Ce mot, en apparence sans équivoque, réserve la surprise de son ambivalence. Affection participe d’une étymologie *dhe-, qui signifie « placer, poser, établir », d’où sont aussi issus la thèse, le verbe faire, la réfection. Au sens propre, l’affection exprime le mouvement *ad, qui porte vers l’objet d’un sentiment. Le chien en mal d’affection qu’on couvre de caresses, l’enfant demandeur des câlins dont il se sentirait privé.
Une lettre pleine d’affection, de propos affectueux, s’adresse à un proche, une personne amie. En témoignage d’un sentiment peut-être teinté d’une émotion qui n’ose dire son nom. C’est ce qui fait écrire à Gustave Flaubert, dans L’Éducation sentimentale :
« Les affections profondes ressemblent aux honnêtes femmes ; elles ont peur d’être découvertes et passent dans la vie les yeux baissés. »
Tel le voile pudique dont on grimerait sa nature profonde, en affectant une impassibilité surfaite ?
L’affection est la manifestation d’une tendresse, d’un attachement à l’égard de quelqu’un, sans que cet élan soit irrépressible et passionné. On y vit une relation pleine de quiétude, de sérénité. Un peu tiède, peut-être ? Nulle émotion n’y ferait sortir de soi jusqu’à l’aveu…
Et pourtant, la langue parfois se déporte vers d’autres domaines d’application, médicale par exemple. « De quelle affection souffrez-vous ? Qui affecterait votre quotidien, au point de vous installer désagréablement dans la nomenclature des soins longs et onéreux d’une « affection de longue durée » ?
Telle est peut-être l’ambiguïté de ce mot, qui ne peut échapper totalement au trouble, du corps ou du sentiment. Un entre-deux caractéristique de ce qui se place « au centre ». Un funambulisme entre feu à éteindre et indifférence ?
André Maurois, dans Ariel ou la Vie de Shelley, illustre cette hésitation possible :
« Le mélange de l’admiration et de la pitié est une des plus sûres recettes de l’affection ».

Cynisme ou lucidité ?
Annick DROGOU
« Affectueusement » : un mot simple pour conclure, qui fait passer dans l’écriture un peu de ce qui ne s’écrit pas. C’était le mot des lettres manuscrites, des cartes postales, des correspondances qu’on gardait longtemps dans une boîte. Il a disparu de nos messages sur écran, remplacé par un « bisous », un cœur, un « émoji ». Le mot disait la lenteur d’une tendresse posée. L’ « émoji » dit la vitesse d’une présence immédiate.
« Affectueusement » en signature au bas d’une lettre, pour dire à l’autre :
« Je tiens à toi. Tu comptes pour moi. Je t’entoure d’une douce chaleur. »
Ce n’est pas la passion qui consume, c’est le feu de braise qui ronronne et demeure, celui qu’il convient d’entretenir pour qu’il ne s’éteigne pas.

« Affectueusement » : ce qui t’affecte m’affecte aussi. Comme une vulnérabilité partagée.
Ton bonheur me réjouit, ta peine me touche, ta vie me concerne. Point final, pudeur et signe discret d’un lien plus fort que tout mot.
Jean DUMONTEIL