« Je me tiens au massif et au vraisemblable, évitant les reproches anciens : Les hommes accordent plus de foi à ce qu’ils ne comprennent pas. L’esprit humain est porté à croire plus volontiers les choses obscures »
Montaigne
Préface : Le rêve commence
Je ne suis pas né dans la lumière. Je suis né dans le flou. Entre les livres et les silences, entre les questions qu’on ne pose pas et celles qu’on n’ose pas entendre. Ce texte est un rêve éveillé. Il s’est écrit en marchant à travers les âges, les voix, les vertiges. Je n’ai rien conquis. J’ai tout perdu. Et dans cette perte, j’ai entrevu quelque chose, une lumière qui ne s’impose pas, mais qui attend. Et déjà, un souffle. Infime. Inexplicable. Présent.
Le Passage : Charon et le fleuve sans nom
Charon m’attendait au bord d’un fleuve qui ne figure sur aucune carte. Il ne m’a pas demandé de payer. Il m’a simplement tendu la main.
Ce n’était pas la mort que je traversais. C’était l’oubli du savoir. Nous avons navigué entre les mondes. Chaque rive portait un visage. Chaque escale était un rêve. Et dans le creux de la barque, un souffle. Ni vent, ni voix. Juste une présence qui ne disait rien, mais qui veillait.
Égypte : Le secret et le symbole

Un temple surgit du sable. Immense. Silencieux. Les murs vibraient de signes que je ne comprenais pas. Un prêtre m’apparut, vêtu d’ombre. Il ne m’enseigna rien. « Tu veux voir la lumière ? Alors commence par ne pas la chercher. » Chaque hiéroglyphe semblait me dire : Tu n’es pas là pour comprendre. Tu es là pour te taire. Et dans ce silence, un souffle. Il ne venait pas du vent, mais du dedans. Je sortis du rêve avec une brûlure douce : la lumière ne se lit pas. Elle se devine.
« L’homme sage est celui qui voit avec les yeux du cœur, car les apparences sont des voiles posés sur la vérité. »
Inspiré des enseignements d’Aménémopé
Grèce : Le doute et le dialogue

Athènes résonnait comme une mer de pensées. Socrate m’arrêta sans me parler. Son regard me dénudait. « Tu crois savoir. Mais sais-tu ce que tu crois ? » Platon me montra la caverne. Il ne me demanda pas de sortir. Il me demanda de regarder mes chaînes. Et dans l’ombre de la caverne, un souffle. Il ne brisait pas les chaînes, mais les faisait vibrer. La lumière grecque n’était pas une révélation. C’était une fissure dans le réel. Et dans cette fissure, je me suis mis à penser autrement.
« On croit ce que l’on veut croire. »
Démosthène
Rome : La loi et le marbre
La cité était droite, figée, imposée. Un sénateur m’expliqua la clarté, la loi, le pouvoir. « La lumière est ce qui ordonne le chaos. » Mais dans une ruelle, un mendiant me murmura : « Le marbre est clair, mais il ne respire pas. »
Et dans cette pierre, un souffle retenu. Comme si le monde voulait parler mais n’osait plus. J’ai compris que la lumière peut devenir dogme. Et que le dogme peut devenir prison.

« J’ai trouvé Rome en briques, et je l’ai quittée en marbre. »
Auguste
Kabbale : L’arbre et le vide

Un arbre poussait dans l’âme. Ses racines étaient des questions. Un maître me parla du retrait de Dieu. Et je me sentis vide. Mais ce vide vibrait. « La lumière est dans le manque. Dans le désir. Dans le feu qui ne consume pas. » Et dans ce vide, un souffle. Il ne comblait rien, mais il animait tout. Je ne savais plus qui j’étais. Mais je sentais que ce que je cherchais… me cherchait aussi.
« Le monde que nous voyons n’est que l’ombre d’un monde caché, tissé de lettres, de symboles et de lumière. »
Inspirée des enseignements du Zohar
Maître Eckhart : Le silence et le dépouillement

Un monastère sans murs. Le silence était une mer. Maître Eckhart m’apparut comme une absence. « Ce que tu cherches est ce qui cherche. » Je me suis effacé. Et dans cet effacement, j’ai entrevu une lumière nue, sans forme, sans dogme, sans voix. Et dans ce rien, un souffle. Pur. Dénué. Présent. Il ne disait rien. Il était là.
« L’homme ne doit pas se contenter d’un Dieu qu’il pense, car lorsque la pensée s’évanouit, Dieu s’évanouit aussi. »
Maître Eckhart, Sermons
Spinoza : La joie et la nécessité

Un homme polissait des lentilles comme on caresse l’univers. Spinoza me regarda comme on regarde une étoile. « La lumière est la joie de comprendre. » Je ne comprenais pas tout. Mais je sentais que comprendre n’était pas posséder.
C’était consentir à l’ordre du monde. Et dans cet ordre, un souffle. Clair. Continu. Comme une loi qui respire. Et dans cette respiration, je me suis senti libre.
« Aussi longtemps que l’homme est affecté par l’image d’une chose, il la considère comme présente, même si elle n’existe pas. »
Spinoza, Éthique, Partie II, Proposition 17, Corollaire
Rûmî : Le feu et la danse

Un cercle en feu. Le monde tournait. Rûmî dansait. Et je tournais avec lui. « La lumière est ce qui te brûle sans te détruire. » Je ne savais plus où était le haut, le bas, le moi. Mais je savais que je touchais quelque chose, une ivresse sacrée. Et dans cette ivresse, un souffle. Il tournait avec nous. Il ne guidait pas. Il embrasait.
« Tout l’univers est contenu dans un seul être humain : toi. Tout ce que tu vois autour de toi… est présent en toi à divers degrés. »
Rûmî
Simone Weil : Le poids et la grâce

Une femme regardait le monde sans le juger. Simone Weil me parla doucement. « La lumière est ce qui ne s’impose pas. Elle est ce qui attend. » Je ne savais plus comment prier. Mais j’ai appris à attendre. Et dans cette attente, un souffle. Léger. Suspendu. Comme une grâce qui ne tombe jamais. Et dans cette suspension, j’ai reçu.
« L’enfer est du néant qui a la prétention et donne l’illusion d’être. »
La Pesanteur et la Grâce
Chapitre final I : Le dernier seuil
Je suis revenu. Mais ce n’est pas un retour. C’est une traversée inachevée. Charon m’a déposé sur une rive inconnue. Le fleuve continue de couler en moi.
Le temple m’attendait. Et dans son silence, un souffle. Infime. Inexplicable. Présent. Je l’ai reconnu sans le comprendre. Et peut-être… tu le reconnais aussi.
Je ne suis plus celui qui cherche. Je suis celui qui consent à être traversé. Je ne suis pas éclairé. Je suis éveillé.
Et maintenant, je sais que je ne sais plus.
Chapitre final II : Le seuil partagé
Je marche encore, non pour comprendre, mais pour respirer ce feu sans me consumer, pour laisser le souffle me porter, pour être ce rêve qui ne s’achève jamais.
Et toi, mon Frère, ma Sœur, tu n’as pas quitté ton siège, mais quelque chose en toi s’est mis à respirer autrement. Ce texte n’est pas une fin. C’est ton seuil. Un souffle t’attend.
Et si ce rêve éveillé te semble flou, impalpable, c’est peut-être parce qu’il ne se laisse pas saisir, mais il existe. Il est là, comme une brume qui caresse la peau, comme une présence qui ne s’impose pas mais qui insiste. Ce n’est pas le néant. C’est une matière subtile, réelle, que nous ne savons pas encore nommer.
Épigraphe finale
Le rêve éveillé n’est pas un vide. C’est une présence qui attend d’être reconnue.
Enluminure des mots. Merveilleux article aussi bien de forme que de fond. Merci
Juste magnifique ce voyage et cette recherche permanente de l’Homme à travers le Temps, les époques et les penseurs. Merci
Waouh, waouh, époustouflant car énigmatique. Ce texte, plutôt ce poème vivant retrace non un souvenir contrebalancé par les vissitudes échelonnées d’un voyage initiatique mais plutôt une histoire d’âme touchée par le Souffle Supérieur lui intimant dans dans son souci de complétude inassouvie , la quête de son âme sœur pour une traversée qui pontuera et scellera leur destin commun : la mission divine.
Excellens morceaux choisis et savamment mis en puzzle oar un chef d’orchestre dont le mérite est incontestable.
Monsieur Gérard Lefèvre , merci infiniment pour ce Souffle que vous avez ranimé dans nos cœurs.
Très respectueusement…
Une légèreté possédante que ce texte, Cher Gérard. J’ai mis mes pas derrière vos mots pour m’en parfumer de leur souffle et j’en respire de la joie d’avoir pu les suivre.
Bien fraternellement