mer 24 décembre 2025 - 13:12

L’épreuve du symbole : « Quelques pas ensemble », un chemin à habiter

Dans Quelques pas ensemble – Sur des chemins d’éveil, Michel Auzas-Mille ne propose pas un manuel de plus à empiler sur l’étagère des soifs spirituelles. Il tend une main, et cette main n’est pas pressée. Elle connaît la durée. Elle sait que l’éveil n’est pas une enseigne, mais une discipline du cœur, une lente mise en ordre de la vie intérieure. Nous ne sommes pas ici dans la promesse bruyante des vitrines contemporaines, mais dans une démarche qui accepte la nuance, le tremblement, le recul, le silence.

Le livre se présente comme un chemin. Non pas un chemin à faire, mais un chemin à habiter, à éprouver, comme nous éprouvons une pierre… en la touchant, en la tournant, en découvrant ce qu’elle exige.

Michel Auzas-Mille, né en 1947, appartient à cette famille rare des créateurs qui ne séparent pas l’image du verbe, ni le verbe de la quête. Illustrateur et peintre, il a longtemps accompagné, par le dessin, des figures majeures de la pensée symbolique et initiatique Annick de Souzenelle, Jean-Pierre Bayard, Serge Hutin, Mario Mercier – tout en poursuivant sa propre œuvre d’écriture, où chaque livre ressemble moins à une “publication” qu’à une pierre ajoutée à un édifice intérieur. Cette double fidélité, à la ligne et au sens,  donne à son dernier opus son grain singulier. Un texte qui ne parle pas du symbole comme d’un sujet, mais qui le laisse travailler la conscience, jusqu’à ce qu’il devienne relation, passage, maturation.

L’ouvrage assume d’ailleurs une forme qui lui ressemble

Il est un recueil vivant, tissé d’articles, de fragments méditatifs, de pages plus didactiques, d’élans poétiques, traversé par des thèmes multiples, comme des stations sur une même route. Le lecteur ne marche pas dans un couloir mais traverse un paysage. Il y rencontre le rapport du bien et du mal, l’illusion, le désir, l’attention, la part des objets, ces compagnons discrets qui, soudain, deviennent miroirs, et jusqu’à ces signes qui, dans une vie, prennent le visage de la synchronicité. Cette mosaïque n’est pas dispersion : elle est l’image même d’un cheminement réel, fait de retours, de reprises, d’évidences brisées et de reconstructions patientes. La vie intérieure ne se déroule pas en ligne droite ; elle avance par petits pas, par ressaisissements, par éveils successifs.

Dès les premières pages, Michel Auzas-Mille installe une saison décisive : l’« Hiver Philosophal »

Tout y est : la traversée obscure, la perte d’élan, le sentiment que le sens s’éloigne, que la lumière se retire. Et pourtant, au cœur même de ce retrait, la préparation silencieuse d’un renouveau. La force de ce passage tient à son ton : il ne s’agit pas d’un discours sur la nuit, mais d’une parole d’homme qui l’a connue, qui a regardé sans fard l’épreuve et qui choisit, malgré tout, de témoigner. Ce qui s’y joue ressemble à une mort symbolique : quelque chose se défait, se dépouille, se dénude, pour que l’être cesse d’être encombré de ses propres masques. Le livre n’idéalise pas l’ombre ; il la reconnaît comme une phase de l’œuvre, comme un creuset.

De page en page, une idée revient, obstinée et douce : le symbolique n’est pas un décor, il est un langage

Non pas un code à déchiffrer pour briller, mais un pont entre le visible et l’invisible. Michel Auzas-Mille ne collectionne pas des correspondances mortes ; il parle de l’expérience même du symbole, de sa capacité à déplacer le regard, à ouvrir un intervalle, à faire tenir ensemble la matière et l’esprit sans les opposer. C’est là que le livre prend une tonalité profondément initiatique : il ne s’agit ni de mépriser la matière, ni de la réduire à l’utilitaire, mais de la reconnaître comme support de transformation. La forme façonnée, l’objet tenu, la pierre travaillée, la coupe offerte, le bois sculpté tout ce qui est fait devient susceptible de devenir sens, à condition d’être approché avec justesse.

Planche représentant une version latine de la Table d’émeraude gravée sur un rocher dans une édition de l’Amphitheatrum Sapientiae Eternae (1610) de l’alchimiste allemand Heinrich Khunrath.

Les grandes figures de la tradition hermétique apparaissent alors non comme une parure, mais comme des repères. Hermès et la Tabula Smaragdina (Table d’émeraude), la Papesse du Tarot, les alchimistes, certaines résonances chevaleresques, et surtout cette présence du Tarot comme grammaire du passage. Michel Auzas-Mille sait ce que signifie regarder un arcane : non pas pour y chercher une prédiction, mais pour y recevoir une leçon de verticalité, une mise en forme de l’âme. Le symbole, ici, n’amuse pas mais met au travail. Il oblige à consentir à ce que nous portons déjà sans le savoir.

La Papesse

Au centre de cette dynamique, l’auteur place un mot que beaucoup ont usé jusqu’à l’affadir, et qu’il rétablit dans sa rigueur : l’Amour

Non pas l’émotion, non pas le sentiment qui passe, mais une force de transmutation. L’Amour comme feu ! Non le feu qui détruit, mais le feu qui dépouille, qui retire l’inutile, qui brûle l’excès, qui révèle l’essentiel. Dans cette perspective, la souffrance n’est pas glorifiée ; elle est reconnue comme une initiatrice possible, une épreuve qui, si elle n’est pas idolâtrée, peut ouvrir un passage. Le livre n’édicte pas une morale : il cherche une vérité d’expérience. Il nous rappelle que le cœur, pour devenir clair, doit parfois consentir à perdre ce qui l’encombre.

Et puis il y a l’Art

Non l’art culture qui se consomme, mais l’art comme reliance. L’auteur écrit et dessine comme un homme qui sait que créer n’est pas orner mais relier, rassembler et accorder. L’Art devient ici une manière de prier sans vocabulaire religieux, une manière d’habiter le monde sans s’y dissoudre. L’image ne vient pas illustrer le texte comme une décoration ; elle le prolonge, le double, l’approfondit, parfois le contredit pour mieux le faire résonner. Nous sentons la lignée des enlumineurs, des maîtres verriers, des ateliers où le geste est un langage et la ligne une ascèse. Il y a, dans ce livre, une fidélité au trait comme à une parole intérieure.

Peu à peu se dégage une direction. Celle du Maître intérieur. Non comme une figure fantasmée, mais comme une présence à retrouver, un centre de gravité à reconquérir. Michel Auzas-Mille parle à celles et ceux qui marchent, qui trébuchent, qui recommencent, qui se méfient des solutions rapides et des certitudes prêtes à porter. Il invite à une vigilance fine, une écoute qui engage tout l’être (tête, cœur, ventre) jusqu’à cette unité rare où quelque chose devient juste, non parce que tout est facile, mais parce que le regard s’est ajusté.

Ce livre, bien sûr, parlera aux Francs-Maçons, parce qu’il connaît la logique des passages, des seuils, du travail sur soi, de la pierre intérieure à dégrossir et à polir. Mais il ne réclame ni appartenance ni mot de passe. Il s’adresse à toutes celles et ceux qui se tiennent à la lisière du Mystère, non pour le posséder, mais pour s’en laisser instruire. Il ne force pas le pas : il propose une compagnie. Il ne s’impose pas : il accompagne. Il ne vend pas la lumière : il enseigne l’art de s’en approcher.

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Quelques pas ensemble dit peu par son titre, et beaucoup par sa manière : ces pas-là, lorsqu’ils sont vraiment entrepris, ne mènent pas à une doctrine, mais à une présence. Et cette présence, comme un feu sobre dans la nuit, ne fait pas de bruit…

Quelques pas ensemble – Sur des chemins d’éveil

Michel Auzas-Mille – Éditions L.O.L., coll. Mystères Initiatiques, 2025, 238 pages,  17,50 € – numérique 5 € / Lire l’échantillon

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Aratz Irigoyen
Aratz Irigoyen
Né en 1962, Aratz Irigoyen, pseudonyme de Julen Ereño, a traversé les décennies un livre à la main et le souci des autres en bandoulière. Cadre administratif pendant plus de trente ans, il a appris à organiser les hommes et les dossiers avec la même exigence de clarté et de justice. Initié au Rite Écossais Ancien et Accepté à l’Orient de Paris, ancien Vénérable Maître, il conçoit la Loge comme un atelier de conscience où l’on polit sa pierre en apprenant à écouter. Officier instructeur, il accompagne les plus jeunes avec patience, préférant les questions qui éveillent aux réponses qui enferment. Lecteur insatiable, il passe de la littérature aux essais philosophiques et maçonniques, puisant dans chaque ouvrage de quoi nourrir ses planches et ses engagements. Silhouette discrète mais présence sûre, il donne au mot fraternité une consistance réelle.

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