…En effet, deux caractéristiques du sens moral humain sont étonnantes : son universalité et son apparente objectivité ; les sciences humaines creusent activement la question, en particulier la psychologie évolutionniste.
La franc-maçonnerie a entre autres pour objet l’étude de la morale, nous dit le Grand Orient de France (sans qu’aucune autre obédience ne s’y oppose), et elle assure même travailler au perfectionnement moral de l’humanité : je vous le disais bien, c’est notre chouchou.
Et pourtant on a l’impression que jamais autant que maintenant nos concitoyens n’ont clamé si fort qu’ils refusent qu’on ne leur fasse la morale ; ce « on » peut désigner toutes les autorités : parentales, politiques, religieuses, professionnelles, savantes… nous sommes devant l’esprit de liberté exacerbé qui nous fait ressembler à des enfants capricieux, même si nos poils sont gris. Le phénomène s’observe jusque dans nos loges mais, vieil optimiste, j’ose espérer qu’il y est un peu atténué, et cela parce que l’objet du travail c’est soi-même, ce qui promeut l’humilité et l’acceptation d’un conseil fraternel.
L’étude de la morale ne date pas d’hier ; les philosophes antiques déjà s’étonnaient de cette propension à faire passer le bien-être des autres avant le sien, propension qui de plus semble universelle . L’universalité et l’impression d’objectivité que l’on ressent avec les choses morales attirent bien sûr ceux qui veulent rassembler les humains selon leurs points communs.
Observant le caractère automatique de l’élaboration d’un jugement moral par notre cerveau, la comparaison avec nos 5 sens de perception est pertinente : la vue par exemple capte des signaux extérieurs, en fait un prétraitement puis envoie les signaux au cerveau qui les interprétera . Il y a donc des données entrantes en provenance de l’environnement, puis un processus de traitement algorithmique, effectué dans le cerveau, produit des données de sortie : le jugement moral .
Si on laisse la dénomination 6e sens à l’intuition, le sens moral est donc notre 7e sens, toujours en fonction lorsque nous sommes éveillés ; et distribuant ses bons et mauvais points à tout bout de champ, sans même que nous le voulions.
Alors, comment ça marche ? Là, petite déception : les neurosciences ne trouvent pas, pour l’instant, de zones -ou circuits simples spécialisés dans le sens moral- il s’agirait d’une combinaison de divers circuits. Place libre donc aux autres sciences humaines pour recherche des explications et des preuves associées .
Les psychologues ont montré par des essais que dès 3 ans les bébés ont un sens de la coopération mais aussi de l’équité (partages) ; ils savent très tôt distinguer les simples conventions (pour sortir on met certains vêtements et non d’autres) des normes morales (interdit de mordre les copains). Ceci plaide en faveur d’un précâblage permettant un développement rapide du sens moral ; les études sur jumeaux corroborent ce point de vue.
L’idée du précâblage endommage les tenants de la thèse du tout-culturel, pour lesquels la morale n’est qu’une internalisation des normes sociales. Elle est aussi gênante pour les rationalistes, pour lesquels le jugement moral s’obtient après un raisonnement logique explicitement décidé par notre cortex. Reste donc les naturalistes, pensant que notre cerveau humain comprend un algorithme codé génétiquement, fruit de l’évolution, ce qui signifie que son ancrage nous a procuré à des moments donnés des avantages de survie. En particulier, les relations entre une coopération réussie et la survie ont pu favoriser l’ancrage de l’algorithme. Partager un bout de viande avec ses congénères ouvre un droit à obtenir une faveur similaire plus tard ; se sacrifier pour sauver son clan est aussi une manière de promouvoir les gènes que l’on a en commun avec lui. Ces mécanismes ont été observés dans des tribus de chasseurs-cueilleurs.
N’oublions pas que le jugement moral et ses préconisations ne s’imposent pas forcément face aux pulsions égoïstes.
De même, ne perdons pas de vue que le jugement sera toujours tributaire des données entrantes . On a montré que de faibles variations des données entrantes peuvent changer le jugement du tout au tout ; les préjugés sont des données entrantes, qui peuvent fortement influencer le résultat du processus, et l’influence se renforce encore quand il s’agit de croyances collectives ( culture, religions ).
C’est ainsi que l’on arrive à montrer que le comportement moral, en apparence coûteux, est fréquemment compensé par des inconvénients cachés évités, nommés « coûts d’opportunité » par les spécialistes comme Stéphane Debove, auteur de « Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal ». Plus généralement, les coûts d’opportunité permettent d’expliquer les mécanismes stabilisant la coopération entre individus ou entre individus et groupe . On pourra distinguer les comportements coopératifs des comportements altruistes : ces derniers sont à la fois coûteux pour l’acteur et bénéfiques pour le groupe.
En conclusion, on peut voir le sens moral comme une aide précieuse en vue de maximiser les bénéfices sociaux.
J’espère ne pas vous avoir trop fait la morale !
Merci pour cette touffue référence, MTCF Alain !
Si j’ose quelque métaphore, je vois une petite lutte pour le pouvoir sous nos crânes, entre la partie raisonnante et la partie intuitive de notre cerveau ( oui ça ressemble aux systèmes 1 et 2 de Kahneman ) : la partie raison tient à des principes clairs et s’appliquant de la même manière à soi et à autrui ; la partie intuition, finaude, contourne parfois l’obstacle en inventant des exceptions quand ça l’arrange : “je suis pour l’universalité, mais les femmes/juifs/homos/noirs/musulmans/blancs/….( rayer la mention inutile ) c’est différent alors une règle aménagée s’applique !”
MTCF tu abordes un sujet intéressant ; effectivement de nombreuses références nous renvoient à ces “hautes valeurs morales” ; pour les francs-maçons du XVIIIème siècle, c’était avant tout la référence à la Bible qui fixait les notions du Bien et du Mal ; mais aujourd’hui ? Règles de vie communautaire, principes religieux, bienveillance, tout cela se mélange au gré des situations ! Sommes-nous vraiment exemplaires sur ce plan, nous qui avons la réputation d’avoir un sens moral “élastique” ? Ne serait-il pas temps de définir une morale maçonnique contemporaine universelle qui puisse être une référence (au moins pour quelques années) ?
Je ne sais pas si tu connais ce texte (https://www.espace-ethique.org/sites/default/files/Cellule%20de%20re%CC%81flexion%20de%20l%27Espace%20e%CC%81thique_1996_Le%20le%CC%81gal%20et%20le%20moral.pdf ) qui rassemble des échanges sur ce sujet ! Fraternellement !
Eh oui, le travail sur ces choses permet le progrès personnel. La permanence des progrès réalisés n’est pas évidente ( “20 fois sur le métier remettez votre ouvrage,…” ) , mais la voie de l’ancrage personnel n’est pas la seule : les partenaires des coopérations réussies peuvent aussi contribuer à pérenniser les notions, qui peuvent s’inscrire dans les normes culturelles du groupe et même se graver dans le génome en ayant influencé le choix des partenaires de reproduction.
merci de ta contribution sœur Solange.
L’éthique est la visée personnelle de l’action qui utilise les outils de la morale Cela me semble indiquer que le “sens moral” peut -être développé par la volonté dans des directions personnelles.