ven 22 novembre 2024 - 18:11

Le développement personnel : outil ou arnaque ?

Ulysse le vaillant guerrier mérite, ô combien, de retrouver la félicité auprès de sa tendre Pénélope, après son retour si tumultueux de la guerre de Troie, véritable épreuve initiatique ! Il ne tombe ni dans les redoutables pièges tendus par le terrible Poséidon ni ne cède aux promesses d’éternité de la voluptueuse Calypso. Il parvient enfin, aux termes d’un voyage de dix ans, à rejoindre son royaume d’Ithaque. Parce que, conclut le récit homérique, une vie de mortel réussie auprès de l’être aimé apparaît préférable aux yeux d’Ulysse, à celle, ratée, d’un immortel.

Un choix noble qui le glorifie. Ce désir de se gouverner soi-même, de vouloir maîtriser son destin, est en soi la promesse du « développement personnel ». Deux mots désignant aujourd’hui un véritable phénomène sociétal et une activité qui représente quelque 30% du marché du livre. Et 100 millions d’euros annuels de chiffre d’affaires en France !

Analyse Transactionnelle (modèle de communication) Programmation Neurolinguistique (systèmes de transformation de soi) Rebirth, (techniques respiratoires), Gestaltisme (psychologie de la forme), Ennéagramme (types de caractères) sont les disciplines « positives » qui composent, entre autres, ce marché. Il s’agit de théories de la personnalité portées par les « courants humanistes » nés aux Etats Unis ou réapparues après la seconde guerre mondiale (actualisation pour certains de la Méthode Coué, ancêtre de l’autosuggestion) et visant, sinon à rendre heureux l’individu, à lui offrir l’autonomie. Dont il a été privé pendant le long conflit. Elles répandent alors un « parfum de liberté » qui coïncide avec l’air du temps ! D’où en partie leur succès !

Elles poursuivent leur chemin aujourd’hui dans le sillon de la psychanalyse et des diverses méthodes d’inspiration analytique. S’y ajoute maintenant le coaching (ou mentorat), système d’accompagnement individuel. Celui-ci est conduit par un intervenant (en principe qualifié) dans le but d’améliorer les performances d’une personne (ex : chef d’entreprise, acteur, sportif). Un encadrement évidemment encensé par les « gagnants » ou controversé par les « déçus » selon le résultat.

 Nous pouvons remarquer que dans le copieux catalogue présentant les « livres-outils » de ces pratiques dudit développement personnel ne figurent pas ceux intéressant la franc-maçonnerie. Ses ouvrages, nombreux eux aussi, apparaissent encore très souvent classés dans le rayon des « pratiques ésotériques » des librairies spécialisées alors que leur juste « positionnement » serait aussi dans celui des sciences humaines et sociales ! Il reste à la franc-maçonnerie à se créer cette image d’appartenance auxdites sciences. Restée longtemps secrète par les exigences de l’histoire, elle est aujourd’hui discrète. Encore trop, sans doute, car elle n’a vraiment rien à cacher. Proche de la philosophie et des raisonnements de ses prestigieux promoteurs antiques – dont elle véhicule de nombreux concepts – elle a tout à gagner de cette proximité.

Certes – nous ne le répèterons jamais assez – la franc-maçonnerie n’est pas une méthode thérapeutique en soi, mais avant tout une société de pensée. Classiquement, la thérapie est, dans un temps limité, un traitement psychologique personnalisé par un professionnel de santé, des perturbations comportementales générant une souffrance chez un patient. La méthode de travail maçonnique, elle, consiste à partir de l’initiation (rite symbolique de passage), à « l’éclosion » en assemblée d’un état d’esprit, d’une ouverture sur le monde suggérant une introspection aux membres concernés.  

C’est ainsi qu’ils accomplissent un cheminement spécifique – entre autres par le symbolisme – sur une longue voie de perfectionnement et d’accomplissement de soi qui peut durer toute une vie. En cela, le travail communautaire en loge est parfois comparable – par une approche différente selon les rites maçonniques – à la « dynamique de groupe » pratiquée en séminaires d’entreprise.

Le développement personnel (ou épanouissement individuel) peut de la sorte s’entendre au moins de deux manières : une méthode psychologique de soin en thérapie et un processus philosophique de réflexion en franc-maçonnerie. En résumé, la première est un traitement, la seconde un raisonnement. Les deux ne sont pas incompatibles.

Ce mal-être éventuel et ce désir « d’augmentation de soi » que démontre la vente impressionnante de livres dédiés pose question à l’évidence. Avant de crier « à l’arnaque » et de facilement dénoncer les auteurs « marchands de bonheur », il convient de chercher la cause de cette inflation. Et de l’analyser. Bien sûr au-delà de l’épidémie de « Covid 19 » récente et du confinement conséquent qui a certes redonné du temps et donc un grand élan à la lecture, dans tous ses domaines. Et qui a augmenté le volume des ventes !

C’est l’importance de celles des ouvrages dudit « développement personnel » qui nous alerte ici. De fait, après interrogations des libraires – premiers interlocuteurs « avertis » en l’occurrence, nous constatons que la demande du lectorat en cause relève à la fois d’un besoin et d’une croyance. Nombre d’êtres humains ressentent en effet la nécessité de donner du sens à la vie, à leur vie. Et d’être convaincus qu’ils ne sont pas déterminés, comme les autres animaux, par un programme.

Signification et indépendance. Cette exigence d’une raison de vivre par le savoir et la connaissance comme ce refus d’assignation à une existence « préconfigurée » débouchent sur la liberté de penser, de dire et de faire. Le sens et l’autonomie excluent le déterminisme et permettent foi ou non au ciel. A chacun, à chacune son libre-arbitre !

Ecoutons bien : De ce foisonnement livresque monte aussi pour qui veut l’entendre, un cri particulier : celui de la solitude. Tout Homme, toute Femme peut se sentir seul (e) même parmi d’autres ! Un livre – qu’il soit en papier ou numérisé, selon le goût individuel – est alors à même de devenir soudain un compagnon précieux, un guide espéré pour qui souffre d’esseulement. Jusqu’à prendre vie. L’espoir est une boussole !

Homme tenant une rose des vents sur la plage
Homme tenant une rose des vents sur la plage

Le mot « sens » précité désigne à la fois signification et direction. Non seulement il est possible que surgisse une explication d’un livre mais aussi l’indication d’une réflexion à mener, d’une route à prendre, d’une porte où frapper. Celle du Temple maçonnique est éventuellement à disposition pour qui en demande l’entrée. Et lui faire place après – accueil signifie aussi vigilance – enquêtes et formalités d’usage. Les candidatures spontanées imposent la même rigueur que les parrainages.

Le grand récit d’Homère précité, socle de la philosophie grecque, nous indique que cette notion de place est au cœur de la réalisation individuelle. Elle est reprise par les rites maçonniques, dont les valeurs existentielles qu’elles expriment au gré des barreaux de leurs échelles initiatiques progressives, nous renvoient, encore et toujours, à ce sens de la vie. Et de la vie de chaque être. Avec, en l’espèce, une invitation à l’application d’une vertu souvent oubliée dans notre siècle où le paraître à tendance à primer sur l’être : l’humilité.

 Qui dit échelles, dit pouvoirs et décors fonctionnels (parfois dorés !) de leurs tenants passagers. Sous le signe de l’équerre et du compas, l’humilité est l’escorte permanente de celles et ceux qui, se sachant provisoires, cherchent l’éclairement de la lumière, mieux que sa brillance.

Le développement personnel en franc-maçonnerie, prenant donc effet par un gravissement de degrés, peut évoquer une escalade. Au vrai, il s’agit davantage d’une traversée, focalisée sur « l’humain ». A l’image de la démarche des penseurs antiques, se déploie une philosophie progressive à la recherche du Bon, du Beau, du Vrai et du Juste.

Cette évolution invite ainsi le franc-maçon, la franc-maçonne à passer du sempiternel « Qui suis-je ? » au « Que suis-je ? ». Soit du « Connais-toi toi-même » socratien au « Deviens qui tu es » nietzschéen.

Sigmund Freud
Sigmund Freud entouré de ses plus proches partisans (Sandor Ferenczi, Hanns Sachs (debout), Otto Rank, Karl Abraham, Max Eitingon, et Ernest Jones).

Pour effectivement trouver et vivre à sa place et à son office de « parlêtre ». En loge et dans la cité.

Ainsi, à partir de la joyeuse rencontre fraternelle pour fil rouge sont explorées ces voies qui conduisent au centre de soi : nos besoins, souhaits et impératifs, tant en termes organiques, traditionnels, symboliques et réflexifs qu’en matière de sacré.

Et partant sont approchés ces outils psychiques permettant le passage de la pensée binaire (ex : le pavé mosaïque) à la ternarité (ex :la triangulation). La rédaction d’une planche (exposé oral maçonnique) construite selon la trilogie du philosophe Georges Hegel (thèse, antithèse, synthèse) en fournit un parfait exemple.

Son collègue Frederic Nietzsche est encore souvent incompris lorsqu’il évoque notre « volonté de puissance ». Il n’est pas question dans son esprit de quelque « bouffée délirante » de domination. Mais simplement d’un désir ardent de vie. Il se traduit par l’inclination naturelle de notre organisme à prospérer jusqu’à notre dernier souffle.

Chacun, chacune de nous est un « être de soifs ». Telle une plante verte qui ne cherche qu’à croître, grandir, se multiplier. A condition d’être régulièrement entretenue, vivifiée, désaltérée, par des apports nutritifs. La définition même du « développement personnel ».

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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