lun 29 septembre 2025 - 22:09

Verdun, renonciation et faux raccourcis : remettre les faits d’équerre

Le 27 septembre 2025, Riposte catholique publie une brève signée Maximilien Bernard annonçant que le Saint-Père a accepté la renonciation au gouvernement pastoral du diocèse de Verdun présentée par Mgr Jean-Paul Gusching, 70 ans, évêque depuis 2014. Le texte précise que Mgr Philippe Ballot, archevêque-évêque de Metz, est nommé administrateur apostolique du diocèse de Verdun, sede vacante et ad nutum Sanctae Sedis.

Riposte catholique

Pour celles et ceux qui n’ont pas fait leurs humanités…

Sede vacante signifie littéralement « le siège étant vacant ». C’est une expression utilisée pour désigner la période où le siège d’un évêché, ou plus particulièrement le Saint-Siège (au Vatican) est vacant, c’est-à-dire sans évêque ou sans pape.

Mgr Philippe Ballot, Metz en 2022

Cette vacance peut être due à la mort, à la renonciation, ou à la démission de l’évêque ou du pape. Pendant cette période, le diocèse ou l’Église est en attente d’un nouveau titulaire.

Ad nutum Sanctae Sedis signifie « à la disposition de la Saint-Siège », c’est-à-dire que la personne nommée assure temporairement la gouvernance du diocèse sous l’autorité directe du Saint-Siège, qui peut à tout moment rappeler ou rappeler cette personne.

Dans le cas présent, « Mgr Philippe Ballot a été nommé Administrateur Apostolique sede vacante et ad nutum Sanctae Sedis du diocèse de Verdun » signifie qu’il assume provisoirement la direction du diocèse en attendant la nomination d’un nouvel évêque, et qu’il agit sous la seule autorité directe de Rome.

Données par Risposte catholique, ce sont les faits incontestables du jour.

La même brève rappelle qu’en juin 2023, Mgr Gusching avait participé, à Verdun (Centre mondial de la Paix), à une conférence sur les rapports entre franc-maçonnerie et religion. C’est ici qu’une correction factuelle s’impose : cet événement a été organisé à l’invitation de la Grande Loge Nationale Française (GLNF), et non de la Grande Loge de France (GLDF). Cette donnée est publiquement vérifiable et déjà documentée dans mon papier, ici-même, ainsi que dans L’Est Républicain la veille de la rencontre.

Mgr Gusching

Faut-il pour autant lier causalement la renonciation de 2025 à la présence de 2023 ? Rien, dans les actes officiels, ne permet de l’affirmer. Une renonciation épiscopale est un acte de gouvernement de l’Église universelle ; elle peut intervenir avant 75 ans (CIC 401 § 2) pour des motifs que le Saint-Siège n’a pas à publier. En l’espèce, aucune source romaine ne relie l’événement de Verdun à la décision acceptée par le pape. La chronologie ne fait pas causalité : c’est une prudence élémentaire de l’historien. (Sur le plan des sources, Riposte-Catholique se borne d’ailleurs à juxtaposer les faits de 2023 et l’annonce de 2025, sans établir de lien.)

Le positionnement du Vatican : une ligne constante, réaffirmée

Pour prendre la mesure du sujet, rappelons la doctrine romaine sur la franc-maçonnerie, qui sert souvent de toile de fond à ces lectures :

-La Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 26 novembre 1983, approuvée par Jean-Paul II, affirme que le jugement négatif de l’Église « demeure », que l’inscription à des associations maçonniques reste interdite, et que les fidèles qui en sont membres se trouvent en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion. Cette norme n’a jamais été levée.

-Le 13 novembre 2023, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi a de nouveau réitéré cette incompatibilité, en répondant à Mgr Julito Cortes (Dumaguete, Philippines), et a recommandé une stratégie pastorale pour dissiper la confusion chez des fidèles pensant possible d’être simultanément catholiques pratiquants et Francs-Maçons.

Deux points doivent être nettement distingués :

  1. L’appartenance maçonnique (qui engage la discipline sacramentelle et reçoit une réponse négative claire) ;
  2. Le dialogue ponctuel (colloques, tables rondes) où se rencontrent responsables religieux, spécialistes, voire maçons, que Rome ne prohibe pas ipso facto mais qui demeure sensible et soumis au discernement pastoral. Les textes romains visent l’adhésion (juridique et existentielle), pas l’existence d’un échange public.
Mgr Gusching

Ce que l’on peut dire, exactement, de Verdun

Oui, Mgr Gusching a participé le 20/06/2023 à une rencontre au Centre mondial de la Paix (cf. mon papier ici-même).

Oui, le sujet « franc-maçonnerie et religions » est toujours aussi sensible dans l’Église catholique, apostolique et romaine.

Non, la conférence n’était pas organisée par la GLDF : c’était une initiative de la GLNF.

Non, il n’existe pas de lien officiel entre cette soirée et la renonciation acceptée en 2025 ; aucun document du Saint-Siège ne l’établit…. à cette heure.

Pour l’historien des religions, l’enjeu n’est pas d’inférer une causalité sans preuve, mais de tenir ensemble :

– la stabilité doctrinale romaine (1983, 2023) sur l’incompatibilité de l’adhésion maçonnique avec la pratique sacramentelle ;

– la possibilité d’espaces de parole publique ou d’explication, selon les circonstances locales, qui ne constituent pas en soi une approbation ni un assouplissement du magistère.

Pour mémoire, nous vous rappelons la ligne éditoriale de Riposte catholique

Portail de « réinformation catholique 2.0 », Riposte-Catholique publie quotidiennement des brèves, tribunes et reprises de contenus issus d’un écosystème proche des milieux conservateurs/traditionalistes (rubriques telles que « Points non négociables », « Dubia Amoris laetitia », relais de partenaires et agrégations). Le site revendique notamment une faveur explicite pour la liberté de la messe traditionnelle. L’éditeur est GT Éditions et le directeur de la publication Guillaume de Thieulloy. Positionnement éditorial assumé : cadrage doctrinal strict, critique des orientations perçues comme « progressistes », et volonté déclarée de « ré-informer » le lectorat catholique.

Post-scriptum : entre l’équerre et l’autel : pour un langage clair avec Rome

Nous avançons à pas mesurés, l’équerre sous le bras et le compas au cœur, non pour quémander une absolution impossible mais pour éprouver la tenue d’un dialogue qui n’illusionne personne.

Qu’attendraient des obédiences françaises d’une conversation avec le Vatican, si conversation il y a ?

Non pas l’effacement des frontières, mais la politesse des frontières reconnues, l’art d’habiter la distance sans l’ériger en mur d’hostilité. Nous savons la ligne romaine claire et constante ; nous savons aussi qu’un silence prolongé finit par nourrir des légendes qui durcissent les consciences. Dès lors, entrer en parole, c’est desserrer l’étau des malentendus.

Le premier intérêt est d’ordre spirituel et civique : déminer la confusion. Dire simplement ce qu’est une voie initiatique – son travail sur la conscience, sa soif d’éthique, sa pédagogie des symboles – et ce qu’elle n’est pas : un magistère de substitution, une théologie clandestine, une liturgie parallèle. Nous ne cherchons pas la bénédiction, nous cherchons la clarté. Dans un monde saturé d’anathèmes faciles, la clarté est déjà un service rendu au bien commun.

Vient ensuite la main tendue sur des terrains où la coopération ne brouille aucun statut : la dignité humaine, l’éducation, la lutte contre la misère, la paix civile, la sauvegarde du patrimoine.

Il n’est pas indigne de reconnaître que le soin du monde s’écrit aussi à plusieurs mains. Là, la parole n’est plus un piège ; elle devient une boussole. Nous parlons afin de discerner où nos efforts peuvent, sans confusion d’appartenance, converger vers un soulagement tangible de la souffrance et un accroissement de la liberté intérieure.

Nous y gagnons encore une paix des esprits. Combien de sœurs, combien de frères, combien de croyants enfin, vivent déchirés entre attachements familiaux, fidélités intimes et caricatures publiques ? Un dialogue loyal assainit l’air que nous respirons ensemble. Il soulage les consciences mixtes, il désamorce les procès d’intention, il rappelle que l’on peut se dire un désaccord sans se retrancher dans l’invective.

Mais nous serions naïfs si nous oublions les risques

L’instrumentalisation des rencontres, la tentation de brandir un colloque comme brevet de respectabilité, l’ambiguïté de gestes symboliques mal posés, le goût médiatique du “coup” qui fait du bruit et détruit la nuance. Pour qu’un échange soit noble, il doit être cadré : ni liturgie partagée, ni promesse voilée, ni langue double. Des intervenants légitimes, un lieu public qui honore la raison, des actes écrits qui disent ce qui a été dit ; et surtout, la phrase sobre qui n’ouvre aucune fausse fenêtre. Nous ne jouons pas à déplacer les bornes ; nous consentons à parler en vérité de part et d’autre des bornes.

Le cœur du propos est là : civiliser la différence

Non pour la dissoudre, mais pour l’habiter avec tenue. Nous ne cherchons pas à convaincre Rome de renier sa doctrine ; nous acceptons qu’elle la maintienne. En retour, nous revendiquons le droit de poursuivre notre œuvre intérieure, fidèles à la lente alchimie qui affine la pierre. Entre la clarté d’une position et la courtoisie d’une parole, il y a une voie médiane où l’intelligence se grandit et où l’on apprend à nommer le réel sans le forcer.

Alors, pourquoi frapper aux portes de Rome ? Pour que la vérité ne se « raconte » plus par rumeurs, mais se dise. Pour qu’un désaccord fondateur ne soit plus un prétexte à guerroyer, mais un appel à ordonner nos voix. Pour montrer que l’on peut tenir ensemble la rigueur et la mesure, la fidélité et l’ouverture, le refus de la confusion et la volonté de mieux faire monde. Et s’il ne devait rester d’un tel dialogue qu’une discipline de langage, une sobriété de gestes, une paix un peu plus respirable, ce serait déjà beaucoup : de quoi continuer l’Œuvre, chacun à sa place, sous la même voûte du ciel.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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