Les Éditions Spartacus, fondées par René Lefeuvre, ont illuminé la scène littéraire de 1936 à 2022 avec leur engagement fervent pour les textes marxistes anti-autoritaires, opposés à la fois au léninisme et au stalinisme.
En publiant une vaste collection de traductions de théoriciens étrangers ainsi que des œuvres originales proches du luxemburgisme, elles ont permis de faire connaître les positions critiques de Rosa Luxemburg sur le léninisme, mettant en lumière sa vision révolutionnaire. Leurs publications ne se sont pas limitées à cette figure emblématique; elles incluent également des textes libertaires, élargissant ainsi leur portée révolutionnaire.
Une passion inébranlable pour la diffusion des idées révolutionnaires
L’histoire de cette maison d’édition est marquée par une passion inébranlable pour la diffusion des idées révolutionnaires. En 1934, René Lefeuvre commence par publier une revue intitulée Spartacus, avant de lancer, en 1936, les Cahiers Spartacus. Ces premiers cahiers ont présenté des auteurs tels que Victor Serge avec ses récits poignants 16 fusillés et Lénine 1917, Alfred Rosmer et René Modiano avec Union Sacrée 1914-193…, ainsi que Rosa Luxemburg avec La Révolution russe. Malgré l’interruption forcée par la Seconde Guerre mondiale, où René Lefeuvre fut emprisonné en Allemagne, les Cahiers Spartacus ont repris leur publication régulière après la guerre.
Et 68, dans tout cela…
Les années 1950 et 1960 ont vu une parution plus espacée des cahiers, mais les événements de mai 1968 ont ravivé l’intérêt pour la pensée révolutionnaire, relançant ainsi les éditions avec de nouvelles collaborations.
Au milieu des années 1970, une documentation riche sur les courants moins connus du mouvement ouvrier, rassemblée par René Lefeuvre, a été transférée à la BDIC (aujourd’hui La contemporaine) grâce à l’initiative de Michel Dreyfus. Cette période a également vu la naissance éphémère de la revue Spartacus – socialisme et liberté, un complément aux cahiers qui mêlait textes historiques et d’actualité, mais qui n’a duré que quinze numéros.
Et maintenant l’Association des Amis de Spartacus
En 1979, la création de l’Association des Amis de Spartacus par René Lefeuvre a permis de poursuivre le travail d’édition après sa disparition.
Distribuées par Pollen Diffusion, les éditions ont continué à enrichir la littérature révolutionnaire jusqu’à leur cessation en 2022. Leur précieux catalogue a été repris par les Éditions Syllepse, assurant ainsi la pérennité de leur héritage.
Parmi les œuvres marquantes publiées, on retrouve La Révolution russe de Rosa Luxemburg, La Politique communiste (ligne et tournants) de René Lefeuvre, Qui succédera au capitalisme ? de Tomori-Balasz, et Les Socialistes derrière le rideau de fer de Denis Healey. Les éditions ont également publié des œuvres de Karl Marx et Friedrich Engels, Victor Serge, Rudolf Rocker, Anton Pannekoek, Daniel Guérin, Herman Gorter, Alain Guillerm, et bien d’autres, chacun contribuant à enrichir le débat révolutionnaire.
Les Éditions Spartacus ont ainsi laissé une empreinte indélébile sur la littérature marxiste anti-autoritaire, jouant un rôle crucial dans la diffusion de la pensée critique et révolutionnaire au XXe siècle.
René Lefeuvre, d’apprenti maçon à correcteur d’imprimerie
René Lefeuvre (1902-1988) était un éditeur et militant marxiste français, particulièrement influencé par les idées de Rosa Luxemburg. Originaire de Livré-sur-Changeon (Ille-et-Vilaine en région Bretagne), il a commencé sa carrière comme apprenti maçon avant de devenir correcteur pour échapper au chômage provoqué par la crise de 1929. Militant socialiste et communiste, il s’est rapidement opposé au stalinisme et au réformisme, se tournant vers des courants marxistes non-dogmatiques.
En 1934, René Lefeuvre a lancé la revue Spartacus, suivie par les Cahiers Spartacus en 1936, dédiés à la publication de textes marxistes et révolutionnaires. Il a publié des œuvres de Victor Serge, Alfred Rosmer, et Rosa Luxemburg, entre autres, et s’est efforcé de faire connaître des textes peu diffusés en français. Après la Seconde Guerre mondiale, il a continué son travail d’édition, notamment en relançant les Cahiers Spartacus.
René Lefeuvre a été impliqué dans plusieurs mouvements et partis politiques, dont la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) et le PSOP (Parti socialiste ouvrier et paysan). Il a toujours prôné un socialisme anti-autoritaire et a œuvré pour la diffusion des idées révolutionnaires jusqu’à sa mort en 1988. Ses efforts ont significativement contribué à la critique du léninisme et à la propagation des idées luxemburgistes et anarchistes au sein du mouvement ouvrier
Que nous dit l’auteur de l’ouvrage, un certain Jean Jacques
Deux textes viennent enrichir la 2e et 3e de couvertures.
Dans « Luttes d’hier et combats d’aujourd’hui », Jean Jacques dénonce le phénomène néo-corporatiste apparu en Espagne, au Portugal et dans les démocraties populaires après 1948. Ce phénomène, selon lui, représente une intégration forcée de la classe ouvrière aux objectifs de la classe dirigeante capitaliste ou bureaucratique, accompagnée par la répression et la destruction du syndicalisme. Jean Jacques critique un marxisme sommaire qui risque de remettre en avant des idées dépassées et des institutions que l’histoire a déjà jugées.
Il explique que la dégradation du marxisme en Russie stalinienne a mené à une caricature où le syndicalisme est contrôlé par l’État, trahissant le principe marxiste essentiel : pour faire disparaître une classe exploitée, il ne suffit pas de la liquider physiquement ; s’il subsiste les conditions économiques qui l’ont fait naître, une nouvelle classe aussi oppressive lui succédera bientôt. La structure économique doit être transformée pour éviter cela.
Jean Jacques souligne que le droit de grève a été éliminé, et le contrôle strict du parti a transformé la revendication collective en crime. Les syndicats sont devenus un outil de productivité contrôlé par l’État.
Sur la 3e couverture, Jean Jacques continue en dénonçant la soumission de la classe ouvrière aux objectifs de rentabilité, illustrée par le plan quinquennal et la réduction réelle des salaires. Il compare ce phénomène à l’accumulation primitive observée dans le prolétariat anglais victorien et les paysans russes kolkhoziens.
La récupération du prolétariat occidental par la classe capitaliste a mené au corporatisme, où des syndicats servent les intérêts capitalistes et refusent les augmentations de salaires nuisibles à la productivité. Il cite la grève de la General Motors, orchestrée par la direction et les syndicats actionnaires.
Jean Jacques observe que les pays industriels occidentaux imitent ce modèle, avec des pratiques telles que les contrats de progrès et l’actionnariat ouvrier, reproduisant une forme moderne de corporatisme.
Il conclut en soulignant que, à l’Est comme à l’Ouest, le prolétariat doit lutter pour transformer les rapports de production et édifier une société sans classes. Le prolétariat doit combattre les systèmes de contrôle et de répression, que ce soit par la violence directe à l’Est ou par des systèmes plus insidieux à l’Ouest.
Les points principaux des deux documents mettent bien en évidence la critique du néocorporatisme, la dégradation du marxisme en URSS, et l’appel à une lutte continue du prolétariat pour transformer la société.
Mais, qu’est-ce qu’une corporation ?
Il s’agit d’une ancienne institution sociale et économique qui trouve ses racines dans le Moyen Âge européen. Imaginons une époque où les rues pavées des villes médiévales résonnaient des marteaux des forgerons et des cris des marchands ambulants, où les artisans se regroupaient en guildes pour assurer la prospérité de leur métier. Ces organisations, appelées corporations, étaient bien plus que de simples regroupements professionnels; elles étaient le cœur battant de la vie économique et sociale de l’époque.
Dans l’ombre des cathédrales gothiques et des châteaux fortifiés, les corporations jouaient un rôle crucial. Elles régissaient les normes de qualité, veillant à ce que chaque produit, qu’il s’agisse de pain, de chaussures ou de tissus, réponde à des standards élevés. Les membres de ces guildes étaient des maîtres de leur art, et pour atteindre ce statut, un long chemin devait être parcouru. Les jeunes apprentis, souvent envoyés par leurs familles, passaient des années sous la tutelle d’un maître artisan, apprenant patiemment les secrets du métier.
Mais les corporations n’étaient pas uniquement des lieux de formation. Elles offraient aussi une forme de protection sociale bien avant l’avènement de l’État-providence. En cas de maladie, de vieillesse ou de difficultés financières, les membres pouvaient compter sur l’aide de leur confrérie. Ce soutien mutuel était le ciment qui liait les artisans entre eux, créant une communauté soudée et solidaire.
L’influence des corporations s’étendait au-delà des murs de leurs ateliers. Elles possédaient souvent le monopole de leur métier dans une ville, régulant qui pouvait exercer telle ou telle activité. Cela garantissait une certaine qualité et évitait la concurrence déloyale. Toutefois, ce système, bien que bénéfique à de nombreux égards, pouvait aussi freiner l’innovation et l’initiative individuelle.
Avec l’émergence du capitalisme industriel aux XVIIIe et XIXe siècles, les corporations ont commencé à perdre de leur éclat. Les nouvelles méthodes de production, plus rapides et moins coûteuses, rendaient obsolètes les réglementations strictes des guildes. Le vent du changement soufflait, emportant avec lui l’ancien monde des artisans vers une ère de libre entreprise et de compétition acharnée.
Néanmoins, l’héritage des corporations perdure. Les valeurs de formation rigoureuse et de standards élevés continuent d’influencer les métiers d’aujourd’hui. Les syndicats et les associations professionnelles modernes, bien que différentes dans leur fonctionnement, partagent cet héritage de défense des droits et des intérêts des travailleurs.
Ainsi, les corporations, témoins d’un passé riche et complexe, nous rappellent l’importance de la solidarité, de la qualité et de l’apprentissage continu dans nos vies professionnelles. Elles sont les gardiennes d’une tradition qui, bien que transformée par le temps, continue de résonner dans les échos de nos ateliers modernes.
Entrons dans le vif du sujet…
Vie et mort des corporations de Jean Jacques est une exploration approfondie des structures corporatives et de leurs rôles dans les dynamiques économiques et sociales sous l’Ancien Régime. Le livre se divise en plusieurs chapitres qui abordent différents aspects des corporations, depuis leurs origines jusqu’à leur déclin, en passant par leur influence sur les conditions de vie et les luttes sociales.
Dans un premier temps, analysons le contenu
Nous observons une hétérogénéité dans la longueur des chapitres, certains étant succincts et d’autres extrêmement détaillés. Cette structure reflète la diversité des thèmes abordés et l’importance accordée à chacun d’eux par l’auteur.
Le premier chapitre, « Corporations et confréries », pose les bases en définissant ce qu’est une corporation, en expliquant leurs origines et leurs objectifs. Jean Jacques souligne comment ces structures ont émergé pour réglementer les métiers, protéger les intérêts de leurs membres et maintenir un certain niveau de qualité et de monopole. Il évoque également les rivalités entre différentes corporations et les relations complexes qu’elles entretenaient avec le pouvoir royal.
Les chapitres suivants examinent le rôle des corporations au XVIe siècle et leur interaction avec le travail libre. L’auteur explore comment les corporations ont résisté à la fiscalité royale et comment elles ont contribué à la naissance du capitalisme tout en subissant un rôle rétrograde. Jean Jacques conclut ce chapitre en discutant du déclin des corporations et de leur opposition au pouvoir central.
Le deuxième chapitre, « Salaires et conditions de vie », est particulièrement éclairant sur l’impact des corporations sur les travailleurs. Il traite des apprentis et compagnons, de la durée du travail, y compris le travail de nuit et celui des femmes, et des salaires. Jean Jacques analyse également la dépréciation monétaire et les conditions sociales des ouvriers, ainsi que les sociétés de compagnons qui ont émergé pour défendre leurs droits.
Le troisième chapitre, « Grèves et luttes sociales », se concentre sur les conflits corporatifs fréquents, avec un focus particulier sur la grève des imprimeurs lyonnais, illustrant les tensions entre maîtres et ouvriers.
Le quatrième chapitre, « La soierie lyonnaise », offre une étude de cas sur la rivalité entre maîtres-ouvriers et maîtres-marchands, la lutte pour le monopole, et les crises économiques qui ont frappé cette industrie, conduisant à des grèves et émeutes.
Puis, dans un second temps, critiquons positivement le contenu…
L’ouvrage de Jean Jacques est une contribution précieuse à l’histoire sociale et économique, fournissant une analyse détaillée des corporations et de leur influence sur la société. Sa force réside dans la richesse des détails historiques et la clarté avec laquelle il explique les complexités des structures corporatives et des luttes sociales.
Cependant, on peut critiquer l’auteur pour une certaine partialité dans son analyse. Son opposition au stalinisme et au léninisme transparaît souvent, influençant sa vision des corporations comme des entités majoritairement oppressives et réactionnaires. Cette perspective peut parfois limiter la nuance de son propos, en négligeant certains aspects positifs des corporations, tels que leur rôle dans la protection sociale des membres et la préservation des standards de qualité.
Vie et mort des corporations est un livre indispensable pour quiconque s’intéresse à l’histoire des structures économiques et des mouvements sociaux sous l’Ancien Régime. Jean Jacques y présente une étude exhaustive et bien documentée, malgré une certaine partialité idéologique. Le livre éclaire sur l’évolution des métiers, les conditions de vie des travailleurs, et les conflits sociaux qui ont marqué cette période, offrant une perspective historique essentielle pour comprendre les dynamiques sociales et économiques d’aujourd’hui. Bonne lecture et bel été !
Vie et mort des corporations-Grèves et luttes sociales sous l’Ancien Régime
Jean Jacques – Spartacus, N°37, 1948, 144 pages
À l’époque, l’ouvrage coûtait 4 fr. 50. Notons que l’arrêté du 21 août 1947 relevait qu’aucun salaire, en France, ne pouvait être inférieur à 42 fr. 50.
4 fr. 50 de 1948 équivaut à 18,36 € de 2024. Disponible sur les sites marchands d’ouvrages anciens et/ou d’occasion.