jeu 21 novembre 2024 - 22:11

Les rituels et la pureté

En Franc-maçonnerie, on est délicat.

Au cours de la cérémonie d’initiation, lors des purifications par les éléments, les épreuves sont réglées par une didascalie propre au rituel (des indications d’action, de mise en scène, de lieux et décors, …). Suffisent alors un léger contact avec la terre dans une caisse à chat, le bout du doigt pour l’épreuve de l’eau, un geste d’éventail pour celle de l’air, un rapide contact inoffensif avec une bougie pour celle du feu. Cela suffit-il vraiment, cela voudrait-il dire qu’il ne s’agit pas d’épreuves ? Est-ce à un ramollissement de nos mœurs que le franc-maçon doit d’être indemne ?

Pour des spéculatifs, cela suffit évidemment. Prenons l’exemple de l’ablution du bout des doigts. Cela peut signifier aussi toute la corporéité en pensant que les mains, palpant ce qui est extérieur au corps, captent par leur prédisposition la souillure, mais aussi la purification. Elles sont comme des antennes. Les tremper dans l’eau, c’est faire reconnaître à l’impétrant son désir de pureté, sa volonté de pureté en venant vers la Franc-Maçonnerie, mais aussi la nécessité de cette pureté. On l’aura compris, la pureté et l’impureté ne sont pas des catégories hygiéniques et ne renvoient pas à une propreté ou une saleté objectives. Ces mots renvoient à un état relatif au contact avec une source de pureté ou d’impureté et à l’accomplissement des actes de purification rendu nécessaire par l’impureté. Je pose mes mains sur les tiennes. Suis-je souillée ou purifiée par ce contact et toi ? Encore faudrait-il définir ce mot.[1]

Selon la version de Platon, le royaume perdu d’Atlantide se situait au-delà des colonnes d’Hercule ; symboliquement, dépasser les colonnes d’Hercule peut signifier quitter l’impureté du monde matériel pour accéder au royaume supérieur de l’illumination. Passer les colonnes du temple serait-il un seuil de purification automatique, mémoires des épreuves réussies une fois pour toutes, qui ne n’ont plus à être éprouvées pour celui qui entre en loge ?

La notion de pureté maçonnique trouve son expression la plus visible avec les gants blancs. La couleur blanche des gants est celle des initiés parce que l’homme qui diminue ses ombres pour suivre la lumière passe de l’état profane à celui d’initié, de pur ; il est, spirituellement, rénové. D’un point de vue initiatique, le blanc – synthèse des couleurs de l’arc-en-ciel – évoque la lumière spirituelle.

La couleur blanche des gants prend une autre signification au grade de Maître. Dans le Rituel de François Bonaventure Joseph du Mont, marquis de Gages (1763), on instruit le Maître : «Je vous donne ces gants qui par leur blancheur dénotent la candeur des maîtres et que vous n’êtes du nombre de ceux qui ont trempé les mains dans le sang de l’innocent.» L’examen des gants et du tablier viendra renforcer cette idée de suspicion, de trahison des engagements et même de meurtre. C’est en souvenir de cela, entre autres, que les maçons portent des gants blancs malgré leur chagrin, afin de proclamer qu’ils sont innocents de la mort du Maître Hiram.

S’interroger sur la l’idée de pureté, soulevée par l’interprétation consensuelle des éléments des rituels, ne saurait nous épargner la question polémique de la pureté des rituels eux-mêmes.

Si la Tradition est toute entière conservée depuis plus ou moins longtemps dans les écrits, les rites et les dévoilements, il semble prouvé que la transmission même si elle duplique sans faute certaines informations, insensiblement en altère ou en dégrade d’autres. Enfin, certaines données subissent des modifications sensibles, des glissements surtout du fait des traductions. Mais surtout, la Franc-maçonnerie n’échappe pas elle-même aux lois de l’évolution de la société ; l’abandon de la référence au Gadlu par le GODF en 1877 en est un exemple.

Reste le délicat débat entre Obédiences sur leur «pureté» identitaire originelle comme il y a des débats identitaires dans la société. L’universalisme de la Franc-maçonnerie ne serait-il pas à rechercher non dans ses structures, mais dans ses valeurs universelles ?

Conférence du rabbin Delphine Horvilleur à la Grande Loge de France

[1]Nous n’envisageons pas dans cet article de poursuivre la réflexion sur la pureté du sang (la limpieza de sangre) en tant que question identitaire.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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