Dieu Le Père, dans ce monde nouveau qu’il avait dégagé en quelques jours du ciel et de la terre, chargea Adam, sa créature, de prendre en charge l’identification des espèces vivantes, de les nommer, de les classer. Suite à cet acte de désignation, une relation verticale s’est instituée et a imposé une norme supérieure aux statuts inférieurs…
Tant qu’Adam n’avait pas donné de nom, prétendent certains, les animaux que le Seigneur avait créés à partir de la terre nouvelle n’existaient pas ! Puissance du verbe asservissant le réel ? Retour du refoulé ? Ou du bien mal nommé ? On raconte qu’une femme (sans doute Ève, la compagne d’Adam) entreprit de défaire les actes de son compagnon. Il est vrai qu’Adam ne l’avait pas consultée dans l’entreprise de reconnaissance. (Sur ce point nous sommes toujours légitimés à inquiéter les doctes religieux barbus pour connaître la raison d’une telle mise à l’écart d’Ève alors que ce premier couple vivait dans le même jardin et qu’elle représentait déjà la moitié de l’humanité ?)
En tout cas Ève, indignée, persuada tous les animaux d’abandonner les noms qui leur avaient été attribués… Une fois les animaux dénommés, elle sentit bien la différence : un mur tombé, un espace rétréci entre les animaux et, en son cœur, cette allégresse prodigieuse d’une égalité inédite découverte à leur égard avec le sentiment d’être dans une communauté fraternelle.
Tous les anthropologues et ethnologues le savent : sans nom pour les séparer, il n’est plus possible de distinguer le chasseur du chassé, le poisson du pêcheur, le mangeur de la nourriture…
Dans l’anonymat le face-à-face avec le réel est rude, mais il donne toute sa chance à l’expérience initiatique (fût-elle éprouvante à vivre) !
L’étape d’après, inévitable, fut la restitution de son nom par Ève. Elle le rendit sans ambages à Adam, puis le quitta et rejoignit les autres qui, en acceptant de n’être plus nommés, s’étaient affranchis de l’autorité du premier des hommes et apprivoisaient maintenant de nouvelles relations entre eux…
(« Enfin ! » commenteraient vraisemblablement les philosophes de notre monde fatigué : il advenait quelque chose de neuf grâce à des êtres impliqués !)
Pour Ève, en revanche, les choses furent plus conséquentes : son acte définitif entraînait un autre renoncement, celui du langage qu’elle partageait jusqu’ici avec Adam. Mais, fi ! Elle lui déclara que, l’une des raisons pour lesquelles elle faisait cela, était que ce langage-là ne les menait nulle part, en tout cas nullement sur un chemin balisé ensemble…
D’où son impérieux désir à elle d’ouvrir les portes d’une prison d’opinions imposées, de préjugés tyranniques, d’un doute désagréable sur l’existence même de son âme…. Un bon vent serait salvateur !
Les joies de sa parole et de sa sensibilité lui faisaient pressentir qu’elle pouvait à côté d’Adam faire émerger une formidable solidarité voire tracer un meilleur avenir… Adam ébranlé par la vigueur d’un tel discours proposa un pacte équitable. A Eve de féminiser les noms de certaines espèces tels : la libellule, la caille, la licorne, l’agnelle, la tourterelle… A Adam de masculiniser les noms de certaines espèces jugées féroces : le lion, l’ours, le loup, le crocodile, ou simplement domestiques comme l’âne, le cochon, le bélier, le taureau… Cependant il arrivait à Adam de blêmir devant des critères classificatoires complexes qu’Ève retenait dans sa passion de reconnaissance : ne parlait-elle pas de mixité, parité, sororité, gémellité… ? Il se sentait un peu perdu mais les arguments de sa belle l’interpellaient sans le désintéresser. Même si cela l’obligeait à soumettre à la discussion des structures normatives et les rendait négociables, il en convenait : il n’avait délivré jusqu’ici qu’un brouillon et se devait de dépasser cette contrariété intime !
Adam était une bonne pâte d’homme et aussi homme lucide : il présumait que si de nouvelles approches se révélaient plausibles, le premier sillon tracé, malheureusement profondément, allait demander bien du temps pour être rectifié ! Effectivement depuis ce temps très ancien, les filles d’Ève sont dans cette histoire en continu : réaliser l’autonomie, conquérir des droits, s’engager auprès des opprimés, des mal nommés, des invisibles, faire admettre dignité et qualités … Surtout : éclairer le pôle masculin et le pôle féminin, pour que cette terre-monde soit rendue plus habitable pour tous les êtres vivants !
« Il n’est nullement besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer »
Référence : L’anecdote initiale de la contestation d’Eve lors de la création est empruntée à l’écrivaine américaine de science-fiction et de fantasy : Ursula Kroeber Le Guin. (1929/2018).
Merci… C’est tout ou presque. Merci de cette éclairage sous forme de légende, a chacun de remplacer un mot par un autre
Au commencement était le sourire… Cette ouverture individuelle du cœur et de l’esprit qui, offert à l’autre, produit un écho qui se prolonge, se diffuse et rayonne sur le groupe.
Le verbe sépare, fige l’idée et devient une source d’incompréhension, de mauvaise traduction, de délicate construction (Babel) ; alors que le sourire unifie en profondeur, élargie la pensée et transmet sans filtre notre humaine reconnaissance.
Merci pour cette “légende des temps modernes”…
RADI…calement
Ar Furlukin