dim 28 septembre 2025 - 00:09

Le processus d’individuation en 6 étapes de Carl Gustav Jung

L’INTÉGRATION DES OMBRES (3/6)

Mourir et se consumer dans son propre feu pour renaître de ses cendres est la destinée du Phénix, être mythique incarné par les êtres spirituels s’initiant à l’art de s’embraser soi-même en embrassant la vie, et d’embraser sa vie en l’embrassant en puissance. Les esprits tièdes et mesurés en tout ont du mal à percevoir cet art de vivre qui prend aux tripes à chaque instant sans pour autant se déconnecter des réalités de la vie.

Le mot passion traduit mal l’état mental de ces êtres pleins de leur propre feu, consumant leur vie comme par devoir en totalité tout en éclairant leurs zones d’ombre avec une facilité déconcertante, contrairement à leurs semblables, ou leurs dissemblables, qui s’y refusent et demeurent à disserter sur l’apparence à donner au Phénix.

Le courage fait peu partie du vocabulaire de ces théoriciens appliqués à niveler leurs pensées pour plaire au plus grand nombre, alors qu’il transparait chez les êtres qui jouent avec le feu de leur propre énergie, quitte à parfois s’y brûler. Mais le jeu en vaut la chandelle, car leur flamboyance tend naturellement à se résorber en une petite flamme permanente, présente depuis toujours au plus profond de Soi.

Le Chevalier du Phénix (53è degré de la Maçonnerie égyptienne) avance résolument vers le centre de son labyrinthe, et passe entre des zones de lumière et d’ombres à mesure qu’il surmonte ou non les épreuves qu’il traverse. C’est en Chevalier qu’il affronte les ombres qui masquent son chemin et c’est en Phénix qu’il révèle les lumières qui l’éclairent. Le Chevalier alimente et entretient son propre feu intérieur pour être aussi un Phénix qui pratique l’art de renaître régulièrement de ses cendres, et se transforme peu à peu mentalement et spirituellement jusqu’à atteindre en son centre le Soi et sa promesse de dimension cosmique.

Au fil du temps, le mythe du Phénix s’est figé jusqu’à signifier seulement « renaître de ses cendres », et même se réduire au verbe « renaître », la beauté du Phénix et la fascination qu’il engendre masquant cette réduction arbitraire. Les cendres sont pourtant l’élément essentiel de cette auto-fécondation, car elles sont pleines des ombres que le Chevalier n’a pas encore calcinées en lui-même, et qui sont amenées à réapparaître jusqu’à sa totale purification par son propre feu intérieur. Le cheminement de l’être spirituel menant à l’individuation de C.G. Jung rejoint ainsi la démarche des plus hautes traditions de l’Égypte Antique et de l’hindouisme, où l’initié(e) est prédestiné(e) à réintégrer le feu solaire du dieu Ré et le feu du dieu Agni, chacun(e) devant pour y parvenir accepter d’affronter ses ombres à toutes les étapes d’un chemin initiatique personnel.

Pour Jung, l’ombre est le « psychisme obscur » d’où naît la conscience.

Elle est d’abord tout ce qui traverse brièvement les pensées et qui est aussitôt oublié, ce qui est perçu et que la conscience n’a pas assimilé, et ce qui est pensé, discerné, ressenti et désiré inconsciemment. Elle est la partie inférieure et primitive de la personnalité, dont les aspects sont incompatibles avec la vie consciente. Mais elle est aussi source de clarté, dans le sens où « La clarté ne naît pas de ce que l’on imagine de clair, mais lorsque l’on prend conscience de l’obscur. » (C.G. Jung) La conscience peut ainsi extraire et éclairer en cet obscur inconscient de plus en plus de contenus, mais cette tâche fastidieuse effectuée dans l’horizontalité du labyrinthe est toujours loin d’être achevée. Seules les prises de conscience dans la verticalité au centre du labyrinthe éclairent globalement les ombres et leur rôle structurant et positif dans un projet d’élévation spirituelle.

Auparavant, les éléments psychiques qui constituent l’ombre s’unissent dans l’inconscient, où ils forment une sorte de personnalité secrète et opposée à l’être conscient, tel un double ou un autre que soi, autonome et dissocié de la personnalité consciente. En raison de cette autonomie, la volonté n’a aucun pouvoir sur l’ombre et l’inconscient, ce qui restreint le libre-arbitre et peut changer le cours d’une vie. « L’inconscient est un organisme naturel, indifférent aux points de vue moral, esthétique et intellectuel, ce qui ne devient réellement dangereux que si notre attitude consciente à son égard est désespérément fausse. Plus nous le refoulons en nous-mêmes, plus s’accentuent les périls encourus du fait de l’inconscient … Son masque n’est pas rigide, mais reflète comme un miroir le visage qu’on tourne vers lui. L’hostilité à son égard lui confère un aspect menaçant, la bienveillance envers lui adoucit ses traits. » (Jung, L’homme à la découverte de son âme) L’inconscient est révélé également par le phénomène de projection qui est l’un des plus importants du fonctionnement psychique, car nous projetons en permanence sur les autres et sur le monde notre propre ombre.

Mais « l’inconscient n’est pas seulement le simple dépositaire du passé, il est aussi rempli de germes de situations psychiques et d’idées à venir. Outre les souvenirs d’un passé lointain qui fut conscient, des idées neuves et créatrices qui n’ont jamais été conscientes précédemment peuvent aussi surgir de l’inconscient, Elles naissent des profondeurs de notre esprit comme un lotus et constituent une partie très importante de la psyché subliminale. » (C.G. Jung) Ainsi, l’ombre ne contient pas que des éléments négatifs et inopportuns dont la psyché s’est délestée, mais elle est aussi la promesse de contenus qui sommeillent encore et peuvent émerger à tout moment dans la vie. Elle recèle les semences de voies neuves, de créations inédites, de découvertes qui sont encore à venir et à réaliser.

Le phénix qui renaît de ses cendres éclaire de ses flammes ces voies nouvelles et ces idées créatrices et ré-créatrices (Ré-créatrices). Dans l’Égypte ancienne, l’oiseau Bénou (un héron cendré ou pourpré), le phénix égyptien, se rapporte au cycle quotidien du Soleil qui renaît chaque matin, et au cycle annuel de la crue du Nil qui régénère la fertilité et la vie. Oiseau fabuleux et magnifique, il se lève à l’aurore sur les eaux du Nil, tel le dieu Soleil Ré, et renvoie à la résurgence cyclique, à la longévité, à la résurrection et à l’immortalité. Le phénix égyptien symbolise encore « l’âme universelle d’Osiris » qui se recréera sans fin d’elle-même, tant que dureront le temps et l’éternité. (Livre des morts).

Le serpent Ouroboros qui se mord la queue (du grec ancien « οὐροϐόρος/ourobóros », formé à partir des mots « οὐρά, queue » et « βορός, vorace, glouton »), exprime lui aussi l’éternité et l’universalité des phénomènes cycliques, qui s’appliquent aussi bien à l’univers et au cosmos qu’au processus d’éveil et de renaissance comme un phénix de la conscience en soi-même. Le « mehen« , mot égyptien qui signifie « l’enroulé« , désigne dans l’espace un serpent qui entoure le monde et le sépare du chaos, et symbolise dans le temps l’éternel retour. La présence conjointe de l’Ouroboros et du phénix dans le rituel du 53è degré de la Maçonnerie égyptienne illustre ce dédoublement du processus de renaissance en soi-même, l’un dû à l’horizontalité du travail régulier et continu du Chevalier sur soi-même, et l’autre effectué dans la verticalité du Phénix, déclenché en conscience de manière irrégulière et discontinue.

Le Chevalier du Phénix pratique cette dynamique de retours cycliques en soi-même, lors de tenues collectives ou de réflexions personnelles, quand il re-découvre avec un regard neuf les marques imprimées dans sa mémoire par l’Ouroboros lui-même dans les degrés précédents de la Maçonnerie égyptienne. Dans cet exercice mental de résurgence de connaissances déjà acquises, il ne s’agit plus seulement de « penser à un symbole » comme à un objet loin de soi, mais de « penser le symbole », « d’être le symbole » et d’en ressentir toute la dynamique en l’incarnant. Le Chevalier du Phénix peut même s’autoriser à se délecter comme un « glouton » de ces connaissances passées acquises et intégrées en soi-même, puisque l’étymologie du mot Ouroboros (βορός, boros, glouton) l’y invite.

Cette technique du ressouvenir rituellement organisé et sructuré dynamise le mental des initié(e)s et les propulse, aux termes des cycles vécus symboliquement par l’Ouroboros et le Phénix, dans une totalité à intégrer en soi-même et à incarner. Cette pensée de C.G. Jung, centrée sur la notion de totalité « conçoit qu’à tous les niveaux des trois mondes divin, naturel, et humain, la totalité est toujours présente potentiellement, mais pas nécessairement actualisée, réalisée. La pensée jungienne semble être organisée tout entière autour du postulat que toute chose partielle cherche toujours à se reconstituer en totalité, à se ressouvenir de sa partie inconsciente et donc à redevenir totalité. Toute évolution est toujours en dernier ressort évolution vers plus de conscience, vers la restauration, au niveau conscient, de la totalité des origines qui se place d’abord sous le signe de l’inconscient. » (Christiane Maillard, Le Divin et la Féminité)

Cette totalité change de dimension quand la conscience, pour se réaliser pleinement spirituellement, éprouve l’irrésistible besoin de se propulser dans son propre cosmos, et pour y parvenir détache et libère ses ailes des liens cachés dans les ombres qui entravent leurs mouvements. C’est le moment où l’anima et l’animus sont mis à contribution à la quatrième étape du chemin conduisant à l’individuation, pour qu’un être androgyne jusqu’alors tapi dans ces ombres surgisse et s’envole vers son propre au-delà grâce à une énergie nouvelle à la puissance démultipliée.

Les six degrés de la Maçonnerie égyptienne (51è au 56è) illustrant les six étapes du processus d’individuation sont extraits des 60 degrés (34è au 93è) développés dans le livre Méditations du Sphinx de Patrick Carré, Éditions GAMAYUN)

Patrick Carré donne rendez-vous à ses lecteurs devant la Fontaine Saint-Michel le samedi 11 octobre 2025 à 10h30

(décalage d’une demie-heure par rapport à l’horaire prévu), pour une conférence interactive (durée 2h).

L’article de l’auteur déjà paru sur 450.fm (cliquez ici) prépare activement à cette conférence. Venez nombreux !

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2 Commentaires

  1. toujours aussi passionnant. j’attends la suite.
    mais une fois de plus, un minimum de culture est nécessaire.
    cette partie complète magnifiquement un travail sur le Phenix présenté dans notre Loge.

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Patrick Carré
Patrick Carré
Patrick Carré est un poète, philosophe et franc-maçon français, connu pour son œuvre mêlant littérature, spiritualité et symbolisme maçonnique. Initié à 23 ans à la Grande Loge de France, passé membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, il est à présent à l'OIAPMM (Ordre Initiatique Ancien et Primitif de Memphis Misraïm) membre de la Loge de recherche Imhotep à l'Orient de Nice, Souverain Grand Inspecteur Général (33è degré), et Sublime Prince de la Maçonnerie, Grand Régulateur Général de l'Ordre (87è degré).. Son travail explore l’initiation traditionnelle et la quête spirituelle, notamment à travers des poèmes et textes philosophiques. En 2023, il publie L’épopée alchimique des Maçons et Maçonnes (LiberFaber, 228 pages, 25 €), un recueil de plus de 1000 vers qui retrace les degrés maçonniques du premier au dix-huitième, accompagné d’un CD de textes lus et mis en musique par Gérard Berliner. Patrick Carré a également écrit d’autres ouvrages maçonniques, comme Francs-Maçons Alchimistes et Nous sommes tous androgynes, enrichis de contenus multimédias sur le tarot (chaîne youtube Le Tarot de la Renaissance, 12h de vidéos et 800 illustrations). Son œuvre met en lumière les liens entre franc-maçonnerie et alchimie, célébrant la transformation personnelle et spirituelle. Il fut Itinérant en 1980 durant 6 mois à l'Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis, et Potier tourneur 5 ans dans une poterie artisanale et Artisan créateur indépendant.

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