mer 12 novembre 2025 - 07:11

1er Salon maçonnique : Rodez, la lumière du Temple dans la cité

Le samedi 8 novembre 2025, les Archives départementales de l’Aveyron ont accueilli le premier Salon maçonnique Nord Occitanie. Dans cette ville où la lumière de la cathédrale de grès rose répond au noir profond de Soulages, plus de cinq cents visiteurs – Frères, Sœurs et profanes – se sont retrouvés autour d’un même désir : comprendre, dialoguer, transmettre.

Grande première réussie : des salles pleines, des stands entourés, un même élan de découverte et de fraternité partagée. En un jour, la Franc-maçonnerie, trop souvent caricaturée, a retrouvé sa vraie voix : celle du sens, de l’histoire et du service de l’humain.

Table-unique-de-l’Interobédientielle

La grande nouveauté : une seule table pour toutes les obédiences

Ce qui a frappé d’emblée, c’est ce geste simple et décisif : les obédiences assises à une seule table, face au public. Non pour gommer leurs traditions propres, mais pour les offrir côte à côte, à hauteur d’écoute. Le signe était clair : avant tout discours, avant toute polémique, il est possible de se présenter ensemble, dans la sobriété d’une présence commune. Ce partage du même bois et de la même nappe disait mieux que des slogans l’hypothèse de travail qui nous rassemble : une fraternité véritable n’est pas un mot d’ordre, c’est un préalable vivant. Ce fut un très beau geste – presque une liturgie de la concorde – qui a permis à chacun d’entendre que l’universalité n’exige pas l’uniformité, et que la pluralité des rites peut être un chant à plusieurs voix.

Aveyron,-le-département

Lieu de mémoire et de fraternité : les Archives départementales de l’Aveyron

Qu’un tel rendez-vous se tienne aux Archives départementales n’avait rien d’anodin. Lieu des traces et des textes, l’édifice s’est ouvert, pour un jour, à la parole vivante et au souffle de l’initiation. Entre murs de pierre et rayonnages, l’écrit a repris chair, la mémoire s’est animée, le passé est devenu présence. Tout, dans cette architecture paisible et rigoureuse, invitait à la recherche intérieure, comme si la pierre conservait la rumeur discrète de trois siècles de loges aveyronnaises.

L’ouverture : la voix de l’Interobédientielle Occitanie Nord (IOON)

Francine-Joly,-Pdte-IOON,-et-Claude-Jouve,-Vice-Pdt

La présidente Francine Joly et le vice-président Claude Jouve ont donné le cap : rendre la Franc-maçonnerie lisible dans la cité, réaffirmer sa dimension universelle, faire dialoguer les différences dans un espace respectueux et fraternel. Non pas un plaidoyer défensif, mais une offrande : présence apaisée au cœur d’une société saturée de bruits et de replis, formation de l’homme intérieur, liberté de conscience assumée, et conviction qu’un engagement maçonnique bien compris demeure une citoyenneté spirituelle active. Leur accueil, à la fois chaleureux et grave, a donné l’élan moral de la journée : un salon n’est pas un mondanité, c’est une tenue ouverte du cœur et de l’intelligence.

Le matin : « Trois siècles de Franc-Maçonnerie en Aveyron »

Aveyronnais de naissance et d’âme, Jacques Anglade, initié à Rodez (GODF) en 1979, est l’auteur de Trois siècles de Maçonnerie aveyronnaise (1746–2025) dont la première de couverture représente la « Marianne » de La Parfaite Union, figure unique et emblématique rappelant ainsi l’alliage ruthénois entre République et initiatique.

Francine-Joly,-Présidente-IOON-au-micro

Jacques Anglade a déroulé une archéologie vivante de la présence maçonnique sur ces terres de pierre et de mémoire. Son propos, d’une érudition sereine, tient moins de l’inventaire que de l’éclairage : il fait surgir, depuis les documents et les traces, une histoire qui respire encore.

Il commence par Rodez, où la sociabilité maçonnique apparaît vers 1748 et s’organise en 1762 sous le titre distinctif La Parfaite Union. On y croise des magistrats, des hommes de loi, quelques militaires et érudits : la France des Lumières à hauteur de province, prudente mais décidée à travailler l’esprit. Anglade replace ces premiers pas dans le contexte de la tolérance hésitante d’Ancien Régime, où l’on règle soigneusement correspondances et usages, où l’on apprend à parler au–dedans pour mieux agir au–dehors.

La focale se déplace ensuite vers Villefranche-de-Rouergue et la loge La Cordialité (1778). Dans cette bastide commerçante, l’atelier devient école de liberté morale et laboratoire de fraternité sociale : on lit, on débat, on s’essaie à la civilité exigeante du vrai, loin des coups de menton et des slogans. Les Registres, tableaux, pièces de correspondance que convoque Anglade composent une sociographie fine : des hommes de métier et de plume, attachés à l’amélioration de soi et au bien commun.

Jacques-Anglade

Viennent les temps de secousses : Révolution, Restauration, interdits et sommeil de 1816. La Maçonnerie se retire parfois des Temples pour se dissoudre dans d’autres formes — cercles de lecture, sociétés musicales, lieux de conversation — sans perdre son souffle discret. Puis la fin du XIXᵉ voit se reconstituer les ateliers ; la République stabilise les travaux ; au XXᵉ siècle, après les déchirures, la reprise d’après-guerre réinstalle la patience de la transmission.

Jacques Anglade, qui sait ce que parler depuis les Archives signifie, rappelle que la vérité d’une loge se lit dans l’ordinaire : procès-verbaux, listes de présence, arriérés de capitation, petites querelles sur un local ou une planche… C’est là que se mesure l’opératif du symbolique. Il évoque au passage la « Marianne » de La Parfaite Union, silhouette républicaine devenue icône ruthénoise : bonnet phrygien, regard droit, équilibre entre Loi et liberté intérieure – une image qui résume, mieux qu’un traité, l’alliance du civique et de l’initiatique.

L’assistance-nombreuse

La salle suit, interroge, prolonge : continuités et ruptures ; alliances locales ; circulations entre Rodez, Villefranche, Millau ; places des métiers, de l’école, des sociétés de secours mutuels ; comment, de génération en génération, la Maçonnerie a tenu l’idée de fraternité dans la cité. Anglade répond avec cette modestie du chercheur qui préfère l’indice probant au grand récit : il montre, par touches, comment l’Aveyron maçonnique a su, siècle après siècle, conjuguer fidélité et adaptation.

L’après-midi : « Valeurs olympiques, paralympiques et maçonniques »

Anneaux olympiques
Anneaux olympiques

La conférence de Yonnel Ghernaouti a posé un pont clair entre trois familles de valeurs : l’olympisme (excellence, amitié, respect), le paralympisme (détermination, égalité, inspiration, courage) et l’éthique maçonnique (fraternité, vérité, charité, travail sur soi). Une même dynamique s’y lit : le dépassement intérieur au service du bien commun, dans l’esprit de l’héritage Paris 2024 (éducation, inclusion, legs durable). Ces valeurs prennent racine dans une histoire longue de Cynisca aux Jeux de Wenlock du Dr William Penny Brookes, qui inspirent Pierre de Coubertin, malgré un héritage controversé (positions ouvertement misogynes sur la place des femmes aux Jeux et refus de condamner la mise en scène de Berlin 1936). Elles se cristallisent en symboles structurants : la devise Citius, Altius, Fortius et les anneaux entrelacés, signes d’universalité et de trêve civile.

Au cœur du propos, la règle librement consentie fair-play, équité, respect de l’adversaire comme équivalent profane de la loi morale travaillée en loge ; et, côté paralympique, l’élan Spirit in Motion, qui fait de l’exemple des athlètes une pédagogie d’inclusion et de résilience. Du stade au Temple, ces valeurs se prolongent en actes d’éducation, en gestes de justice, en fraternité opérative qui travaille la Cité comme on polit une pierre.

Deuxième temps – Sylvain Zeghni : du vestiaire aux tribunes, éthique, laïcité et vigilance fraternelle

Sylvain Zeghni a ancré le débat dans le concret des pratiques sportives et de la vie des clubs. D’entrée, il rappelle, non sans humour, cette vieille sociabilité des tavernes, des compagnies d’archers et des premiers clubs de golf écossais, lieux où se mêlaient rites d’initiation, règles du jeu et convivialité après-tenue : l’histoire longue d’un sport qui naît souvent à l’ombre des loges et dans des espaces de fraternité partagée. Il évoque ainsi l’archerie urbaine, les clubs de golf fréquentés par des frères au XVIIIᵉ siècle, puis le rôle structurant des tavernes pour la vie des loges et des sports naissants.

Footballer au milieu du stade ballon au pied
Footballer au milieu du stade ballon au pied

La Freemasons’ Tavern de Londres sert d’exemple-clef : c’est là que la Football Association est fondée le 26 octobre 1863, pour fixer des règles communes passer de la coutume locale au droit du jeu, du rapport de force à la norme partagée. Sylvain Zeghni souligne combien cette sécularisation des usages (nombre de joueurs, interdiction des mains, dimensions du terrain) a permis que « chacun joue avec les mêmes règles », autrement dit une égalité d’accès et une lisibilité du cadre. Il glisse au passage des clins d’œil sur les légendes symboliques du ballon « blanc et noir », pour mieux rappeler que le sens profond tient moins aux fantasmes qu’au consentement à la règle.

En rugby, Sylvain Zeghni déroule le fil initiatique : du mythe Webb Ellis au rôle des chefs d’établissement et pédagogues britanniques dans la codification (les premières règles formalisées au XIXᵉ siècle), de la naissance des Barbarians (1890) comme équipe de brassage à la diffusion française par les instituteurs de la Ligue de l’Enseignement – avec cette ligne de partage historique : patronages catholiques promouvant plutôt football/basket, réseaux laïques et scolaires privilégiant rugby pour ses vertus morales (solidarité, engagement). Tout un paysage d’éducation populaire se dessine, où l’éthique du jeu devient pédagogie civique.

Cette traversée historique conduit Zeghni à son axe central : dans le sport comme en loge, tout commence par une règle librement consentie et par le respect de la dignité.

Librairies, revues et artisans : la chaîne du partage

Le Salon fut un paysage de livres et de mains, un gué entre le papier et la parole.
La Folle Avoine (Villefranche-de-Rouergue) tenait, sous son nom de vent et de moisson, des tables amples, un conseil précis, ce tact du libraire qui fait naître la juste lecture au bon moment : littérature, histoire locale, cartes et chemins de traverse – de quoi relier mémoire et désir d’apprendre.

Librairie-L’Esprit-Livres-(Millau)

À quelques, peut-être trois, L’Esprit Livres (Millau) disposait ses rayons de spiritualité, d’ésotérisme, de développement personnel et de beaux-arts ; un petit parcours d’initiation où l’on avance comme dans une chapelle de signes, d’une tradition à l’autre, d’une question à sa métamorphose.

Ensemble, elles offraient un spectre rare : du roman aux études symboliques, des classiques aux voies initiatiques. C’était exactement l’horizon que Rodez voulait ouvrir – un lieu où la curiosité devient méthode, et la méthode, joie de comprendre.

Widows-Sons

Stands & fraternités

Au détour des allées, les Widows Sons (Fils de la Veuve) – Aveyron faisaient vibrer l’imaginaire de la route : fraternité motocycliste, entraide concrète, collectes solidaires, pédagogie de la sécurité ; et sur les veste-patchs, la géographie muette des outils, de la Veuve, du voyage – toute une manière d’être en marche au service du bien commun.

Plus loin, un atelier de bois retenait les regards : équerres et compas sculptés, colonnes miniatures, rosaces, piliers, boîtes à secrets, autant d’objets maçonniques polis par la patience. Le chêne, le hêtre, parfois l’érable, gardaient la chaleur de l’outil ; et l’on sentait, en passant la main sur une arête, que le symbolique n’est pas une abstraction mais une matière travaillée. Ici, la forme enseignait la mesure, et la fibre rappelait que l’initiation est d’abord geste et précision.

Dominique Segalen
Dominique Segalen
Michel König

Dominique Segalen, Michel König & François Deschatres animaient une table de dialogue vivant – livres ouverts, images, longues conversations : symbolique, histoire des rites, motifs de l’Art royal.
Dominique Segalen, 1,2,3 symboles ! Les valeurs maçonniques expliquées aux enfants (Numérilivre) : une grammaire claire de la lecture symbolique, qui met à hauteur d’enfant ce que nous travaillons à hauteur d’adulte.
Michel König, « Lumières » et Nation – L’A.D.N. de la Franc-maçonnerie (Cépaduès) : une enquête lumineuse sur les soubassements philosophiques et civiques de l’esprit maçonnique.
François Deschatres, Les francs-maçons – Des inconditionnels de l’espoir (L’Harmattan, nouvelle édition) : la Maçonnerie comme école d’espérance active, face aux temps sombres.

Le public

Des stands rigoureux et hospitaliers, d’où l’on repartait avec des pistes de lecture, des images plein la tête et ce désir d’approfondir la lumière — là où se nouent la connaissance, le symbole et la fraternité vécue.

Un sillage lumineux

On garde de Rodez l’intelligence du partage. Un salon maçonnique n’est pas un espace clos, mais un pont entre visible et invisible, mémoire et présent, effort individuel et fraternité. Les Archives départementales ont tenu leur rôle de Temple laïque de la connaissance : gardiennes des traces, elles ont, pour un jour, accueilli la Parole vivante.
En quittant les lieux, une évidence :

ce n’est pas la Franc-maçonnerie qui a parlé, c’est la Lumière qui a circulé.

Rodez, musée Soulages et la cathédrale

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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