’œuvre ; et lorsque vient le temps pour une nation de jouer un rôle triomphant dans l’histoire courante du monde, alors, bien des années avant le moment du triomphe, des âmes dévas qui sont aptes à la construire et à la guider dans la lutte à venir sont guidées vers cette nation par les âmes qui sont aptes à l’édifier et à la guider dans la lutte à venir. Et lorsque vient le temps pour une nation de sombrer dans l’histoire courante du monde, des âmes faibles, sous-développées, cruelles, tyranniques, qui se sont préparées à jouer de tels rôles dans le grand drame national, sont guidées vers l’incarnation. Gardons donc cette théorie à l’esprit : le drame d’un côté, cette grande agence de coordination de l’autre, qui guide les acteurs choisis par eux-mêmes vers les rôles qui leur sont assignés.
Et maintenant, examinons quelques-unes des nations elles-mêmes et voyons dans quelle mesure les destinées qu’elles accomplissent s’accordent avec cette idée d’une main directrice derrière le voile. Prenons pour exemple la construction d’un puissant empire occidental, afin que la grande Cinquième Race, avec son évolution de l’esprit concret, puisse jouer son rôle dans le drame pour le bien de l’humanité tout entière. Et voyons, si nous le pouvons, si certains courants précis ne peuvent pas être suivis qui montrent un plan définitivement élaboré, et non pas le simple mélange des volontés chaotiques, des ambitions et des égoïsmes des nations.
Peu à peu, cette partie de la nation se prépara à se placer au-dessus des autres nations du monde. La première nation à qui cette place fut offerte fut l’Espagne, qui s’y était préparée par une évolution très marquée et extraordinaire. Elle fut le théâtre d’un grand flot de connaissances qui se rattachaient à la philosophie grecque mourante et qui tiraient leurs riches réserves des écoles néoplatoniciennes. Dans le sud de l’Espagne, arriva la grande incursion venue d’Arabie, riche de toutes les connaissances apportées par les puissantes écoles de Bagdad, qui s’étendirent dans le sud de l’Espagne et de là dans toute l’Europe. Colomb fut envoyé vers elle, qui lui permit de déployer ses troupes conquérantes au-delà de l’Atlantique et de soumettre le Nouveau Monde à son sceptre impérial. Comment l’Espagne saisit-elle cette merveilleuse occasion ? Dans son sillage, l’armée de Colomb soumit le Mexique et le Pérou à sa domination et détruisit leurs anciennes civilisations, dépassées et prêtes à être détruites. Elle avait mis sur ses épaules la tâche de construire dans ce nouveau monde une civilisation fondée sur les bases solides laissées là par l’Atlantide, capable de soutenir l’édifice de la pensée et du savoir nouveaux. Chacun sait comment elle a laissé passer cette occasion ; comment elle a chassé de son propre pays les Maures et les Juifs, les héritiers du savoir, de la philosophie et de la science ; et comment, dans le nouveau monde, avec son avidité pour l’or, elle n’a pas fait attention aux peuples placés entre ses mains, mais les a piétinés jusqu’à les réduire en poussière. Ainsi, sa part dans le drame lui a été retirée et offerte à un autre peuple.
Une autre nation se présenta à la course, une nation qui, malgré ses nombreux défauts, avait aussi de grandes vertus. L’Angleterre, étendant sa race au loin, soumit de plus en plus à son empire pays après pays. Elle obtint l’offre d’un empire mondial par un acte de droiture nationale : la libération des esclaves, accompagnée d’un grand acte de justice nationale qui ne sacrifia aucune classe, mais imposa le fardeau de la libération à la nation entière. En échange, ceux qui guidaient ses destinées se virent offrir la possibilité de dominer le monde. Toutes les nations qui tentèrent de s’établir dans cette grande terre de l’Orient, l’Inde, échouèrent l’une après l’autre, jusqu’à ce que la race anglaise y pose les pieds. L’histoire de cette installation n’est pas agréable à lire, et de nombreux crimes furent commis ; pourtant, dans l’ensemble, la nation essaya de faire de son mieux pour corriger les oppressions exercées en Inde – alors si inaccessibles – comme en témoigne son action envers son grand proconsul, Warren Hastings, lorsqu’elle le fit comparaître devant le monde pour ses mauvaises actions. Malgré ses nombreux défauts, elle a pu s’élever de plus en plus haut dans le monde oriental, en partie aussi parce qu’elle offrait, avec ses colonies et sa langue en expansion, l’instrument mondial le plus efficace pour diffuser la pensée de l’Orient sur les civilisations de l’Occident. Chacun sait jusqu’où cela est allé, comment dans toute l’Amérique du Nord, dans la lointaine Australasie, ainsi que dans son propre pays, la pensée et la philosophie orientales ont pénétré partout, de sorte que les trésors de la science sanskrite, si jalousement conservés jusqu’au moment où le moment était venu de les diffuser, se répandent sur toute la surface du globe.
Les Êtres supérieurs qui guident la nation s’efforcent sans cesse, par des leçons sans cesse répétées, de faire comprendre à l’Angleterre que seule la droiture peut à long terme permettre à une nation de s’élever. Et à un moment critique, alors que le luxe devenait trop énervant, trop égoïste, la terrible leçon de l’Afrique du Sud a gravé dans la conscience anglaise la leçon selon laquelle le devoir et la justice doivent primer sur le luxe. Les feux du désastre ont enseigné à l’Angleterre une leçon qui, Dieu veuille, lui sera utile pour son avenir.
Et puis se posa la question de savoir quelle nation devait être choisie pour élever les idéaux de l’Orient. L’Inde, à ce stade de l’histoire du monde, ne pouvait pas faire le travail nécessaire ; elle apprenait ses leçons sous un conquérant ; mais il y avait une nation en Extrême-Orient qui avait en elle la possibilité d’apprendre la leçon, et les Dévas de la nation commencèrent à s’efforcer de former dans cette île lointaine un peuple apte à la grande tâche d’élever la pensée orientale, de montrer que la conquête peut aller de pair avec la douceur et la maîtrise de soi, et qu’une nation peut devenir une grande puissance sans perdre le sens du devoir. Le travail commença par un changement dans l’éducation du peuple, qui pourrait rendre la nation consciente d’elle-même, et alors dans le sol ainsi préparé naquit un groupe d’âmes héroïques. Le Mikado du Japon, une âme puissante, capable d’incarner pour cette nation sa propre grandeur, capable d’utiliser un tel pouvoir qu’en un bref espace d’années il puisse transformer la nation, lui donner une nouvelle forme, développer en elle des forces inconnues, et en même temps faire apparaître une personnalité si merveilleuse que toute cette nation le regarde comme un dirigeant de droit divin, de la personne sacrée duquel découlent les pouvoirs qui se manifestent dans la nation, chaque triomphe reflétant une gloire nouvelle sur sa personnalité. Et autour de lui se rassemblent les grands, les uns après les autres, pour le travail d’élever la nation, jusqu’à ce qu’à chaque point important vous voyiez un homme d’État, un général, un amiral, apte à conduire le peuple de triomphe en triomphe. Un groupe d’âmes fortes est guidé pour s’incarner là, afin que la nation puisse accomplir sa destinée ; car aucune nation ne peut être grande si au centre il n’y a pas un idéal, une loyauté et un dévouement parfaits. Ce n’est pas une simple phrase du bout des lèvres, mais l’expression d’un sentiment profond dans le cœur du soldat et du général, lorsqu’ils remercient leur souverain pour la victoire sur le terrain et, avec la dévotion orientale, disent qu’il est le représentant de Dieu parmi eux.
Jetez un coup d’œil à l’autre nation dans le grand duel qui se livre en Asie orientale et voyez avec quelle étrangeté la Russie, nation promise à un grand avenir, est guidée à travers la terrible vallée de l’humiliation. La préparation à cette partie calamiteuse du drame réside dans ce qui s’est passé avant, même dans les limites de notre propre vie. Il y a un moment, il y a vingt-cinq ou trente ans, où une merveilleuse occasion s’est présentée à la Russie. Bien que maladroite, la libération des serfs était motivée par une noble impulsion et il y avait une possibilité que cet acte puisse être utilisé à bon escient pour la nation et l’élever au lieu de la conduire au bord de la destruction comme cela a été le cas. Et alors, de nombreuses âmes nées à cette époque parmi les nobles de Russie firent une des plus merveilleuses choses que le monde ait jamais vues : ils se jetèrent hors de leur rang parmi les pauvres, les ignorants et les opprimés, les jeunes gens et les jeunes filles de la noblesse se donnèrent à l’élévation du peuple, non par une charité lointaine, mais par un merveilleux élan de sacrifice de soi. Et comment cela fut-il satisfait ? La divine compassion de ces jeunes gens et de ces jeunes filles fut satisfaite par la forteresse de Pierre et Paul, par les mines, les déserts et les neiges de Sibérie. Rien de plus terrible n’a été accompli par un gouvernement d’aucun peuple dans les temps modernes. Et terrible la Némésis. Poussés par le désespoir, leurs tentatives de s’élever en toute douceur se heurtèrent au knout et au cachot souterrain, à la famine pour les hommes, au déshonneur pour les femmes. Comment s’étonner que certains d’entre eux soient devenus fous ? Il n’est pas étonnant que certains d’entre eux, après des années de patience et de souffrances les plus cruelles, aient finalement répondu par la bombe au knout. Cet état de choses a été créé en premier lieu par la bureaucratie et non par les victimes. Des milliers et des milliers de ceux qui auraient sauvé la Russie sont morts sur les échafauds, ont été massacrés dans ces mines effroyables, jusqu’à ce que la patience des dieux soit enfin épuisée et que le moment soit venu pour le gouvernement d’apprendre que les gouvernements existent pour aider et non pour écraser leurs peuples.
La Russie a donc choisi, par son passé, le rôle terrible qu’elle joue aujourd’hui sur la scène du monde. Contre elle se dressent toutes les forces qui font avancer le monde ; contre elle, du monde astral, les myriades qu’elle y a envoyées avant l’heure, tous ses martyrs, toutes ses victimes, luttent contre elle. D’où le bilan d’une défaite sans précédent. Et chez elle, la révolution, l’anarchie, les assassinats et les mutineries menacent de toutes parts son système gouvernemental, jusqu’à ce que la Russie ne puisse plus aujourd’hui fouler d’un bout à l’autre cette vallée de l’ombre de la mort ; et, le cœur douloureux, mais d’une main ferme, ses gardiens angéliques la guident à travers la défaite et le désastre, désireux que leur charge apprenne ses leçons quel qu’en soit le prix. Car, à ses yeux clairs, l’agonie de la nation pour le moment importe peu, à côté des leçons que l’on apprend au cours de cette agonie ; et jusqu’à ce que la tyrannie elle-même soit écrasée et que les dirigeants de la Russie apprennent leurs devoirs envers le peuple, elle doit encore fouler le pressoir du vin de la colère divine.
Et voyez comme la Russie a été préparée à cela. Parmi tous ses dirigeants, pas un seul homme fort ; partout la faiblesse et l’incertitude, changeaient de politique à chaque instant. Remarquez le gouvernement de celui qui devrait être le père, mais qui est le tyran de son peuple – peut-être pas un homme mauvais en soi, mais totalement indigne de son poste. Il fait partie du destin d’une nation que, lorsque l’heure de sa fin sonne, rien d’autre que la faiblesse ne naisse dans ses classes dirigeantes, de sorte que ceux qui ne veulent pas gouverner correctement perdent le pouvoir de gouverner. Et sur ces terribles champs de bataille dont nous avons lu les comptes rendus dans la presse quotidienne, y a-t-il quelque chose de plus pathétique que le courage intrépide des soldats et l’incompétence désespérée des officiers ? Ce n’est pas que les soldats ne se battent pas, mais qu’ils sont dirigés par des hommes qui ne savent pas diriger.
C’est ainsi que les nations sont dirigées d’en haut, et que dans la nation qui doit sombrer sont dirigés ceux qui, inévitablement, l’entraînent vers le bas. Il en fut de même en Espagne, où il y avait un roi enfant et aucun ministre capable de la guider dans la lutte contre Cuba et l’Amérique.
Et comment sont choisis ces dirigeants ? Ils sont choisis par leur propre vie passée. Un homme est désintéressé, courageux et noble, et un tel homme, dans les innombrables choix de sa vie quotidienne, fait le choix du rôle splendide qu’il jouera plus tard dans l’humanité. Il en va de même pour ceux qui sont grands à l’extérieur, mais qui doivent jouer un rôle sordide. Par d’innombrables égoïsmes et en se préférant à eux-mêmes, en empruntant toujours le chemin le plus bas au lieu du plus élevé, ces hommes choisissent aussi leur rôle dans l’histoire.
C’est ainsi que l’occultiste regarde l’histoire humaine et voit se préparer autour de lui, de tous côtés, les hommes et les femmes qui seront les acteurs de l’avenir dans les parties les plus importantes du drame mondial. Car personne ne nous impose un rôle quelconque, ni ne nous impose une place spéciale dans le drame mondial. Nous choisissons pour nous-mêmes. Nous nous construisons pour la gloire ou pour la honte, et comme nous le construisons, nous le serons inévitablement par la suite. Il s’ensuit que pour qu’une nation soit grande, ses citoyens doivent lentement édifier leur grandeur en eux-mêmes. C’est pourquoi la grandeur que vous voyez maintenant au Japon est une grandeur que vous pouvez reconnaître chez les hommes et les femmes ordinaires de ce pays, qui sont prêts à sacrifier tout ce qui leur est le plus cher pour le bien de leur pays et la gloire de leur chef.
Il en est de même pour l’Angleterre, si elle veut remplir le rôle important qui lui est confié dans un avenir proche. Elle doit édifier ses fils et ses filles sur des modèles héroïques, en plaçant la droiture au-dessus du luxe, la pensée au-dessus du plaisir, en choisissant l’effort, l’héroïsme, le sacrifice de soi dans la vie quotidienne, et non les plaisirs mesquins, les petits luxes et les misérables satisfactions sensuelles, aucun grand édifice ne peut être construit avec des briques pourries, et aucune nation puissante ne peut être façonnée avec des matériaux de mauvaise qualité. Les destinées des nations reposent sur les foyers qui les composent, et les hommes, les femmes et les enfants nobles portent en eux la promesse de la grandeur nationale future. Et à mesure que nous améliorerons nos conditions de vie, des âmes plus élevées et plus évoluées naîtront parmi nous. Alors que nous avons des taudis et des endroits misérables, nous construisons des habitations pour des âmes peu évoluées, que nous attirons dans la nation. Sous la terre pousse la racine, d’où sortiront la fleur et le fruit, et pauvre science horticole qui place une racine pourrie dans le sol et attend d’elle une fleur parfaite et un fruit splendide. Si nous voulons que l’Angleterre soit grande parmi les nations et que sa destinée soit une destinée impériale au service de l’humanité tout entière, nous devons cultiver le sol du caractère, planter les racines saines d’une vie noble, juste et simple, et alors la destinée est inévitable, et la nation sera destinée à jouer un rôle impérial dans le drame du monde.