mar 18 novembre 2025 - 12:11

La Papesse (II) : Chut… Le Secret est à l’intérieur

Et si nous jouions à un jeu ? Un jeu où vous n’êtes pas le spectateur, mais l’acteur. Imaginez que ce chemin initiatique qu’incarne le Tarot, c’est le vôtre. Que vous devez incarner, tour à tour, chaque arcane. La semaine dernière, vous étiez Le Bateleur (I). Vous aviez la fougue, la détermination, l’outil en main, le verbe haut. Vous étiez prêt à agir sur le monde. Et puis… vous faites un pas. Un seul.

L’énergie change. Après le feu, voici la glace. Après le bruit, l’immobilité. Vous rencontrez une nouvelle émotion, une sensation, une qualité indispensable à la quête : le silence intérieur. Vous devez maintenant apprendre à recevoir.

Vous devenez… La Papesse.

Cette transition, c’est le premier grand pivot de la quête. C’est le moment où le Héros (vous !) s’élance et tombe… sur la Gardienne.

La Papesse Tarot Oswald Wirth 1889

Dans la structure du conte, analysée par ce cher Vladimir Propp, c’est le moment de la rencontre avec le Donateur (ou la Donatrice). Sa fonction ? Tester le Héros. Non par le fer, mais par la Sagesse. Si le Héros se montre digne (patient, à l’écoute), il recevra « l’auxiliaire magique » – ici la sagesse.

Regardez-la : elle ne tient ni épée ni bâton. Elle tient les Clés.

La Papesse est donc ce moment suspendu, ce silence assourdissant après votre premier élan. Elle vous fixe et semble demander :

« Tu as l’énergie, petit Bateleur. Mais as-tu la Gnose ? »

(cette connaissance intime, directe et salvatrice du divin, au-delà du simple savoir intellectuel ou de la croyance)

Entre les Colonnes : Hérésie Historique ou Vérité Initiatique ?

Qui est-elle ? Le monde profane, friand de scandales, s’est précipité sur la légende sulfureuse de la Papesse Jeanne. Cette femme qui, dit-on, aurait usurpé le trône de Saint-Pierre au IXe siècle avant d’être démasquée en accouchant en pleine procession. Une histoire croustillante, parfaite pour railler l’idée même d’une autorité féminine.

Mais nous savons que le Tarot n’est pas un simple livre d’Histoire.

Quand Oswald Wirth, guidé par l’intuition de Stanislas de Guaita, redessine cet arcane en 1889, il ne s’intéresse pas à la polémique. Il grave dans le cuivre une vérité ésotérique. Sa Papesse n’est pas une usurpatrice ; elle est la Gardienne légitime du Voile.

La véritable problématique n’est pas de savoir si une femme a porté la tiare, mais de comprendre ce que symbolise cette figure assise, immobile, entre les deux colonnes du Temple. Wirth, lui, y voit l’incarnation de la Gnose, la Sagesse cachée.

Sous le Voile d’Isis : Pistes d’Analyse (inspirées)

Ne comptez pas sur moi pour déchirer le voile d’un coup sec. Le Tarot miroir des symboles explore ces pistes avec une profondeur que je ne saurais que vous recommander. Mais voici quelques clés (d’or et d’argent, bien sûr) pour nourrir votre méditation.

Du Un au Deux

La Lettre Beth (ב) Vous étiez Un (Aleph א), l’énergie primordiale. Vous devenez Deux (Beth ב), le Binaire, la réflexion. Et que signifie Beth ? « La Maison ». Vous n’êtes plus sur la place publique ; vous entrez dans le Temple. Vous devenez la vie intérieure, la gestation, le lieu où le savoir doit être mûri avant de devenir action. Le Saint des Saints. Le 1 est l’émission ; le 2 est la réception pure.

La Sagesse avant la Connaissance

Le lien Kabbalistique Si, en Bateleur, vous touchiez à Kether (l’Unité pure), en Papesse, vous incarnez Chokmah (חכמה), la Sagesse. C’est la deuxième Séphirah sur l’Arbre de Vie, la première émanation de Kether. Attention, ce n’est pas encore Binah (l’Intelligence, la compréhension, qui viendra avec l’Impératrice). Chokmah est la Sagesse divine pure, le « germe de toute idée », la lumière originelle reçue. Vous êtes donc la Sagesse en gestation, non encore formulée, le silence qui précède le Verbe. Le miroir qui reçoit la lumière sans encore la diffuser.

La Gardienne du Seuil : J… et B…

Regardez où vous êtes assise : entre deux colonnes. L’une est rouge (active), l’autre bleue (réceptive). Faut-il vous faire un dessin ? Vous êtes l’axe médian, l’équilibre parfait entre ces deux forces. Mais l’accès n’est pas libre. Entre les colonnes, Wirth a dessiné un voile, le paroketh qui sépare le profane du sacré. C’est le voile d’Isis, celui que « nul mortel n’a soulevé ». Vous le garde. Vous n’invitez pas à entrer ; vous obligez à s’arrêter.

Le Livre (entr’ouvert) de la Dualité

Vous tenez un livre, mais comme vous l’avez si bien noté, il n’est pas ouvert. Il est entr’ouvert. La Sagesse ne se donne pas, elle se mérite. Elle n’est ni totalement accessible, ni totalement cachée. Sur sa couverture, Wirth grave le Yin-Yang. Qu’est-ce, sinon une autre forme du pavé mosaïque ? C’est la confirmation que le savoir qu’il contient repose sur l’équilibre des contraires. Vous tenez aussi les clés qui ouvrent le visible (l’or, solaire) et l’invisible (l’argent, lunaire). Votre tiare, surmontée du croissant de lune, vous relie aux mystères de la nuit, à cette sagesse intuitive qui ne se saisit que lorsque le soleil de la raison (le Bateleur) s’est couché.

Le Miroir du Monde (L’Arcane XXI)

Dans le grand jeu des correspondances, qui fait face à La Papesse ? C’est Le Monde (XXI). La Sagesse cachée (II) répond à l’Accomplissement total (XXI). Le silence du Temple intérieur (Beth) trouve son écho dans la musique du Cosmos. La vérité voilée derrière le rideau en II est la même vérité qui danse, nue et victorieuse, au centre de la mandorle en XXI. L’une est la Gnose en gestation, l’autre est la Gnose manifestée.

Aparté : D’un simple Jeu de Cour à un Outil Initiatique

Il est bon de se rappeler, cher lecteur, que cette profondeur symbolique n’a pas toujours été une évidence.

Lorsque le Tarot, venu des cours italiennes (les Tarocchi) dès la fin du XVe siècle, s’implanta en France, il n’était encore qu’un gioco di trionfi (un jeu de triomphes). Pendant des siècles, il fut avant tout un divertissement de salon.

Il fallut attendre le bouillonnement intellectuel de la fin du XVIIIe siècle pour que des précurseurs, comme Antoine Court de Gébelin, y voient l’héritage perdu de l’Égypte ancienne, le fameux « Livre de Thot ». Puis, au XIXe siècle, le mage Éliphas Lévi opéra la synthèse magistrale en tissant de manière indélébile les liens entre les 22 arcanes majeurs, les 22 lettres de l’alphabet hébraïque et les sentiers de la Kabbale.

Mais c’est notre cher Oswald Wirth qui, sous l’impulsion de Stanislas de Guaita, gravera cette vision dans le cuivre. Son Tarot de 1889 n’est pas juste un « Marseille » redessiné ; c’est le premier jeu où les symboles ésotériques (lettres hébraïques, signes alchimiques, constellations) sont visiblement intégrés dans l’iconographie même des arcanes, faisant d’un jeu de cartes un livre muet pour Initiés. La Papesse de Wirth n’est pas qu’une image, c’est un enseignement.

Conclusion : Le Silence qui Enseigne

En devenant La Papesse, l’Initié fait l’expérience de l’introspection obligatoire après l’action. Vous êtes le silence du lieu sacré juste avant l’ouverture des travaux. Vous êtes l’image même du silence qui veille sur les Apprentis, leur enseignant la première des vertus : l’écoute.

Oswald Wirth a fait de cet arcane un véritable traité d’ésotérisme, héritier de cette lignée que nous venons d’évoquer.

L’ouvrage « Le Tarot miroir des symboles » plonge avec délectation dans ces mystères, analysant la signification de votre manteau, le pavé mosaïque que vous maîtrisez à vos pieds (et qui se reflète sur la couverture de votre livre), ou votre lien troublant avec les Vierges noires de nos cathédrales.

« Car si le Bateleur nous apprend à faire, La Papesse nous apprend à être »

Mais que faire de cet « Être » ? Cette Sagesse (Chokmah) reçue dans l’immobilité du Temple peut-elle y rester ? Non. Après la réception du 2, vient l’explosion créatrice du 3. La Gnose doit s’incarner. L’eau reçue dans la coupe doit irriguer la terre.

C’est la prochaine étape de notre jeu… Bientôt, nous quitterons le seuil sacré pour entrer dans le jardin fertile de L’Impératrice (III).

Mais n’allons pas trop vite…

« Ce n’est pas le bruit des mots qui enseigne, c’est l’écho qu’ils laissent dans le silence ».

la Papesse

« Le Tarot miroir des symboles »

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Christophe Martin
Christophe Martin
Initié en 2010 à la Grande Loge Symbolique du Rite Écossais Primitif sous la filiation Robert Ambelain, je poursuis mon chemin au sein des loges stuartistes. Écrivain public et auteur-conseil, correspondant de presse depuis 30 ans, j’accompagne celles et ceux qui souhaitent transmettre leur histoire en leur consacrant des biographies familiales et personnelles. Passionné par la transmission du savoir et de la mémoire, je me considère avant tout comme un passeur de mémoire. C’est l’étude du Tarot d’Oswald Wirth qui m’a mené à la Franc-Maçonnerie ; un parcours qui trouve aujourd’hui son juste retour dans la publication d’un ouvrage destiné à éclairer celles et ceux désireux d’explorer ce sujet.

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