dim 09 mars 2025 - 23:03

« Je vous crée, constitue et reçois apprenti Franc-maçon »

Lors de la cérémonie d’initiation et d’intégration au Premier degré du Rite Écossais Ancien et Accepté arrive un moment essentiel : le néophyte devient membre de la Loge au sens plein du terme. Le Vénérable Maître l’invite à gravir les marches de l’Orient et le reçoit « Apprenti Franc-maçon de REAA » et membre de sa Respectable Loge en plaçant sur sa tête puis ses épaules son épée flamboyante qu’il frappe de trois légers coups de maillet.

De nombreux maçons se souviennent de ce moment très intense, genou GAUCHE à terre face au Vénérable Maître car sa dimension symbolique est émouvante et puissante.

Cette symbolique fait le lien avec l’histoire. Il s’agit là d’une référence initiatique qui donne sa densité à l’engagement pris quelques instants auparavant. C’est un moment de tension dynamique qui a pour équivalent la prestation de serment dont je parlerai à une autre occasion.

Ce passage renvoie à l’adoubement du jeune chevalier médiéval pour lequel il était la conclusion d’un rite de passage : il devenait chevalier à part entière, au service de ses pairs, comme eux-mêmes se mettaient à son service, dans une stricte symétrie et réciprocité. Il fallait à tous du courage, de la générosité et de la fidélité.

Des milliers de jeunes hommes sont morts pour cet idéal auquel ils avaient juré de se consacrer. On n’en demande heureusement pas autant au jeune Maçon. Mais il est bon de rappeler l’histoire que nous avons reçue en héritage, ne serait-ce que pour nous inspirer des vertus et des mérites de ceux qui nous ont précédés.

Un langage performatif

On peut toutefois souligner un autre point aussi important.

C’est le caractère performatif du langage employé par le Vénérable Maître dont j’ai déjà parlé plus haut. Nous utilisons quotidiennement le langage courant qui a une fonction essentiellement expressive, permettant d’informer à un premier niveau et de communiquer à un second. Mais cet usage reste descriptif. Il dit ce qui est ou ce qui se voit. Il n’a pas pour fonction de créer ou de générer et ne relève pas de l’action.

Or, le moment initiatique dont nous parlons, en revanche, se réfère au langage de l’action : le Vénérable Maître crée véritablement un Franc-maçon.

Et il le dit. C’est une parole de création. Elle est action. C’est un langage performatif.

« Je vous crée, constitue et reçois Apprenti Franc-maçon » dit le Vénérable Maître au moment de la réception. Il crée un nouveau Franc-maçon, tout comme à l’ouverture des travaux, il crée un monde nouveau lorsqu’il déclare « Mes Frères, nous ne sommes plus dans le monde profane, nous avons laissé les métaux à la porte de la Loge, élevons nos cœurs en Fraternité et que nos regards se tournent vers la Lumière. »

Cette affirmation de la capacité du langage à créer un monde est en rupture avec l’idée fréquemment alléguée qui disqualifie souvent la parole au profit de l’action, comme le fait J.W. von Goethe dans son texte fameux sur le Prologue de Jean « Im Anfang war das Wort » dans son célèbre « Faust ».

L’emploi du langage performatif est ainsi, de manière subliminale, une invitation adressée au jeune Maçon à s’engager lui aussi dans l’action dès qu’il sera en mesure de le faire au cours de sa démarche initiatique. Il sera invité à aller achever « au dehors l’œuvre commencée dans le Temple ». La démarche initiatique n’est pas une démarche solitaire de repli sur soi, mais au contraire d’ouverture vers nos Frères et Sœurs et sur l’aventure de l’humanité vers plus et mieux d’intelligence et de conscience.

Un processus complet : initiation et réception

Cérémonie d’initiation

Il y a donc bien au RITE ÉCOSSAIS ANCIEN et ACCEPTÉ une mort symbolique suivie d’une renaissance symbolique, un ensemble séquencé par les différentes épreuves de la Terre, de l’Air, du Feu et de l’Eau – renvoyant aux éléments du grec Empédocle – elles-mêmes suivies par la prestation de Serment. Mais cette initiation est une invitation et une incitation à la transformation de soi, elle n’est pas encore l’entrée dans un nouveau groupe.

Elle est une invitation à la « mutation ontologique du régime existentiel » selon la formule bien connue de Mircea Eliade dans Naissances mystiques.

Et la cérémonie d’initiation – qui prélude au processus initiatique qui se poursuivra durant toute la vie – se conclut par la réception « Je vous reçois Apprenti Franc-maçon » dit le Vénérable Maître, en conclusion de la cérémonie.

Le Serment (Dionysos Tsokos, 1849) illustre une cérémonie d’initiation : le pope semble être Grigórios Phléssas, le combattant Theódoros Kolokotrónis.

La cérémonie est donc complète : transmutation du profane en franc-maçon et réception au sein d’une communauté de fraternité élective qui crée un lien d’appartenance sans cause biologique.

La réception marque l’intégration du postulant dans le groupe de sa loge et plus largement dans la communauté maçonnique universelle.

La réception matérialise les rapports de fidélité et de solidarité qui deviendront un impératif catégorique au sens kantien, une obligation que l’on s’impose du fait de son appartenance.

« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille » dit la chanson. Mais on peut choisir la communauté fraternelle dans laquelle ou veut apprendre et agir même si on ne la connaît en réalité que très peu avant la chaîne d’union où chacun découvre les membres de la loge lorsque le bandeau est retiré de ses yeux.

La réception est alors accomplie. Chaque membre trouve sa place dans un ensemble qui le transcende tout en lui laissant sa liberté de pensée et d’expression sous réserve par chacun du respect de l’intelligence et de la sensibilité de tous.

L’accolade fraternelle

Cabinet de réflexion maçonnique
Cabinet de réflexion maçonnique

Pour finir, un mot sur l’accolade fraternelle qui conclut cette séquence. Le Vénérable Maître la fait au nouvel Apprenti au nom de tous les membres de la Loge.

Cette accolade d’accueil, qui est une accolade joue contre joue, est parfois confondue par certains membres très affectueux avec de gros bisous mouillés sur les joues de celui qui les reçoit… et qui est obligé ensuite de les essuyer alors qu’il n’a pas toujours le petit mouchoir en papier qui lui permet de le faire… Il s’agit d’une accolade dont j’imagine que la période Covid 19 vécue en 2020 et 2021 a sans doute, pour des raisons sanitaires, modéré les ardeurs des pratiquants…

3 Commentaires

  1. Merci pour cet article mais je trouve l’illustration non pertinente s’agissant d’un auteur anti maçonnique notoire bien qu’ayant été initié…
    Par ailleurs cette illustration montre un futur apprenti genoux droit au sol…
    Afin de ne pas perturber les jeunes apprentis attentifs aux détails , je tiens à rappeler qu’au REAA c’est toujours le genoux gauche qui est au sol lors des serments.
    Enfin, des variantes existent quant à la référence à l’adoubement : en effet, on trouve aussi bien les 3 coups de maillet sur l’épée posée sur la tête et les épaules comme 3 coups sur la tête uniquement !

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Alain Graesel
Alain Graesel
Conseil en organisation industrielle et ex professeur des universités associé à l'École d'Ingénieurs des Mines de Nancy, Alain Graesel a été Grand Maître de la Grande Loge de France de 2006 à 2009. Il a été président de la Confédération internationale des Grandes Loges Unies de REAA de 2010 à 2020. Auteur de : "La Grande Loge de France" Éditions PUF "Que sais-je?" 3e édition 2014 Lien sur Google "Graesel Grande Loge PUF" : https://tinyurl.com/Graesel-GLDF - "L'initiation au 1er degré du REAA" avec Michel Gerhart, ancien Grand Expert de la GLDF, Éditions Numérilive 2023 Lien sur Google "Graesel Numérilivre" : https://tinyurl.com/Graesel-Numerilivre

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