jeu 27 novembre 2025 - 18:11

« Momies » au Musée de l’Homme : corps d’éternité, mémoires révélées

Du 19 novembre 2025 au 25 mai 2026, le Musée de l’Homme consacre une grande exposition aux momies. Loin des clichés de films d’aventure, ce parcours interroge notre rapport à la mort, à la mémoire des disparus et au désir d’éternité qui traverse l’humanité depuis des millénaires.

Au seul mot de « momie », surgissent aussitôt des images de sarcophages dorés, de bandelettes défaites, de tombeaux égyptiens hantés par quelque malédiction. L’exposition « Momies » entreprend précisément de fissurer cet imaginaire, sans le renier, pour montrer combien la momification déborde largement le Nil et les pyramides. Des Andes péruviennes aux cryptes baroques de Sicile, des îles Canaries aux campagnes françaises du XIXᵉ siècle, le corps momifié apparaît comme un fil rouge qui relie des cultures éloignées dans le temps et dans l’espace, mais habitées par une même question : comment faire durer le lien entre les vivants et leurs morts ?

Le parcours s’organise en quatre grands temps

D’abord, « À la rencontre des défunts momifiés » propose de quitter la figure anonyme de « la momie » pour retrouver des personnes singulières. Chacun des neuf corps présentés – parmi la soixantaine conservée dans les réserves du Muséum – redevient un individu, avec une histoire, une appartenance culturelle, une place dans sa communauté. La momification n’est plus un décor exotique, mais un acte social : elle implique des familles, des spécialistes du funéraire, des rituels, une théologie du corps et de l’au-delà. À côté de l’Égypte, l’exposition évoque les Tojara d’Indonésie, la Sicile baroque, la France du XIXᵉ siècle, jusqu’aux « momies politiques » des temps modernes, ces corps de dirigeants – Lénine, Mao et d’autres – autour desquels s’organise un culte d’État.

Sarcophage-d’une-chanteuse-d’Amon-de-Karnak-4-©-Musée-du-Louvre,-Dist.

Dans « Techniques et rites de momification », le visiteur découvre ensuite l’incroyable variété des savoir-faire mis en œuvre pour vaincre, au moins en apparence, la corruption du corps. Certaines momifications sont fortuites, nées de conditions particulières de sol, de température ou d’humidité. Mais le cœur du propos réside dans les momifications intentionnelles : cinq « chaînes opératoires » sont détaillées, de la culture Chancay du Pérou préhispanique, qui enveloppe les défunts dans des fardos de tissu, à l’Égypte ptolémaïque, en passant par la « reine » guanche des Canaries, momifiée par boucanage, ou encore les pratiques temporaires des îles Marquises. L’exposition rappelle enfin que la thanatopraxie occidentale contemporaine, qui prépare nos morts avant inhumation ou crémation, s’inscrit elle aussi dans cette longue histoire des corps préservés.

Pour un lecteur de 450.fm, impossible de ne pas entendre derrière ces gestes la question du corps comme temple. Travailler le corps du défunt, le préparer, le vêtir, l’exposer, c’est toujours lui reconnaître une dignité qui dépasse sa matérialité. Comme dans un rituel initiatique, le corps devient support de passage : ce qui se joue là n’est pas seulement de l’ordre de la technique, mais d’une mise en forme symbolique du lien entre visible et invisible, entre temps humain et désir d’éternité.

La troisième partie, « Patrimonialisation des défunts momifiés, la constitution des collections », revient sur l’essor de l’archéologie à partir du XVIIIᵉ siècle et sur la manière dont les corps momifiés sont entrés dans les musées occidentaux. Prélevés principalement en Égypte et en Amérique du Sud, transportés dans les bagages des savants, des militaires ou des collectionneurs, ils alimentent un commerce si florissant que de fausses momies sont fabriquées pour satisfaire la demande européenne. Aujourd’hui, la loi interdit la possession et le commerce de restes humains ; les musées travaillent sur les provenances, les demandes de retour, les attentes des pays d’origine, et interrogent la légitimité même d’exposer des défunts. L’exposition montre combien l’éthique a évolué : chaque momie est présentée dans une vitrine individuelle, protégée par un voilage pour éviter l’effet de choc, accompagnée d’une fiche d’identité la plus complète possible, où sont aussi mentionnées les zones d’ombre et les irrégularités suspectées.

Coffret-funéraire-(Egypte)-©-Musée-du-Louvre,-Dist

On touche là à un débat qui résonne fortement avec la conscience maçonnique : comment concilier soif de connaissance, devoir de mémoire et respect inconditionnel de la dignité humaine ? Montrer un corps, ce n’est pas seulement exposer un objet d’étude ; c’est rendre présent un mort, donc s’obliger à une attitude intérieure faite de retenue, de discrétion, presque de recueillement. Le Musée de l’Homme prend le parti de ne pas esquiver ces tensions : un dispositif final invite les visiteurs à déposer leur ressenti, pour nourrir une réflexion au long cours sur la manière d’exposer les restes humains.

La dernière section, « L’étude des défunts momifiés, une enquête sur la vie », déploie tout l’arsenal des sciences contemporaines : imagerie médicale, analyses biochimiques, datations, génétique. À partir d’un corps, les chercheurs reconstituent toute une existence : alimentation, pathologies, gestes professionnels, déplacements, pratiques esthétiques, rites funéraires. Le défunt devient un témoin privilégié de sa société. En filigrane, l’exposition rappelle que connaître le passé n’est jamais neutre : faire parler ces corps silencieux, c’est interroger nos propres peurs, notre rapport au temps, notre manière de traiter les morts d’hier comme ceux d’aujourd’hui.

Pour éviter que le regard ne se fige…

Le parcours est ponctué d’œuvres contemporaines, comme les troublantes photographies de Sophie Zénon dans la crypte des Capucins de Palerme, où les momies, presque théâtrales, semblent suspendues entre effroi et douceur. L’exposition rappelle également que la fameuse momie chachapoya, présentée à Paris dès 1878, inspira à Edvard Munch l’une des figures les plus emblématiques de l’art moderne, Le Cri : signe que ces corps « éternels » continuent de travailler notre imaginaire, jusque dans ses expressions les plus audacieuses.

Clin d’œil à la culture populaire

Un dispositif interactif développé avec Ubisoft permet, grâce au jeu Assassin’s Creed Origins et à son mode éducatif Discovery Tour : Ancient Egypt, de suivre en neuf minutes la chaîne opératoire de la momification égyptienne. Capsules vidéo, reconstitution historique, gestes précis : la médiation passe ici par le langage du jeu vidéo, familier à toute une génération de visiteurs. On y voit comment un univers souvent réduit au divertissement peut devenir vecteur de transmission d’un savoir rigoureux, sans renoncer à l’immersion.

Organisée par le Musée de l’Homme, site du Muséum national d’Histoire naturelle, à l’occasion des dix ans de la réouverture du lieu, l’exposition est placée sous le commissariat scientifique d’Éloïse Quétel, responsable des collections médicales au sein du Pôle Collections scientifiques et Patrimoine de Sorbonne Université, et de Pascal Sellier, directeur de recherche émérite au CNRS et enseignant à Paris 1 au sein de l’UMR 7206 Éco-anthropologie. Le commissariat muséographique réunit Nala Aloudat, responsable du pôle des expositions, Ève Bouzeret, cheffe de projet expositions, et Berivan Ozcan, chargée de conception et de production, qui orchestrent la mise en espace de ces corps d’éternité avec une sobriété respectueuse.

Autour du Musée de l’Homme, un réseau de partenaires accompagne et relaie l’événement : la RATP et SNCF Connect pour la mobilité, Connaissance des Arts, Okapi, Ça m’intéresse, France Culture et France Télévisions pour les médias, tandis qu’Ubisoft apporte son expertise immersive pour le dispositif interactif. La Société des Amis du Musée de l’Homme soutient par ailleurs la programmation scientifique et culturelle liée à l’exposition, prolongeant le dialogue entre recherche, publics et mémoire des défunts.

Éloïse Quetel DR

Pour prolonger la visite

Un beau livre, Momies, mémoires révélées, paraîtra le 7 novembre 2025 aux éditions du Muséum national d’Histoire naturelle. Dirigé par Éloïse Quétel et Pascal Sellier, commissaires scientifiques de l’exposition, il propose une vaste traversée des pratiques de momification, des premières sépultures à la thanatopraxie contemporaine, et met en scène un face-à-face saisissant avec plusieurs des défunts présentés au Musée de l’Homme.

En sortant de cette exposition, difficile de regarder une « momie » comme avant. Derrière le mot, il y a des vies singulières, des sociétés, des rites, des croyances, des violences parfois, des réparations toujours tentées. Le Musée de l’Homme nous invite à ce déplacement du regard : quitter le cliché de la créature de cinéma pour rencontrer des morts qui, à leur manière, nous interrogent sur ce que nous faisons de la nôtre. Il ne s’agit pas d’aimer la mort, mais de mieux comprendre comment les humains, depuis des millénaires, ont essayé de lui donner sens.

MH Pascal Sellier © MNHN – J.-C. Domenech

Infos pratiques

Exposition « Momies » au Musée de l’Homme (Muséum national d’Histoire naturelle), 17, place du Trocadéro, 75016 Paris, au 2ᵉ étage du musée, sur 650 m². Du 19 novembre 2025 au 25 mai 2026, tous les jours de 11 h à 19 h, sauf le mardi, ainsi que les 25 décembre, 1ᵉʳ janvier, 1ᵉʳ mai et 14 juillet. Dernière entrée à 18 h 15. Tarif plein : 15 €, tarif réduit : 12 €, gratuit pour les moins de 26 ans ; le billet donne accès à toutes les expositions, permanentes et temporaires, du Musée de l’Homme. Plus de détails sur info-tarifs .

Visite conseillée à partir de 8 ans. Des visites guidées, ateliers familiaux (« Mais qui est cette momie ? », « Archéo Momias »), animations (« Momies en scène », « Une momie presque parfaite ») et conférences viennent rythmer toute la durée de l’exposition. Une belle occasion, pour les lectrices et lecteurs de 450.fm, de confronter leur regard d’initiés à ces corps d’éternité qui continuent, silencieusement, à nous parler.

Remerciements à M. Frederic PILLIER et Mme Laurence VAUGEOIS pour les visuels Illustrations

Simulacre-de-momie-d-enfant-2-©-MNHN—J.-C.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti a été directeur de la rédaction de 450.fm, de sa création jusqu’en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il a siégé au bureau de l’Institut Maçonnique de France, est médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie, directeur de collection chez des éditeurs maçonniques et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue notamment à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu’il a initiées.

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