mar 07 octobre 2025 - 18:10

L’œil de la presse sur la Franc-maçonnerie – 30 ans de marronniers

Ce livre fait paraître un visage que la rumeur brouille depuis trop longtemps, et nous suivons Laura Laloux dans une traversée du regard médiatique où la Franc-Maçonnerie se fige en motif répété par l’habitude alors que l’autrice, patiente et précise, défait les réflexes et rend aux signes leur respiration, donnant à lire une enquête qui ne cherche pas l’effet mais la tenue intérieure d’une parole.

Peu à peu se dessine une archéologie du visible où le compas et l’équerre quittent l’icône pour rejoindre l’énigme, où les images trop vite péremptoires perdent de leur tapage, où s’élève une méthode discrète attentive aux formes, aux couleurs, aux cadrages, à cette petite musique verbale qui s’installe dans la mémoire collective et transforme la presse en atelier de signes façonnant des habitudes de lecture, de sorte que le marronnier n’apparaît plus comme une anecdote de saison mais comme une liane qui enserre l’imaginaire et marque la durée.

Nous avançons alors à travers les hebdomadaires qui règlent le tempo d’une opinion pressée, et nous voyons L’Express cultiver la promesse du dévoilement là où les listes fabriquent des équations rapides entre pouvoir et initiation, tandis que Le Point préfère cartographier l’influence en semant des mots qui dressent des bastions et dessinent des réseaux, quand Le Nouvel Observateur dramatise la politique en modelant des silhouettes et en convertissant les affaires en récit, et que Le Figaro Magazine alterne immersion et coulisse en promettant des voyages au cœur, des accès réservés, des secrets à portée de main. Laura Laloux ne dénonce ni n’excuse, elle décrit avec constance, relie ce qui se ressemble et révèle la grammaire qui rend ces narrations si aisées à croire, ce qui nous conduit naturellement à notre propre part de responsabilité.

Nos silences trop prolongés se transforment en vacance de parole et laissent s’engouffrer des récits prêts à l’emploi, notre discrétion utile à l’ascèse se retournant en opacité sociale, et le secret glissant de la discipline intérieure vers l’écran qui nourrit la suspicion. L’autrice nous aide à retrouver la mesure juste en rappelant que le secret n’est pas une vitre fumée mais une école de parole qui prépare à dire vrai sans bavardage, à ne pas livrer ce qui se profane par simple exposition, et qui exige en retour une présence claire dans la Cité, une voix qui assume son but en élevant, en éclairant, en reliant.

De cette exigence naît une éthique de la communication maçonnique qui refuse la publicité comme la défense réflexe, qui demeure fidèle au travail du Temple tout en consentant à la lumière commune, car le symbole ne se lance pas comme un argument il se propose comme une expérience, et la presse peut alors devenir un miroir utile qui révèle ce qui intrigue et inquiète, signale les angles morts, oblige à préciser la parole. Le livre agit comme un maillet pacifique qui ne frappe pas mais redresse, qui nous invite à dépasser l’alternative épuisante entre mutisme et démonstration, et ouvre une présence publique qui ne renie ni le rituel ni la ville.

Nous mesurons dès lors combien la répétition des mêmes images sculpte la croyance publique, les couleurs vives sur fond sombre, les gants et les tabliers dressés en trophées, les titres qui entretiennent l’idée d’un dessous permanent, autant d’éléments qui finissent par fabriquer une conviction préalable à toute lecture.

Laura Laloux désamorce ces ressorts sans les affaiblir par le déni, elle rappelle que les médias travaillent avec des archétypes disponibles et nous renvoie à notre responsabilité de nourrir d’autres figures, non des contre-légendes mais des présences, des gestes lisibles, des œuvres identifiables, une parole tenue parce qu’elle s’accorde à la pratique. Nous refermons l’ouvrage avec une conviction calme et haute, la Franc-Maçonnerie n’est ni forteresse ni théâtre de masques, elle demeure une école de vie intérieure appuyée sur une éthique de clarté mesurée, et la réponse la plus forte au règne des marronniers consiste à offrir une densité de sens qui n’a pas besoin d’esbroufe, à garder le rythme long au milieu des emballements, à laisser parler les œuvres, à expliquer sans s’excuser, à accueillir la question sans céder aux mises en scène qui enferment.

Laura Laloux nous rend ce service avec une fraternité lucide qui refuse l’amertume comme la plainte, elle convoque notre mémoire d’initiés, nous montre ce que devient notre image lorsque nous l’abandonnons aux autres, et propose un chemin pour reprendre la voix avec tact et fermeté, de sorte que nous sortons lecteurs mieux armés non pour contester chaque couverture mais pour habiter le temps long et construire une présence publique fidèle à la lumière que nous cherchons.

Laura Laloux

Laura Laloux, formée à Sciences Po Aix, explore depuis plusieurs années les représentations médiatiques de la Franc-Maçonnerie et leurs effets sur l’opinion, en associant le patient travail des archives, la lecture des images et l’attention au sous-texte symbolique. L’ouvrage L’œil de la presse sur la Franc-maçonnerie – 30 ans de marronniers, publié chez Numérilivre dans la collection Voies de la Connaissance dirigée par Yonnel Ghernaouti, rassemble ce travail d’observation au long cours et propose une voie de discernement utile aux initiés comme aux profanes. Il a été nominé à Masonica Lille 2025.

L’œil de la presse sur la Franc-maçonnerie – 30 ans de marronniers

Laura LalouxÉditions Numérilivre, coll. Voies de la Connaissance, 2025, 200 pages, 22 €

Éditions Numérilivre, le site

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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