ven 22 novembre 2024 - 05:11

Laïcité, Franc-Maçonnerie et croyances : un puzzle difficile mais pas impossible

La palette des opinions reste très large dans la franc-maçonnerie française et la dissension guette toujours. La laïcité indique que le respect est dû à la personne mais que les idées sont critiquables. Le problème est que beaucoup définissent leur identité en y incluant leurs idées. Voici des pistes de solution.

Nous sommes un bon paquet à rêver de rassembler ce qui est épars, et en franc-maçonnerie française cela correspond à une palette qui va du plus indiscipliné sociétal, traversant toutes les nuances de libéral ou adogmatique, vers les déistes puis les théistes les plus farouches. Nous sommes beaucoup, mais pas deux pareils ! Saupoudrés dedans, il y a des « monogenristes » comme des « pro-mixité ».

Encore jeune maçon, j’écoutais ébahi le VM d’une célèbre loge, bien imbibé il est vrai, indiquer qu’il avait du mal à se concentrer sur sa charge alors que des culottes féminines étaient à portée de son regard.

L’autre jour, c’était la reprise, post-covid, des repas annuels interobédientiels de notre coin. A une table, le coup de la culotte est revenu pour justifier la non-mixité, en présence de l’épouse du frère qui amenait l’argument, épouse elle aussi sœur. Elle n’a pas relevé la chose, serait-ce au motif éculé que « la femme n’a pas des amies, que des ennemies ( rivales ) » ? En tous cas cela m’a choqué. Et après cela on nous dira que la franc-maçonnerie est pétrie d’ambitions progressistes !

Mais essayons de positiver. Nous sommes plusieurs à apprécier ces repas interobédientiels , nous pouvons en déduire que nous nous reconnaissons comme tels et apprécions la compagnie des sœurs et frères même si leurs idées sont assez différentes des nôtres.

Sur un réseau social dédié aux échanges entre maçons et profanes  il était, un autre jour, question des racines judéo-chrétiennes de la culture en France.

L’affaire a démarré sur le fil « salle où on parle de tout », seul fil où tout sujet peut être abordé, lorsqu’un frère a parlé de sa spiritualité d’athée, puis a indiqué que «  Je pense que la révolution française est surtout beaucoup plus présente dans la culture française qu’une quelconque religion ». Le « je pense » indique clairement qu’on est dans le domaine de l’opinion personnelle, et non dans l’affirmation d’une vérité quelconque. Néanmoins le dialogue est lentement parti en vrille à partir de là, administrateurs du réseau compris . La tension progressivement croissante se mesure aux qualificatifs utilisés. En grand résumé, les arguments évoqués ont été comme suit.

  • Taux de divorces plus élevé que jamais
  • Taux de divorce chez les croyants bien inférieur que chez les autres.
  • Taux de divorce supérieur chez les non-religieux : il provient de la levée du tabou sur les violences faites aux femmes
  • L’amalgame entre domination masculine, violence faite aux femmes avec mariage et religions est inacceptable : si le mari est violent avec sa femme, cela n’a rien à voir avec la religion.
  • Bien sûr que si : les textes sacrés l’autorisent explicitement.
  • Même problème pour l’homophobie, elle aussi soutenue par les textes religieux.
  • Les statistiques sur les taux d’athéisme ou non-croyance ne valent rien.

La discussion s’est terminée sur le constat du désaccord, puis les discussions politico-religieuses ont été interdites sur ce dernier fil.

Si nous essayons d’analyser cela sous l’angle de la laïcité, nous remarquons que le droit de chacun à son opinion a été maintenu, mais tout juste ; exemple : « Bon, tu commences à me gonfler avec tes tons insupportables et à prendre les gens de haut en croyant que tu as la science infuse. » Cela fait beaucoup sous la plume d’un administrateur du réseau, censé rester dans une neutralité bienveillante. Cette phrase pèche contre l’accord toltèque « que ta parole soit toujours impeccable ». Ce genre de phrase et l’émotion qui se dégage montrent que les protagonistes prennent les choses personnellement . Or dans nos formations à la laïcité et les débats afférant il est toujours souligné que la liberté de conscience est absolue, que le respect est dû à la personne, mais que tous sont libres de critiquer et pourquoi pas railler les idées.

Là gît la racine du problème. Réussir à maintenir une séparation permanente entre soi et ses idées suppose une grande maturité.

Beaucoup de nos contemporains ont un niveau plus bas, dans lequel les croyances sont des points d’appui, pour ne pas dire des béquilles. Si elles viennent à céder, leur monde s’écroule. Or les croyances religieuses sont dans nos sociétés fréquemment sapées par les avancées de la science et les railleries. D’où la crispation : elle est liée à la survie de la construction même de l’identité des personnes.  

A ce stade, on peut se dire que les occidentaux n’ont pas significativement évolué depuis les interdictions du pasteur Anderson… ou, dit autrement, la bataille entre les Lumières et les anti-Lumières fait toujours rage. D’un côté ceux qui croient que le progrès humain cela existe et que c’est démontré, comme Steven Pinker,  de l’autre ceux qui le nient plus ou moins, puisque la main de dieu ou d’un principe créateur a pondu un chef d’œuvre non améliorable par de vulgaires humains prédateurs et pollueurs.

Comment augmenter les chances de sortir de cette impasse ?

Le premier canard à descendre c’est d’appeler « identité » l’histoire qu’on se raconte sur soi : ses racines, sa famille, les circonstances de sa vie. Même si tout cela pèse beaucoup dans nos comportements et opinions, nous sommes tous susceptibles d’évoluer. Même notre génome est modifiable, avec parfois des modifications épigénétiques acquises mais transmissibles à nos enfants.

Mon histoire, c’est mon histoire, mais moi c’est moi à l’instant actuel. Pour mon futur, c’est moi qui déciderai ( sauf contraintes extérieures ), ce n’est pas mon histoire qui dicte mon destin.

Ici, ne nous leurrons pas, nous butons sur la faiblesse de l’individu isolé, auquel notre instinct tiré des temps ancestraux crie que la solitude c’est la mort. Il faut donc s’intégrer au groupe, et là …il faut montrer patte blanche, c’est-à-dire faire allégeance au meneur. Le meneur testera la soumission en faisant accomplir des actes qui vont à l’ encontre des règles communes, par exemple une agression contre le groupe rival.  

Gros problème à ce stade donc :  se faire admettre dans un groupe passe par le rejet des autres groupes ( ou de boucs émissaires ).

Comment traiter le problème ? D’abord, on réduit le danger par des mesures partielles comme par exemple consommer et/ou sublimer le trop-plein d’énergie dans des compétitions où l’agressivité est très normée, comme le sport, les concours littéraires ou les jeux vidéo. Pratiquer ces activités en groupe procure aussi le sentiment d’appartenance tant recherché. Dans certains groupes cette chaleur collective tant recherchée se nomme égrégore.

Mais à plus long terme il faut tuer la délétère équation « appartenir à mon groupe implique haïr les autres groupes ». Un outil pour cela :  l’universalisme ! Nous avons plus de points communs que de différences. Le danger vient de l’hypothèse, trop souvent implicitement admise, que les différences sont immuables, confondant ainsi l’identité (actuelle) avec l’essence, vieille lune platonicienne.  On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve !

N’écoutez pas les politiques qui vous serinent le contraire :  vive les rassembleurs, dehors les clivants !

2 Commentaires

  1. Merci de ces réflexions fondamentales. Ce sont des sujets sur lesquels je travaille et vous m’inspirez beaucoup.

    En arrière plan des difficultés que l’on rencontre dans les rapports humains, il y a, en premier lieu, l’esprit de compétition qu’on nous enseigne dès notre plus jeune âge et qui dérive vite en “certitudes” et “rejet des autres”, voire la haine. À l’opposé, il y a une règle que l’on ne nous enseigne jamais (en occident, du moins) c’est celle de “ne pas juger l’autre”. On peut avoir des points de vue et être tenté par des certitudes, mais on peut aussi s’interdire de “JUGER” les autres.

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Patrick Van Denhove
Patrick Van Denhovehttps://www.lebandeau.net
Après une carrière bien remplie d'ingénieur dans le secteur de l'énergie, je peux enfin me consacrer aux sciences humaines ! Heureux en franc-maçonnerie, mon moteur est la curiosité, et le doute mon garde-fou.

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