Il y a 3 ans et demi, j’écrivais un article sur mon blog qui mériterait peut-être aujourd’hui d’être réécrit : les meurtrières des châteaux forts sont-elles efficaces ?
Lors de vos visites, vous avez sûrement repéré ces fentes verticales qui entaillent les murs des tours et des courtines. Dans cet article, je mettais en avant l’avis de chercheurs qui doutaient de l’efficacité de ces postes de tir. Dans les années 1990, le castellologue Philippe Durand expérimenta le tir à l’arc à partir de ces ouvertures et en conclut que faire mouche était difficile. « Les défenseurs devaient tirer dans le tas », estimait son collègue Jean Mesqui. De là à penser que ces meurtrières, appelées notamment archères, ne servaient à rien si ce n’est à impressionner l’adversaire, il n’y a qu’un pas. Voilà où en était restée ma réflexion. Mais, cette semaine, je suis tombé sur un post Facebook de l’historien Nicolas Savy. Sur ce réseau social, il est rare de tomber sur des messages d’aussi bonne qualité. Nicolas Savy, spécialiste de la guerre de Cent Ans dans le sud-ouest, est cependant coutumier du fait. Dans ce post, il revient sur le rôle « symbolique » supposé des meurtrières. D’un côté, il reconnaît qu’elles étaient peu utiles pour le tir. La défense dans les châteaux, on l’oublie, se faisait principalement du haut des tours et des courtines. La garnison tirait à partir des créneaux, des mâchicoulis et des hourds, rarement à partir des meurtrières. D’un autre côté, Nicolas Savy n’exclut pas un rôle militaire aux meurtrières mal conçues. Selon cet historien, elles permettaient « d’observer avec une relative sécurité les abords des défenses, l’efficacité des tirs, les mouvements de l’ennemi, etc. ». On n’y tirait peut-être pas mais les défenseurs s’en servaient quand même. Je ne donnerai pas tort à la remarque de Nicolas Savy. Dans les enluminures de siège, je n’ai jamais vu de meurtrières d’où jaillissent des flèches ou des carreaux d’arbalètes. Allons plus loin. Ces ouvertures ont-elles un rôle encore plus basique ? Celui d’apporter un peu de lumière dans les pièces sans trop exposer les occupants aux tirs ennemis. Comme quoi, encore au 21e siècle, les chercheurs débattent encore d’un dispositif militaire aussi minimaliste et aussi courant dans les châteaux forts ou les remparts urbains. On peut regretter cette incertitude. Ou au contraire, comme moi, être stimulé par ces débats : la recherche universitaire n’a pas encore tout éclairci. Comme une série TV, cela nous promet de nouveaux épisodes et des rebondissements. Vos questions Vincent : L’un des grands architectes du style néogothique est Viollet-le-Duc mais pourquoi être revenu vers ce style d’architecture 600 ans après ? Notamment pour les constructions d’églises aux USA ? Au XIXe siècle, de nombreuses églises sont en effet construites en copiant ou s’inspirant du style gothique qui dominait la fin du Moyen Âge. Plus précoce en Angleterre, ce renouveau concerne la France à partir des années 1830 et trouve plusieurs explications qui se conjuguent. La période est au romantisme. L’élite du pays prend goût pour le Moyen Âge et donc pour ses monuments. C’est le moment où Victor Hugo publie le roman Notre-Dame de Paris et où l’État met en place une commission des monuments historiques pour leur protection. Derrière ce goût médiéval, se cache souvent une nostalgie politique. Nostalgie de l’Ancien Régime, avant la Révolution, quand le clergé et la noblesse étaient puissants et que le christianisme commandait les valeurs et les rites de la société. Au XIXe siècle, certains aristocrates ou gens d’Église, regrettant ce temps, recréent des pastiches ou des réinterprétations de monuments du Moyen Âge. En France, en Angleterre et au-delà, s’élèvent des églises néogothiques mais aussi des châteaux, des villas néogothiques. Aux yeux de l’Église, le gothique est l’expression artistique d’un âge d’or du christianisme en France. Construire une église néogothique, c’est donc s’inscrire dans cette filiation prestigieuse. Bien que de plus en plus laïc, l’Etat favorise ce retour au style ancien. Le gothique représente une fierté nationale, car la France est à l’origine de ce style et, sans chauvinisme, possède les plus belles cathédrales gothiques. Une boucle vertueuse s’enclenche. Ces cathédrales et autres églises sont parfois en mauvais état, notamment après les dégâts et l’abandon pendant la Révolution. À l’exemple de Viollet-le-Duc et de la cathédrale Notre-Dame de Paris, elles sont restaurées. Ce travail met les architectes et les artisans au contact de l’art gothique, les aident à mieux le comprendre et finalement à l’appliquer dans de nouvelles constructions. Les États-Unis sont aussi emportés dans ce mouvement néogothique. Le premier facteur joue : le gothique est une architecture prestigieuse qui donne une certaine antiquité à l’église. De toute façon, que faire d’autre ? Rares sont à l’époque les architectes et les commanditaires qui peuvent imaginer une autre architecture pour une église. L’architecture religieuse est généralement traditionnelle. On s’en tient souvent aux styles anciens. Les nouveautés |
Je reviens à ce problème pointé au début de ce mail : est-ce que je communique suffisamment bien sur mon travail de vulgarisation ? Afin de mieux le diffuser, j’expérimente un nouveau canal de communication : les courtes vidéos sur Instagram (appelées Reels) et sur YouTube (appelés aussi par un anglicisme, les Shorts). À raison d’une vidéo par jour, je traite en moins d’une minute d’un thème d’architecture religieuse, d’iconographie, de castellologie (étude des châteaux forts)… Au programme de cette semaine passée : Les quatre mystérieuses lettres au-dessus du Christ crucifié. La définition des mâchicoulis sur les châteaux forts. La description de la scène religieuse du jugement dernier Sculptures insolites Je vous invite à les regarder. C’est avec plaisir que je lirai vos propositions de thèmes et vos questions en réponse à cette infolettre. Elles pourront alimenter ces brèves vidéos. |
À dimanche prochain, Laurent Ridel |