mar 05 novembre 2024 - 17:11

Mot du mois : « Attente »

Attendre, toujours attendre un « à-venir » d’autant plus incertain, voire angoissant, que rien n’est jamais assuré, et que le temps s’étire et s’étend sans durée fixe. Attente de l’objet de son désir, la rencontre rêvée avec le prince charmant par exemple. La concrétisation de projets pour lesquels on a dépensé tant d’énergie.

Et voici le bipède qui s’avance, rapetissant à la mesure des illusions fomentées en amont. Voici la déception devant le piètre résultat.

Si l’on prêtait plus d’attention à l’origine même du mot, on serait prévenu !

Comme le signifie la très prolifique racine *ten- *ton, tout est affaire de tension, d’étirement, de distension.

Le grec tétanos désigne la convulsion qui étire un muscle, un membre. Le ténia s’étire selon les méandres de l’intestin dans lequel il a élu domicile.

La voix humaine, comme une corde, se distend de l’intonation la plus aiguë jusqu’aux profonfeurs du baryton, le « ton lourd ».

Dans les langues dites « à tons », tels le chinois mandarin ou le cantonais, la même syllabe ma, en se prononçant de quatre manières différentes, signifie tantôt « mère, cannabis, disputer avec quelqu’un, cheval »…

De quoi ne plus rien y entendre !

Le latin *tendere, de même étymologie, exprime ainsi l’effort qui fait sortir d’une immobilité atone, physique ou mentale.

« Effort » de deux domaines géographiques contingents, par exemple. Détente de deux objets comprimés, en tension, comme le doigt qui se crispe sur la petite pièce ainsi libérée et le coup qui part violemment.

L’étendard prend son envol dans le vent de la victoire escomptée, face à l’étendue du champ où se déploie l’ennemi.

L’oreille se tend vers la parole échangée, mais qu’entendez-vous par là ? Il s’agit d’ouïe et peut-être de compréhension. D’intensité et de volonté ?

Ce qui autorisait les adorateurs de Kim Jong Il, divin dictateur de la Corée du Nord, à le qualifier de « génie musical »(sic), puisque lui seul vraiment attentif, il était capable de repérer, au milieu d’un enregistrement, la fausse note de la clarinette, qui aurait échappé à l’attention vigilante des quelque cent interprètes de l’orchestre et de son chef…

Le sémantisme gréco-latin est d’une richesse ostensible, dont l’exhaustivité des occurrences est d’autant plus impossible à tracer ici que la distinction n’a pas toujours été clairement définie par les Romains eux-mêmes entre les trois verbes *tendere, tendre, *temptare, tâter, faire l’essai, *tentare, agiter, inquiéter.

De quoi se méfier de l’interjection si courante « Ne tente pas le diable ! »

Comme l’écrit judicieusement le philosophe Eric Fiat, (Ode à la fatigue, 2018, p 264) : « Le tentateur n’est pas celui qui met dans l’âme de l’autre un désir qui ne s’y trouverait pas, mais celui qui fait en sorte que l’autre prenne conscience qu’en lui se trouve un désir, aussi infime soit-il. […] Et Adam et Eve de succomber, par désir d’un fruit qui a la saveur de l’inconnu “.

Peut-être au prix bénéfique de la connaissance ainsi offerte ? Merci à toi, Eve…

N’est-on pas bien souvent dans l’attente de ce diable tentaculaire qui entraîne dans le péché ? Une tentative pour échapper à la monotonie de l’ordinaire, « cette moitié du néant », disait Baudelaire !Bien vaine prétention !

Mais, ainsi que la définit l’anthropologue Marc Augé, « l’attente est le sentiment qui accuse le relief du présent en donnant l’impression de le suspendre. »

Annick DROGOU

J’attendrai. L’attente, c’est la vie, la vraie, la belle, la pleine vie, permanent mûrissement, le contraire du « tout, tout de suite », pauvre fantasme qui trépigne dans notre modernité tardive. Patience, persévérance sont les mots de l’attente, au même titre que gestation et germination, ou bien encore veille et contemplation. L’attente va avec l’espérance, la confiance et l’amour. L’attente, c’est toujours la conscience du « pas encore » et la certitude enfouie du « toujours déjà là ».

J’attendrai. Pas comme on attend l’autobus. Attente-attention, dis-tu. Assurément tension. On peut attendre dans l’excitation, l’exaltation de l’avènement, mais on attend sûrement mieux en souriant dans le silence, comme dans un secret impossible encore à dévoiler. Rien de moins passif que l’attente. Espérance, mais aussi confiance et bien sûr amour. On n’attend pas sans amour. Amour de la vie, de l’être aimé ou des vendanges prochaines. Aucune bigoterie dans ce ternaire des vertus théologales. Sur la trame de ses jours, Pénélope, figure immarcescible de l’attente, défait chaque soir son ouvrage pour apprivoiser le temps, prolonger l’attente d’amour, tisser toujours le fil qu’aucune parque ne viendra rompre.

J’attendrai. Pour voir advenir, les saisons, les naissances, les retours et la grande rencontre qu’est l’inconnu d’après. L’attente dans le secret du cœur, l’attente qui sait se taire, qui sait craindre. Craindre, non pas dans l’expression d’une peur mais dans le respect de l’essentiel, dans la fragilité de l’émergence et sous l’ombre déjà évanescente. Comme le veilleur attend l’aurore. Comme la chenille dit le papillon. Éclosion.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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