dim 28 septembre 2025 - 00:09

Faut-il redevenir opératifs ?

Oui. Mais pas pour tailler des cailloux ! 

La Franc-maçonnerie semble avoir toujours pour ambition d’améliorer l’homme et la société. Parmi les questions soumises à l’étude des loges par le Grand Orient de France, on trouve cette année : « dans un monde en crise, comment le maçon peut-il agir dans la société ? »

Toute une branche de la Franc-maçonnerie pense que pour améliorer la société il faut s’améliorer soi-même et que par contrecoup, la société s’en trouvera améliorée. Une autre branche est convaincue que ça ne suffit pas, que les Francs-maçons doivent entrer dans le dur et agir directement sur la société. Il ne s’agit pas de choisir entre l’une ou l’autre option, mais de voir qu’elles convergent dans leurs objectif… et de constater, dans les deux cas, que cette action ne semble particulièrement efficace.

Les humains -en tant qu’humains- sont-ils en train de s’améliorer ? Rien n’est moins sûr. La société humaine est-elle en train de progresser en direction de l’idéal maçonnique ? Encore bien moins. D’où l’intérêt de s’interroger sur la manière dont on s’y prend. Est-ce que nos méthodes traditionnelles sont encore efficaces? Adaptées au monde d’aujourd’hui? 

Bien entendu on va commencer par critiquer la question, c’est un véritable sport national, on aurait tort de s’en priver. « Dans un monde en crise », on ne peut pas faire plus tarte-à-la-crème comme manière de poser le contexte. Tout est toujours en crise, “en perpétuel changement”, “en mutation”, “face aux défis de ceci-cela”, une telle formule sert produire deds évidences, c’est un peu une machine à courber les bananes. La suite est plus intéressante : « comment le maçon peut-il agir dans la société ? » Bonne question. A condition de commencer par se demander : pour quoi faire ? 

On va passer en revue les solutions qui sont déjà connues, puis dans un second temps celles qui ne le sont pas, pour la bonne raison qu’elles n’existent pas encore. 

La solidarité

Pratique très recommandée dans la franc-maçonnerie de tradition anglo-saxonne, la charité, on l’appelle aussi : la solidarité. Elle s’exerce ouvertement en Amérique et dans les îles britanniques, beaucoup plus massivement que sur le continent, notamment pour des raisons historiques qui font que l’activité maçonnique n’y a jamais été secrète. Chez nous, elle n’est pas seulement discrète, elle apparaît aussi comme bien modeste. Toutes les actions de solidarité internes et externes au GODF représentent environ 1M€ par an, pour un budget global de l’obédience qui frise les 10 M€, (déficit compris). L’essentiel des ressources est donc consommé dans le fonctionnement et pas dans la solidarité. C’est le même rapport qu’on trouve dans l’efficacité énergétique des véhicules. Une voiture individuelle pèse en moyenne 1 200 kgs, elle transporte dans 85% des cas une seule personne, un homme d’un poids moyen de 75 kgs. L’essentiel du pétrole qu’elle brûle (94%) sert donc à déplacer sa propre carcasse et non pas à transporter le passager. Pourrait-on y changer quelque chose et faire que davantage de ressources maçonniques soient mobilisées pour la solidarité ? Sans doute, mais aucune obédience n’est prête à un tel chamboule-tout. 

Le monde associatif

Deuxième domaine dans lequel on trouve beaucoup de Francs-maçons : celui des associations. (On pourrait citer aussi les syndicats et les partis politiques, mais on préfère éviter, certains lecteurs ayant la peau sensible) Contribuent-elles à améliorer la société ? Certainement, comme les actions de solidarité mentionnées plus haut et beaucoup plus encore parce qu’elles sont partagées avec l’ensemble de la population. Mais visent-elles à réellement améliorer la société ou à simplement poser des rustines sur ce qui va mal ? 

Les Francs maçons ont mille fois raison de s’engager dans ces deux voies là qui leur sont traditionnelles. La question est de savoir si elles sont à la hauteur de leurs ambitions. Et si elles ne le sont pas, existe-t-il d’autres voies à explorer ? Mais tout d’abord on commencera par se demander dans quelle direction aller, vers quel but, vers quelle finalité ? On en a identifié trois, particulièrement maçonniques : la solidarité (parce qu’elle va avec l’humanisme ), la République (parce qu’elle est un projet maçonnique toujours en chantier) et la transformation écologique (parce qu’elle représente le grand défi de notre temps). Dans ces trois domaines on pourrait par exemple : 

  • Former des fraternelles opératives. Les fraternelles ont mauvaise presse, parce qu’elles virent souvent à l’affairisme. Pourtant, certaines rendent parfois de grands services. Par exemple, les fraternelles parlementaires ont permis de trouver des accords au-delà des clivages politiques, pour voter des lois qui ont transformé en profondeur la société. On peut regretter qu’en période de crise politique elles ne permettent pas de dépasser les blocages. Imaginons des fraternelles bâties sur un nouveau principe. Au lieu de réunir des frères et sœurs de même métier, elles les rassembleraient autour d’un même projet, la transformation écologique, par exemple, avec des ingénieurs, des entrepreneurs, des financiers, des représentants élus, des associations, des experts, etc… qui tous chercheraient les moyens d’être plus efficaces ensemble, d’avancer mieux et plus vite, parce qu’ils partagent les mêmes valeurs. 
  • Ouvrir des chantiers maçonniques. C’est bien joli de soutenir les projets des autres, discrètement, pour ne pas déranger. Mais on attend quoi pour initier des projets de francs-maçons ? Les ONG le font. Elles ne se dispersent pas, elles ne saupoudrent pas leurs ressources. Elles identifient des thématiques qui leur sont propres et elles poussent des projets dans ces directions. Au-delà des différences entre les obédiences, il y a des chantiers que nous pourrions ouvrir ensemble. Dans le domaine de la transformation écologique : des éco-villages, des coopératives. Pour servir la République : projets citoyens, éducation populaire…Solidarité : habitats intergénérationnel, collectifs d’habitants…

D’une manière générale, il faut trouver les moyens d’articuler l’intérieur et l’extérieur. Une des raisons de la perte d’efficacité de la franc-maçonnerie est qu’elle fonctionne comme un écosystème fermé. L’essentiel des échanges se passe à l’intérieur. Rien ne sort, ou si peu. Au XVIIIè siècle, elle avait la force de réunir des classes sociales qui ne se mélangeaient pas et d’essaimer par elle à travers toute la société, dans l’Ancien Régime, c’était une société cloisonnée, immuable. Mais nous vivons dans des sociétés en réseau, ouvertes, communicantes, et par un drôle de retournement, c’est elle la franc-maçonnerie, qui apparaît maintenant comme cloisonnée, comme un empilement de boîtes hermétiques, une réunion Tupperware. A chacun sa boîte, soit on est dedans, soit on est dehors, mais on n’articule pas le dedans et le dehors. “Donnez-moi un levier et je soulèverai le monde”, disait Archimède. Où sont les leviers d’action des francs maçons ? En voici deux : 

Des conférences de dialogue. 

Nos communications vers l’extérieur sont souvent ex-cathedra. Nous invitons des gens à venir chez nous pour nous écouter, mais est-on sûr qu’ils ont envie de nous entendre ? Alors que nous n’avons jamais noué le dialogue avec eux? Peut-être faudrait-il commencer par là…. On organiserait des rencontres avec des acteurs de terrain, des experts, des témoins, et on essayerait d’abord de comprendre ce qu’ils sont à dire. Ensuite on leur ferait part de nos propres réflexions pour leur demander ce qu’ils en pensent. Une franc-maçonnerie moins élitiste et plus horizontale. Une franc-maçonnerie de dialogue et non pas de magistère.

Des structures intermédiaires. 

Il en a existé à certaines périodes : des organisations de louveteaux, des institutions pour enfants de maçons… Il nous revient de créer celles qui correspondent à notre époque. Car tout le monde n’a pas vocation à devenir maçon et ce n’est pas parce qu’ils n’entrent pas qu’on doit laisser des gens dehors. Dans notre entourage, beaucoup de non-maçons, -que nous appelons profanes-, vivent avec nous, travaillent avec nous, dialoguent avec nous, certains d’entre eux ont fait une démarche pour entrer en maçonnerie, qui n’a pas abouti. Peut-être que l’engagement maçonnique n’était pas fait pour eux ? Mais pourtant, ils cherchaient quelque chose. Entre franc-maçon et non-franc-maçon, il n’y a rien ? Il pourrait y avoir. D’ailleurs il y a déjà. Des cafés maçons comme celui de Lyon mélangeant en toute mixité des maçons et des profanes pour des temps d’échange mensuels où chacun trouve son intérêt. Il pourrait y avoir des structures intermédiaires, en “zone d’échange” , en “zone franche”, pour du partage, de l’échange ou du travail en commun, chacun restant ce qu’il est. Lorsqu’on veut rencontrer des personnes, on ne les invite pas chez soi, on commence par aller les voir là où ils sont. C’est dans le monde extérieur qu’il faut aller nouer ces liens, et ne pas attendre qu’ils viennent à nous. 

Bien sûr, ce ne sont que quelques idées jetées en vrac. La question reste posée et elle représente un vrai défi pour les francs-maçons : à quoi servent-ils à l’extérieur ? Ont-ils vraiment l’intention d’améliorer l’homme et la société ou ne sont-ce que des mots? A se contenter de se refermer sur soi, le maître maçon risque de finir comme un maître-étalon au pavillon Baltard, une référence d’un autre temps, une curiosité qu’on garde sous cloche et qu’on vient visiter de temps en temps.

3 Commentaires

  1. Tout est dit .Tout explique mon recul après 25 ans de maçonnerie. Certains jours l’atelier me manque mais rapidement je sais que le constat et les propositions rapportées ici me semblent inaudibles pour un trop grand nombre de frères et de sœurs. De l’utopie ? Il n’en est pas question me repondait on. Merci pour ce bol d’air .

  2. Entièrement d’accord sur le principe, maintenant il faut le mettre en œuvre mais pas au simple niveau d’une loge mais d’un regroupement et aller vers l’extérieur avec un projet ciselé et non le discours répétitif »venez vers nous » mais « allons y ensembles »

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Pierre Gandonniere
Pierre Gandonniere
Membre du Grand Orient de France et du Grand Chapitre Général. Journaliste, consultant, enseignant Auteur d’une thèse sur l’Ecologie de l’Information Auteur de : "L'Humanisme en Tablier Vert -L'Ecologie est-elle une question maçonnique ?" Detrad, 2023

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