sam 15 novembre 2025 - 16:11

Les vertus cardinales alchimiques

La tempérance (2/2)

La Tempérance

La Tempérance forme avec la Justice l’une des deux diagonales reliant les quatre angles du tombeau de François II et de Marguerite de Foix. Elle tient en main droite la bride et le mors d’un cheval qui à présent est débridé et prêt à s’envoler comme Pégase, car il sait composer avec sa double nature matérielle et spirituelle, son corps et son esprit prêts à dépasser leurs limites en croisant leurs langages.

Dans cette nouvelle dimension, le corps et l’esprit ne sont pas enchaînés au temps des pendules humaines, mais se règlent sur les cycles lunaires et solaires de leur propre horloge interne qui n’a qu’une aiguille, comme la pendule que la Tempérance serre de la main gauche sur son cœur.

Versailles Bassin des enfants dorés

C’est le temps de la résurgence et de la renaissance de l’être dans un bien-être intérieur profond rappelant celui de l’embryon baignant avec délice dans l’eau nourricière de sa mère, déployant harmonieusement ses bonnes ondes à travers le corps, l’esprit et l’âme, et ressenti en soi-même dans sa globalité par l’être sans pour autant être appréhendé par des mots. La résurgence de ce bien-être, semblable à l’écoulement joyeux d’une source d’eau claire, ne dépend pas d’une quelconque règle de vie matérielle ou spirituelle établie par d’autres, quel que soit leur degré d’autorité et de pouvoir sur leurs semblables. Ce bien-être ultime en soi-même ne peut et ne doit venir que de soi. L’être est le sourcier de son bien-être, et trouve sa source en soi-même en interrogeant son pendule.

Versailles Jaillisements d’eau

« Sa » pendule est devenue « son » pendule qui répond à toutes ses questions dans l’instant sans prendre le temps de la réflexion, sans réfléchir ni se réfléchir dans des miroirs tendus par d’autres, mais pour se saisir et se ressaisir à chaque instant. Aime-toi ! Pense sans penser ! Sois qui tu es ! L’être qui pense ainsi prend les chemins de traverse de pensées marginalisées et inaccessibles aux esprits exclusivement rationnels, et ouvre en soi-même des voies d’accès à des expériences couronnées par des métamorphoses intérieures sur les plans matériel, mental, et spirituel, illustrées par des jaillissements joyeux d’eau claire dans les jardins alchimiques du château de Versailles, bien au-dessus des plans d’eau stagnante.

Mais l’aspiration à l’écoute sublime de ce chant de l’âme est annihilée dès sa naissance en occident par une confusion entre l’esprit et l’âme, entretenue par la pensée religieuse pour brouiller les pistes menant à l’âme et la dégrader en la dotant des prérogatives de l’esprit. L’âme est souillée par tous les mots lancés comme des hameçons pour la saisir, les âmes-sons des prières et des incantations qui, au lieu d’élever l’esprit vers l’âme, sont des drogues retournant l’élan de l’esprit vers le corps par des addictions à des gestes et des rituels répétitifs aux effets hypnotiques.

Bien au contraire, l’esprit doit reconnaître ses limites et son incapacité à entendre le chant de l’âme qui s’élève dès qu’elle se libère des liens qui l’accrochent artificiellement à l’esprit, s’affirmant ainsi par elle-même en toute indépendance pour reconstituer avec le corps et l’esprit la triade désormais harmonieuse de l’être. Sans cette reconnaissance, l’âme souffre sans discontinuer d’une douleur infusant dans le corps et l’esprit, qui à leur tour souffrent de la même disharmonie et des troubles qu’elle déclenche aux niveaux physique, moral, mental, et spirituel.

Lame BA de letre egyptien.

Pourtant il n’en fut pas toujours ainsi en occident, en particulier dans l’Égypte Antique, son berceau spirituel. Les égyptiens avaient une conception beaucoup plus heureuse de l’âme, positive et stimulante pour l’esprit et le corps, et bien qu’insaisissable, l’âme BA, l’un des neuf constituants de l’être égyptien, était le grand témoin des choix effectués par chaque être responsable de sa vie spirituelle, quelle que soit sa place et son rang dans la société.

Égypte Stèle à oreilles Écoute et Entente

Il appartenait à chaque égyptien et égyptienne de se prendre en main pour « écouter » l’appel de son âme et « s’entendre » avec soi-même, ce passage entre l’écoute et l’entente déterminant toute la résurgence d’un bien-être sans pareil. Et l’être spirituel n’ayant pas changé d’un « iota » depuis ce temps-là, chacun(e) doit toujours retrouver par soi-même le chemin de son propre bien-être tout en évoluant entre des univers communs à tous.

La bride du cheval et la pendule symbolisent ainsi l’action alchimique de la Tempérance sur un temps spirituel intérieur transformé en matière malléable. Chaque initié(e) doit apprendre à prendre en main son destin, à retenir le temps ou l’accélérer dans des moments de vie rituelle où les mots et les gestes les plus anodins deviennent des concentrés de sens et d’énergie, où les pensées sont plus denses et plus graves, et augmentent de ce fait la gravité du moment vécu avec … « gravité ». La force magique résultant des rituels maçonniques vécus collectivement et individuellement avec gravité rejoint ainsi étrangement l’action de la « force de gravité » omniprésente dans l’univers.

Rituels de purification égyptiens

Les Égyptiens retenaient le temps tout au long de la journée pour purifier en eux-mêmes leurs gestes et leurs pensées et se relier à ce qui crée, protège, et prolonge la vie : le soleil, le Nil, et toute la Nature qui est l’expression même de la vie, et sans doute est-ce à force de retenir le temps en ritualisant toute leur vie que la civilisation égyptienne dura plus de 3000 ans. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, sans doute est-ce à cause de l’attachement aux rituels que la Franc-Maçonnerie a plus de 300 ans d’existence, malgré les épreuves des guerres et de leurs propres dissentions internes. Car les loges sont des matières-énergies qui travaillent avec gravité durant l’espace-temps de leurs travaux, et par ailleurs chaque initié(e) tend à travailler avec la même gravité sur son propre corps-esprit durant l’espace-temps de ses propres travaux.

Les travaux collectifs des Loges sont les matrices des travaux plus personnels de leurs membres, destinés à les rendre conscients de ce qui demeure insaisissable dans leur subconscience, conscients de la profondeur de leur être qui a vocation à se révéler au grand jour en se délivrant des agrégats bouddhistes, c’est-à-dire une fois désagrégéscesagrégats, comme l’indique la devise des alchimistes « solve et coagula », dissous et coagule. Pour y parvenir, les initié(e)s traversent des épreuves symboliques qui les désorientent et les secouent de l’intérieur, pleines de symboles ambivalents alternant par exemple les sensations de chaud et de froid, les rotations à droite et à gauche, etc. Chaque initié(e) doit s’en inspirer pour trouver par soi-même son propre modèle de secousse physique et mentale, et le plus efficace est d’accélérer le temps en soi-même après l’avoir ralenti, l’accélérer en se recentrant sur soi-même dans l’instant « ici et maintenant », « hic et nunc » disait-on au moyen-âge en Occident.

Temps-linéaire-séquentie-et-non-linéaire-perceptuel

Cette conscience du temps est la clé de la connaissance du corps et de l’esprit en mouvement et au repos. C’est dans le mouvement que le cerveau saisit au vol et intègre le temps des événements sensoriels qui relèvent soit du court terme, soit du long terme, du senti ou du ressenti temporels : d’une part les sensations conscientes attachées au monde temporel physique, linéaire et séquentiel, et d’autre part le ressenti du subconscient dans un temps perceptuel décalé, non linéaire et non séquentiel. Ces deux types de perceptions tendent naturellement vers la stabilité et le repos en entrant en phase l’une avec l’autre. Autrement dit, le cerveau crée du temps, ou/et joue avec le temps, pour recréer des ensembles cohérents de perceptions en conjuguant entre elles leurs différentes temporalités.

Si le corps rectifie ses perceptions pour les mettre en phase et en résonance les unes avec les autres, c’est aussi pour que l’esprit s’en inspire, se rectifie lui-même et mette en résonance l’ensemble de ses pensées, notamment en pensant avec gravité lors des cérémonies rituelles. En somme, l’esprit doit juste écouter son corps qui est naturellement en phase avec ses propres rythmes biologiques, pour entrer en résonnance comme les Anciens Égyptiens avec les rythmes de la nature et du cosmos.

Danseurs de Manipuri

Il s’agit dans les cérémonies rituelles comme dans les pensées et les actions de tous les jours d’être « grave » juste comme il faut, se maintenir en équilibre dans l’axe central de l’être « tout en jouant » avec la force de gravité, comme en ondulant pour s’écarter de cet axe central et provoquer des déséquilibres, même imperceptibles, puis reprendre ses esprits et déclencher ainsi des prises de conscience et des éclairs de vérité imprimés définitivement en mémoire. Chez l’être éveillé spirituellement, dansant allègrement sa vie comme les danseurs de Manipuri, les pas de côté vers d’autres connaissances alternent régulièrement avec d’autres pas de recentrage dans l’axe vertical de la conscience, des « pas de deux » effectués en soi-même par un être double illustrant le mouvement et le repos du loggion 50 de l’Évangile de Thomas, : « Jésus a dit : S’ils vous demandent : Quel est le signe de votre Père en vous ? Répondez leur : c’est un mouvement ET un repos ».

L’être spirituel demeure ainsi à la fois dans la paix profonde d’un être actif, et dans l’action d’un être en paix, un être paradoxal à la fois en paix et dans l’action, au repos et en mouvement pour reprendre les mots de Thomas, des termes a priori incompatibles entre eux car on est logiquement au repos ou en mouvement, mais pas les deux à la fois. Pourtant c’est la conjonction de ces deux états qui donne la clé de la Tempérance : la révélation et la naissance d’un troisième « terme » invisible et inattendu né de leur conjonction fructueuse.

Clé de voûte

Car être deux, c’est être plus que deux, et s’élever ensemble vers plus que soi, c’est devenir comme dans les cathédrales et les temples une clé de voûte concentrant en elle plusieurs forces pour n’en faire qu’une et la projeter au-delà d’elle-même dans l’invisible, tout en renforçant en dessous d’elle les piliers et les états d’être en conjonction qui l’ont fait naître.

Alors, tout devient un jeu pour l’être spirituel confronté non pas aux forces matérielles visibles de l’existence, mais à sa propre force délivrée des entraves idéologiques et religieuses. Cette force n’aspire qu’à se déployer en puissance, et le rôle des deux autres vertus cardinales, la Prudence et la Force, est de canaliser cette force pour mieux projeter l’être spirituel en son propre au-delà.

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Patrick Carré
Patrick Carré
Patrick Carré est un poète, philosophe et franc-maçon français, connu pour son œuvre mêlant littérature, spiritualité et symbolisme maçonnique. Initié à 23 ans à la Grande Loge de France, passé membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, il est à présent à l'OIAPMM (Ordre Initiatique Ancien et Primitif de Memphis Misraïm) membre de la Loge de recherche Imhotep à l'Orient de Nice, Souverain Grand Inspecteur Général (33è degré), et Sublime Prince de la Maçonnerie, Grand Régulateur Général de l'Ordre (87è degré).. Son travail explore l’initiation traditionnelle et la quête spirituelle, notamment à travers des poèmes et textes philosophiques. En 2023, il publie L’épopée alchimique des Maçons et Maçonnes (LiberFaber, 228 pages, 25 €), un recueil de plus de 1000 vers qui retrace les degrés maçonniques du premier au dix-huitième, accompagné d’un CD de textes lus et mis en musique par Gérard Berliner. Patrick Carré a également écrit d’autres ouvrages maçonniques, comme Francs-Maçons Alchimistes et Nous sommes tous androgynes, enrichis de contenus multimédias sur le tarot (chaîne youtube Le Tarot de la Renaissance, 12h de vidéos et 800 illustrations). Son œuvre met en lumière les liens entre franc-maçonnerie et alchimie, célébrant la transformation personnelle et spirituelle. Il fut Itinérant en 1980 durant 6 mois à l'Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis, et Potier tourneur 5 ans dans une poterie artisanale et Artisan créateur indépendant.

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