lun 06 octobre 2025 - 00:10

La chemin et le Temple – l’itinéraire initiatique du Frère

Nous ouvrons Maçons en chemin comme on pousse une porte discrète qui donne sur deux sentiers qui se rejoignent. Le premier se trace dans l’argile tiède des haltes du pèlerin. Le second s’élève sous la voûte étoilée du Temple. La couverture fait signe d’emblée. Elle noue la coquille du chemin de Compostelle et les emblèmes de l’Art Royal.

Nous y lisons une proposition de voyage intérieur et fraternel. Les êtres humains sont toujours sur des chemins de vie qu’ils doivent décoder afin de vivre librement et de côtoyer leurs semblables dans un monde complexe. Cette phrase d’ouverture donne le ton. Elle parle d’apprentissage, de liberté de conscience, d’expression mesurée et de fraternité vécue. Elle annonce l’ouvrage entier comme une marche consciente vers la lumière.

Maçons en chemin

Jean Monneret choisit une forme narrative à la fois simple en apparence et riche en résonances.

Des voix féminines dialoguent. Elles disent la patience des Loges, les heurts d’une histoire trop longtemps écrite au masculin, l’ascèse d’une parole mise à l’épreuve par le rituel. Nous reconnaissons dans ce choix une éthique de transmission. La parole circule, elle ne s’impose pas. Elle se recueille, se décante, puis s’offre à nouveau. À travers ces voix, l’auteur pose la question de la maturation de la personne initiée. L’Apprenti écoute et regarde. Le Compagnon se met en route et mesure ses pas.

Le Maître consent au sacrifice de l’ego pour servir une cause plus haute.

Nous avançons ainsi, de l’ombre du cabinet de réflexion à la blancheur rude de l’acacia, de la stupeur de la première lumière à l’exigence d’une exemplarité quotidienne. La référence au mythe d’Hiram n’est pas récitée comme un catéchisme. Elle devient épreuve intime de discernement. Elle rappelle que la mort symbolique n’est pas un théâtre. Elle convoque notre courage et notre fidélité, afin que la construction de l’homme intérieur ne se confonde ni avec l’ambition, ni avec la jalousie, ni avec le fanatisme.

Le livre a le souffle de la marche.

Nous sentons la houle régulière du pas. L’auteur connaît les soifs, le vent contraire, la pierre qui blesse, la promesse de l’horizon. Il transpose ce rythme dans l’économie spirituelle de la loge. Chaque Tenue devient une étape. La chaîne d’union redonne souffle au cœur comme la soupe partagée au gîte redonne force au pèlerin. L’hospitalier porte la marque de l’amour fraternel de la même manière que l’accueillant protège l’infatigable voyageur. Le tronc de solidarité répond au donativo du matin – mot espagnol issu du latin donativum signifiant don. Les points d’eau de la route s’accordent aux silences du Temple. Les signes, les mots, les attouchements sont les balises d’une géographie sacrée. Ils apprennent à se reconnaître sans s’emparer de l’autre. Ils dessinent une courtoisie spirituelle, humble et ferme, qui n’a pas besoin de s’exhiber.

Le livre assume une réflexion nette sur la cité.

Nous n’y lisons ni retrait frileux ni tentation d’emprise. Au contraire, la démarche initiatique y apparaît comme une discipline de la parole et du geste. Elle forme des femmes et des hommes capables de porter au dehors l’œuvre commencée à l’intérieur. Laïcité vécue comme garantie de liberté de conscience. Fraternité pratiquée comme exigence de justice. Vigilance contre les confusions qui font croire que l’Ordre parle à la place des consciences.

Cette clarté, Jean Monneret la fonde sur une pédagogie du rite.

Demander la parole, se tenir à l’ordre, accepter de limiter ses interventions, entendre le contradicteur. Tout cela éduque. Tout cela prépare à l’engagement lucide. Tout cela évite la facilité spectaculaire dont s’énamourent les temps agités. Nous retrouvons ici une intuition ancienne. La cité se transforme à partir d’êtres pacifiés, non par la colère, mais par la constance.

La place des femmes traverse l’ouvrage comme une ligne de force. Les voix qui ouvrent le récit évoquent l’émancipation, les lenteurs, les ruses, les résistances intériorisées. Elles rappellent les humiliations subies et la patience organisée. Elles montrent la mixité comme un travail quotidien des esprits. Non un slogan. Un devoir de justesse.

Le balisage des Chemins de Compostelle

 L’auteur ose mettre sur la table les malentendus, les expressions rituelles qui choquent aujourd’hui, les héritages qu’il faut relire sans faiblesse. Cette honnêteté donne au livre un relief singulier. Elle rend possible l’augure d’une fraternité véritable, où l’égalité ne soit ni concédée ni théorique, mais éprouvée dans la responsabilité partagée.

La métaphore de la vie humaine irrigue la progression. Enfant, puis adolescent, puis adulte, puis sage. Apprenti, puis Compagnon, puis Maître, puis hauts grades. À chaque seuil, une vertu se réveille. À chaque avancée, une tentation se démasque. La marche tient lieu de méthode. Nous apprenons à déplier les sens, à affermir l’écoute, à polir notre pierre.

Nous apprenons aussi la patience. Rien n’est donné.

Tout se reçoit si la main demeure ouverte. L’auteur excelle à tisser les correspondances. Le bâton du maître des cérémonies répond à celui du pèlerin. L’étoile flamboyante répond à la clarté des nuits sans lune sur la Meseta, un haut-plateau situé au centre de la péninsule Ibérique.

Maçons en chemin, détail

Le pont construit par la charité d’une bienfaitrice répond au passage fragile du gué intérieur. Ainsi la géographie devient liturgie. Ainsi la topographie du monde nourrit la cartographie de l’âme.

Nous saluons l’élégance d’une scène discrète.

L’épreuve sous le bandeau. Parole donnée et retenue. Jeu de questions qui n’a rien d’un interrogatoire, mais tout d’un miroir. Nous entendons le tremblement d’un souffle, la gêne de parler sans voir, l’étrangeté d’une présence tout autour. La description ne cherche pas l’effet. Elle met le lecteur à sa place. Elle lui demande de consentir à l’inconfort qui précède toute naissance. L’auteur sait alors faire entendre la douceur fraternelle qui suit la peur. Des sourires se devinent. Un siège se propose. Un rituel d’accueil se déploie. Le monde change de densité. Nous franchissons la porte basse. Nous déposons nos métaux. Nous recevons la charge d’une liberté plus exigeante.

Dans les pages consacrées à l’action, une ligne se détache. L’exemplarité. Non point posture morale. Plutôt cohérence éprouvée. Nous sommes crus si nous devenons crédibles. Nous sommes respectés si nous savons nous rendre respectables. Le rappel n’a rien d’édifiant. Il sonne juste. Il répond à la tentation de l’effet de manche. Il invite à l’accord intérieur, là où parole et conduite se rejoignent. De tels rappels donnent à l’ouvrage une gravité joyeuse. Ils empêchent la symbolique de flotter hors sol. Ils reconduisent le lecteur au devoir simple et rude qui l’attend au seuil du Temple, puis dans la rue, puis sur la route, puis à la maison.

Nous lisons enfin ce livre à la lumière d’un visage.

La presse régionale présente Jean Monneret en homme de sport, d’éducation et d’engagement civique. Cette triade irrigue la structure du récit. Nous comprenons mieux la place accordée aux politiques sportives, à la vie associative, à l’art d’organiser la coopération. Nous comprenons aussi le choix constant d’une écriture claire et pédagogique, jamais jargonnante. Une telle clarté ne retire rien à la profondeur. Elle l’accompagne. Elle la rend partageable.

Jean Monneret

Brève biographie vivante

Jean Monneret a longtemps œuvré dans l’éducation sportive, la gestion des équipements, la formation et l’animation associative. Il marche beaucoup. Il rencontre. Il écrit pour relier l’expérience à la méditation. Son travail porte la marque d’un citoyen qui connaît les institutions et d’un pèlerin qui connaît la fatigue. Plusieurs ouvrages jalonnent cette route. Un livre de référence sur les politiques sportives des collectivités locales. Un cri d’alarme suivi d’un appel à l’action sur notre dépérissement, paru avant un essai sur la confrontation intérieure. Un récit enraciné dans la mémoire bourguignonne. Cette diversité compose un portrait cohérent. L’homme de terrain réfléchit. L’initié transmet. L’écrivain cherche la juste hauteur d’une parole fraternelle.

Nous refermons le livre comme on défait une besace en fin d’étape.

Il reste dans les mains une provision de signes. Une coquille qui résonne comme un appel au voyage intérieur. Une branche d’acacia qui ne pourrit pas et promet la renaissance. Un bâton qui marque la rectitude sans dureté. Des pierres que nous continuerons de tailler, jour après jour, afin que la maison intérieure demeure habitable et ouverte. Maçons en chemin propose une manière d’accorder l’horizon et la règle, la liberté et la discipline, la route et le Temple. Il nous rappelle que chaque vie est un chantier qui sollicite notre discernement et notre courage. Il nous apprend à marcher sans perdre la prière de la main qui se tend, ni la vigilance du regard qui écoute. Il nous invite à bâtir l’homme pour se construire. Et à laisser la lumière reçue irriguer nos actes, jusqu’à la prochaine étape…

Éd. Vérone

Jean MonneretVérone Éditions, 2025, 154 pages, 16,50 €

1 COMMENTAIRE

  1. Franc-Maçonnerie et marche au long cours sont comme l’émission « la tête et les jambes » complémentaires.
    Jean distille son vécu et invite à comprendre que celui qui n’aime pas la Nature, toute la Nature, n’a pas encore pris le chemin qui ouvre les yeux sur l’autre, donc sur lui.
    Respecter toute la Création est l’humble début vers la Connaissance.
    La prise de conscience de sa place dans le tout devient évidente après.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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