Nous entrons par l’avant-propos du Comité éditorial, véritable porte d’équerre qui oriente la lecture. Le texte annonce la double respiration du volume, d’un côté la mer pacifique de Ricardo Martínez Esquivel où la sociabilité maçonnique façonne le commerce en civilité, de l’autre la méditation de Jean-Jacques Chauvin où l’inversion des colonnes révèle la mécanique solaire du Rite.

Entre ces deux focales, la revue promet une pédagogie du réel, et tient parole. Elle noue l’histoire des circulations à la métaphysique du seuil, puis confie à la Belgique ses archives vivantes, afin que les Loges – d’Alost à Verviers, d’Anvers à Ypres, de Wavre à Turnhout – gardent mémoire des travaux qui les fondent.

Ricardo Martínez Esquivel nous place au ras des quais de Puntarenas. Nous voyons des listes de navires devenir des généalogies de la modernité et des fraternités marchandes changer des étrangers en voisins. La Loge ouverte au port ne bénit pas les intérêts, elle les transfigure.

Elle transforme la concurrence en émulation, l’exil en voisinage, le gain personnel en prospérité commune. Les crises ne sont pas gommées, les quarantaines, les replis de capitaux, les revers de fortune traversent ces pages, mais une continuité demeure, soutenue par la régularité des travaux et par la parole donnée.

La fraternité apparaît comme l’infrastructure morale de la cité. Elle relie banquiers, capitaines, imprimeurs, médecins, instituteurs, chacun apportant un outil au chantier commun. Nous reconnaissons ici l’équerre et le compas : droiture de l’acte et ouverture de l’accueil. L’étude devient une école civique. Elle enseigne que le contrat a besoin de probité et que la cité a besoin d’une règle tenue.
Jean-Jacques Chauvin déplace ensuite notre regard vers le seuil. Nous nous arrêtons entre Yakin et Boaz, colonnes qui respirent comme des horloges de pierre. L’auteur ne réduit pas l’inversion à une querelle décorative. Il montre, en suivant les gravures anglaises, les sources bibliques et les pratiques rituelles, que le choix des colonnes engage une cosmologie entière. Elles ne sont pas seulement gardiennes d’entrée mais piliers du temps, portant l’arc des solstices et la cadence des saisons. Les Moderns et les Antients ne s’opposent pas par goût d’école mais parce qu’ils lisent deux univers symboliques : l’un marqué par l’architecture ecclésiale occidentalisée, l’autre fidèle à la logique hébraïque et au souffle d’Ézéchiel. Déplacer le regard sans en connaître la clé trouble la musique du monde. Garder la mesure, c’est laisser la marche du Maître s’accorder à la course du soleil. Ainsi toute orientation devient morale. Le Temple n’est pas un décor, mais un instrument de justesse.
Entre la mer et le Temple surgit la figure discrète de Félix Lebossé. Inspecteur des écoles, pédagogue généreux, rédacteur attentif, il incarne cette chaîne d’union silencieuse qui fait tenir une société plus sûrement que les proclamations. À travers lui, nous voyons que l’obédience se grandit quand des serviteurs parlent bas et travaillent long.

Puis s’ouvre la chambre des archives belges où Jean-Michel Dufays déploie une bibliographie semblable à une carte marine. Les villes deviennent des ports : Alost, Anvers, Turnhout, Verviers, Ypres, Wavre. Chaque notice fait entendre la rumeur d’une loge, les bulletins, les annuaires, les mémoires, les monographies patientes. Ce travail n’est pas un inventaire froid, mais une sociabilité de papier qui prolonge la chaîne d’union entre générations. Le dépouillement du registre des Amis Philanthropes à l’Orient de Bruxelles réveille des vies entières, comme celle d’Armand Gaborria, imprimeur, exilé, passeur de rites, reliant Lille, Turin et l’Italie maçonnique. Ces registres prouvent que l’Europe fraternelle se pense aussi depuis ses villes carrefours, où l’industrie rencontre l’étude et où la mémoire nourrit l’avenir.

Trois fidélités s’unissent en une seule. Fidélité au monde qui s’échange, puisque la fraternité n’a de sens que si elle règle les contrats. Fidélité au ciel qui s’incline, puisque la marche initiatique n’existe que si elle consent à la loi des saisons. Fidélité aux archives qui se souviennent, puisque la chaîne d’union se nourrit des mains qui ont écrit avant nous. Nous sortons de cette livraison enrichis d’une méthode : travailler avec droiture et mesure, nommer les choses avec exactitude, laisser aux colonnes leur fonction d’horloge, faire de la bibliothèque une chambre du Temple. Lorsque nous lirons les noms d’Alost, d’Anvers, de Verviers, d’Ypres, de Wavre ou de Turnhout, nous sentirons sous nos pas le plancher d’une maison ancienne qui tient encore parce que des Frères n’ont jamais cessé d’ajuster l’équerre à la parole et le compas à la lumière.

Chroniques d’histoire maçonnique – L’expansion maçonnique dans le monde pacifique : le Costa Rica
Collectif – Institut d’Études et de Recherches Maçonniques
Conform édition, N°95, Printemps-Été 2025, 96 pages, 14 € – port inclus
Conform édition, le site