Nous avions quitté Mesmer (avec un s et pas 2 s comme Messmer le fameux homme d’hypnose de spectacles… bientôt chassé de Paris.
Tel un archéologue nous essayons de retrouver les dépôts du magnétisme dans la société et en particulier maçonnique qui, pour se débarrasser pour une part de ses scories dites “occultes“, change de nom en 1841, quand James Braid introduit le terme “hypnose“, dérivé du mot grec “hypnos” (sommeil), pour décrire un état modifié de conscience.
Notre hypothèse est que la Franc-maçonnerie, depuis le début du 17e siècle, a “filtré” beaucoup de courants de pensées en les incorporant dans son corpus, donc dans ses rituels Nous allons essayer de suivre la piste .*
Les héritiers de Mesmer *
en * un prochain article
Nous avons vu de nombreux maçons sont présents dans la création de la Société de l’Harmonie Universelle, qui se révèle être un énorme succès financier. Le but de la Société est d’assurer la survie de la doctrine et de la richesse de Mesmer, menacées par les corps académiques et le gouvernement.
En juin 1785, Mesmer s’installe somptueusement à l’hôtel de Coigny, rue du Coq-Héron, et possède 343 764 livres selon le trésorier de la société.
En 1789, avant son démantèlement, l’organisation mère de Paris compte quatre cent trente membres et a ouvert des succursales notamment à Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Bayonne, Nantes, Grenoble, Dijon, Marseille, Castres, Douai et Nîmes.
Lorsque Mesmer, initié à la Franc-maçonnerie en Autriche, quitte Paris en 1785, la pratique du magnétisme animal, en plein essor malgré les interdits de la faculté, est représentée par trois courants principaux :
Les mesmériens proprement dits, qui expliquent les modifications physiologiques et psychiques suscitées par la magnétisation en mettant l’accent sur la circulation d’un fluide.
Leur conception dominante, assez physicaliste et matérialiste, est proche de celles de médecins qui, tel Désiré Pététin (1744-1808), préfèrent parler d’« électricité vitale ».
On retrouve de nos jours des coupeurs de feu, des rebouteux, des magnétiseurs s’appuyant sur ce même principe.
Les psychofluidistes, qui considèrent la volonté comme l’agent véritable de l’action magnétique mais gardent l’hypothèse d’un fluide comme vecteur de cette volonté.
Les théoriciens de ce courant, qui se réclament au début de la raison, estiment que le somnambulisme dévoile les puissances latentes de l’âme. Leur chef de file est le marquis de PUYSEGUR. Mais on verra bientôt l’interprétation qu’en feront les spiritualistes qui sont apparentés à une branche mystique de la Franc-maçonnerie. *
Rappel : L’* indique que nous consacrerons prochainement une étude sur ce chapitre de la Franc-maçonnerie.
Certains spiritualistes prétendent agir directement sur le patient, sans l’influence d’un fluide, par la volonté et la prière. Ce courant persistera jusqu’au milieu du XIXe siècle et s’intégrera dans les thérapies magnétiques des médiums spirites.
D’autres considèrent que les magnétisés entrent en contact avec des entités suprahumaines. Ces théosophes lyonnais magnétiseurs et francs-maçons, travaillent avec des femmes somnambules qui sont censées avoir un contact privilégié aux mystères célestes. Parmi ces femmes, on trouvera Jeanne Rochette et Marie-Louise de Monspey *
Nous étudierons ultérieurement leurs ” révélations “qui parviennent à Willermoz par Alexandre de Monspey qui lui apporte plusieurs cahiers de petit format, couverts d’écritures, graphes et dessins dont l’auteur désire rester anonyme (en fait Marie-Louise de Monspey).
On trouve également ce courant de pensée chez les illuminés d’Avignon* largement influencés par les illuminés de Berlin et Swedenborg * malgré les réticences d’Emmanuel Kant avertissant des dangers que courent les exaltés, dont Swedenborg serait le prototype.
Bien que ces associations maçonniques ne soient pas représentatives de l’ensemble du mouvement maçonnique on peut percevoir leur influence car, dès le XVIIIe siècle, des éléments ésotériques se sont introduits dans la Franc-maçonnerie, notamment dans les hauts grades maçonniques et plusieurs personnalités ont contribué à développer une interprétation mystique de l’initiation maçonnique, tels que Joseph de Maistre, Oswald Wirth, René Guénon et Jules Boucher.*
Rappelons que le martinisme, inspiré par Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz*, a eu une influence particulière sur certaines loges, fusionnant des éléments mystiques avec des rites maçonniques (notamment dans le Rite Ecossais rectifié) et qu’à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, de nombreux francs-maçons se sont passionnés pour le magnétisme animal, y voyant une dimension ésotérique.
Louis-Claude de Saint-Martin dont l’initiateur fut Martines de Pasqually et qui fut très influencé par les travaux d’Emmanuel Swedenborg.
Saint-Martin devient ainsi le vingt-septième membre de la Société de l’Harmonie le 4 février 1784 mais s’éloigne progressivement de Mesmer dont il regrette l’insistance matérialiste sur l’action du fluide.
Au-delà des polémiques avec les psychofluidistes, on rappelle que Puységur a fréquenté tous ces milieux, notamment par l’intermédiaire de la loge maçonnique « La Candeur de Strasbourg » à laquelle il appartenait avec ses frères et dont le rituel s’inspirait beaucoup de celui qu’avait institué Jean-Baptiste Willermoz, un autre disciple de Pasqually.
En outre, Pasqually mettait comme Puységur l’accent sur l’importance de la volonté dans la cure magnétique.
Après la Restauration émerge le courant de ceux que l’on a appelé les imaginationnistes, pour qui ni la volonté du magnétiseur, ni un quelconque fluide n’interviennent.
Nous les retrouverons bientôt en étudiant leur précurseur l’abbé Faria* puis avec l’hypnose du Dr Liebault * fondateur avec Bernheim de l’école de Nancy. Pour eux, le magnétisme ne fait que libérer des puissances internes au sujet, les puissances de l’imagination, qui sont susceptibles de modifier de façon impressionnante la totalité psycho-organique de l’être humain.
Nb : pour être honnête intellectuellement il s’agit du courant dont je partage le conceptions
« L’imagination est plus importante que la connaissance car la connaissance est limitée tandis que l’imagination englobe le monde entier. »
Albert Einstein
On peut considérer que le courant du magnétisme fait la transition entre la foi des Lumières dans la capacité de la raison à décoder les lois de la nature et la fascination du Romantisme pour le surnaturel et l’irrationnel. Il faut cependant souligner que le conflit qui oppose les magnétistes à l’institution médicale ne met pas face à face les lumières de la raison et les ténèbres de l’occultisme, mais des conceptions différentes de la raison.
Aux yeux de magnétiseurs tels Puységur, Deleuze ou Bertrand, la raison n’a pas le droit d’exclure des faits vérifiables… au nom d’une idée prédéterminée du possible et de l’impossible. Pour leurs adversaires, en revanche, les phénomènes magnétiques contredisent l’ordre de la nature et on perd donc son temps à les étudier en s’appuyant sur les conclusions de la commission de 1784.
Conclusions des commissions de 1784
En effet en 1784, confronté à la rumeur et à quelques cas de guérison sur des personnages haut placés, Louis XVI avait nommé deux commissions pour étudier la pratique du magnétisme animal
Dans son rapport officiel, Jean Sylvain Bailly conclut que « l’imagination sans magnétisme produit des convulsions […] le magnétisme sans imagination ne produit rien […]
Les expériences sont uniformes et sont également décisives ; elles autorisent à conclure que l’imagination est la véritable cause des effets attribués au magnétisme » et que « tout traitement public où les moyens du magnétisme sont employés, ne peut avoir, à la longue, que des effets funestes »
Bailly déclare aussi, dans un rapport secret au roi que « le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les mœurs »
Lavoisier rappelle pour sa part que « c’est sur les choses qu’on ne peut voir ni palper qu’il est important de se tenir en garde contre les écarts de l’imagination ».
Cependant en 1826 une nouvelle commission d’étude du magnétisme est constituée.
En 1826, Husson se voit confier une commission officielle chargée de statuer sur le magnétisme animal. Cette commission commence son travail en janvier 1827 et présente ses conclusions à l’académie des sciences les 21 et 28 juin 1831, reconnaissant comme réels la plupart des phénomènes observés dans le magnétisme.
En 1833, le médecin Frédéric Dubois d’Amiens publie un pamphlet attaquant les magnétiseurs et le rapport Husson qui a entretemps été publié par Foissac.
Dans ce texte, Dubois assimile l’ensemble des magnétiseurs à des charlatans et se dit “révolté de voir la réputation de graves personnages compromise par d’indignes jongleries“. Malgré les protestations de Husson et de Berna, le 15 juin 1842, l’académie de médecine décide de ne plus s’intéresser au magnétisme animal d’autant qu’en 1841, James Braid introduit le terme “hypnose”, dérivé du mot grec “hypnos” (sommeil), pour décrire un état modifié de conscience… après avoir assisté à une démonstration de magnétisme par Charles Lafontaine en 1841.
Le Dr Braid nie la théorie du fluide magnétique de Franz Mesmer et propose une explication scientifique et physiologique, affirmant que l’état hypnotique résulte de changements dans le système nerveux et non d’une influence extérieure.
Malgré les décisions de la commission Husson partisans et détracteurs du magnétisme continueront parallèlement leur chemin en France et en Europe.
Le médecin David Ferdinand Koreff, titulaire d’une chaire de magnétisme animal à l’université de Berlin, contribue à créer à Paris dès 1822 la grande vogue des Contes d’HofFranc-maçonnerieann, son ami mesmériste. Il introduit Heinrich Heine dans les cercles littéraires parisiens et influence Hugo, Stendhal, Balzac, Delacroix, Madame de Staël et Chateaubriand.* Le magnétisme animal occupe une place importante dans la préface philosophique des Misérables de Victor Hugo, et dans l’avant-propos de La Comédie humaine d’Honoré de Balzac.
Alexandre Dumas a fréquemment recours au magnétisme animal dans son roman Joseph Balsamo et rend compte du baquet de Mesmer dans la suite : Le Collier de la reine.
Les œuvres de Dumas, notamment “Le Comte de Monte-Cristo“, contiennent en outre des éléments qui peuvent être interprétés à travers une perspective maçonnique et… l’apparition de l’abbé Faria.
Edgar Poe fait de la cure magnétique le sujet de deux de ses nouvelles : Révélation magnétique (1844) et La Vérité sur le cas de M. Valdemar (1845) et des références à la Franc-maçonnerie. En médecine, avant la découverte des anesthésiques, l’hypnose, comme dans les temps anciens de chamanisme, est employée avec succès.
Déclin du magnétisme au milieu du 19e siècle
Depuis la découverte de l’électromagnétisme par Hans Christian Ørsted en 1820, Ampère (1827) et Faraday (1831), la compréhension du magnétisme physique avance à grands pas. Durant la même période la médecine progresse et on se rend compte que les nerfs ne sont pas commandés par un fluide magnétique. Toutes ces découvertes ne vont pas dans le sens des courants du magnétisme animal mesmérien et psychofluidiste, qui mettaient l’accent sur l’existence du fluide.
Enfin, en 1887, l’expérience de Michelson-Morley démontre – à la grande surprise des scientifiques de l’époque – que la vitesse de la lumière est indépendante de son environnement et donc qu’aucun éther physique n’est le support de la lumière et de l’électromagnétisme.
À la fin du XIXe siècle, les personnes qui se réclament encore du magnétisme animal sont essentiellement des adeptes des sciences occultes ou des personnes se disant « guérisseurs ». Mais les rituels et les différentes obédiences maçonniques portent encore l’influence de ces courants et les conflits vont s’intensifier. Cette période voit la montée des idéologies matérialistes et positivistes et la Franc-maçonnerie est aussi traversée par divers courants, socialisme, l’anarchie (Proudhon par ex), etc.
De manière générale, en France, la philosophie universitaire, peu à peu gagnée par le rationalisme positiviste, s’intéresse peu au magnétisme.
L’hypnose nouvellement dénommée par Braid est considérée cependant comme une réélaboration de la pratique des magnétiseurs par des médecins, épurée de certains phénomènes jugés occultes et en tant que tels inacceptables par l’académie.
Ainsi, dans leur livre sur le magnétisme, les hypnotistes français Alfred Binet et Charles Féré opposent « l’histoire merveilleuse du magnétisme animal… aux faits positifs de l’hypnotisme ».
Un autre hypnotiste, Pierre Janet, regrette que « la crainte de ce renom de charlatanisme qui reste attaché aux opérations du magnétisme animal » ait longtemps empêché les psychologues de s’intéresser aux phénomènes de somnambulisme.
Ces divergences idéologiques vont s’accentuer au 19e siècle et la maçonnerie sera tout aussi impactée par toutes ces conceptions conduisant la Franc-maçonnerie française du GODF à la modification par le pasteur Desmonds de l’article 1 de sa constitution, ainsi que des conflits entre GODF et hauts grades représentés par les Suprêmes conseils.
Mais bientôt l’histoire de la pensée humaine prend parfois des détours curieux et l’intérieur même de la Franc-maçonnerie va être traversé par différents courants de pensées qui perdureront toujours au 21e siècle.
Ainsi renaît un courant en lien avec le magnétisme avec Oswald Wirth (1860-1943) *
Franc-maçon, il « débute par la pratique du magnétisme curatif avant d’être initié en 1884 dans une loge à Châlons-sur-Marne ».
Il rencontre en 1887 le « lorrain Stanislas de Guaïta (1861-1897) en relation avec le docteur Liébeault »* et propose une « sorte d’initiation informelle, la pratique magnétique de trois degrés, calquée sur les grades dits « bleus » de la Franc-maçonnerie »
Il quitta le Grand Orient de France pour rejoindre la Grande Loge de France après son installation à Paris.
On sait que Wirth a contribué de manière significative à la littérature maçonnique et a écrit “Le symbolisme occulte de la Franc-maçonnerie”, combinant le symbolisme maçonnique traditionnel avec des éléments hermétiques
Son ouvrage “La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes” est devenu une référence, lu par des centaines de milliers de francs-maçons depuis plus d’un siècle. Il n’est pas rare encore de rencontrer dans les planches sa référence.
Wirth mettait l’accent sur l’importance de la réflexion personnelle dans l’initiation maçonnique, encourageant les adeptes à découvrir par eux-mêmes les secrets de l’ordre plutôt que de simplement les mémoriser.
Conclusion provisoire
Ainsi se clôt le 19e siècle charriant de terribles combats dans la société – “république et église catholique”, “socialisme versus libéralisme “,”matérialisme / spiritualisme” etc., traversant aussi la Franc-maçonnerie toujours “réceptacle”, à mon sens, de l’évolution des sociétés occidentales.
Pour le XXe et XXIe siècles : La présence d’éléments mystiques en Franc-maçonnerie restera un sujet constant de réflexions à l’intérieur même de la Franc-maçonnerie. Certains considèrent cette approche comme un contresens, arguant que la Franc-maçonnerie libérale est l’une des rares écoles de pensée concevant un processus initiatique en dehors de toute référence mystique, déiste ou théosophique. Mais le poids de l’histoire reste vivace et pour ma part j’ai visité de nombreuses loges de toute obédience où “la spiritualité côtoyait une forme de mysticisme “(définition à préciser dans un prochain article).
Bien sûr, il est important de noter que cette tendance mystique ne représente qu’une facette de la Franc-maçonnerie, qui reste fondamentalement diverse dans ses approches et interprétations.
Dans notre voyage liant magnétisme, hypnose, hermétisme…et Franc-maçonnerie nous aborderons le 20e siècle avec ses traumatismes, ses espérances et déceptions pour aborder le 21e siècle et tous ses dangers.*
Nous nous attarderons plus particulièrement aussi sur les chapitres avec *
A bientôt fraternellement.
Jean Luc ELISSALDE