mer 05 novembre 2025 - 15:11

Sous le voile des symboles, la leçon de Richard Carlile

Nous effleurons d’abord les contours matériels de cette œuvre, comme nous touchons les arêtes d’une pierre avant d’en approcher le cœur, afin d’ancrer notre méditation dans la réalité tangible qui porte les mystères.

Manual de francmasonería

Le Manual de francmasonería (Manuel de franc-maçonnerie) paraît chez Editorial Masonica.es,  et nous invite à une lecture, en langue castillane, qui ne sépare jamais la lettre et l’esprit, la main qui tourne la page et l’intelligence qui s’éveille.

Le visage de Richard Carlile se dessine alors, non comme une icône lisse, mais comme une trajectoire fervente. Richard Carlile naît en 1790 à Ashburton dans le Devon (Angleterre). Son père change de métiers au gré des nécessités, cordonnier, percepteur, enseignant, soldat, auteur d’un recueil d’adages mathématiques, pris dans des tourments qui mènent à l’abandon familial. Sa mère donne à l’enfance un bain de piété et de rites qui ne s’éteindra jamais tout à fait. Richard Carlile grandit dans les écoles de charité, apprend vite, travaille le fer blanc, subit la pression des machines nouvelles, quitte Portsmouth, rejoint Londres, épouse Jane, fille de cottage du Hampshire, élève trois fils dans une économie rude. Dès 1813, le souffle radical l’emporte.

Thomas Paine

Il vend des pamphlets, puis les édite, diffuse Thomas Paine, écrit, imprime, répond, entre en conflit avec les lois sur le blasphème et la sédition. Les emprisonnements se succèdent. Dorchester devient pour lui, de 1819 à 1825, une cellule et un atelier. Il publie, encouragé par sa famille et par des volontaires, comme si la presse pouvait devenir une lampe à huile dans la nuit. Jusqu’à sa mort en 1843, lorsqu’il décide d’offrir son corps à la dissection afin de rompre un tabou, Richard Carlile tient sa ligne. Nous reconnaissons en lui un éditeur de conscience, un passeur qui veut que la lumière circule dignement, un veilleur qui voit dans la maçonnerie non une rigidité sectaire, mais un véhicule ancien de sagesse, un déisme lucide, une mémoire solaire, une discipline morale et intellectuelle capable d’émanciper l’esprit.

Pour mieux comprendre son manuel, encore fallait-il connaître le parcours de son auteur.

Cette réédition que nous ouvrons porte cette tension entre courage civil et exigence initiatique. Nous y entrons comme dans une Loge. Rien ne cherche l’effet, tout convoque l’exactitude. La narration des degrés ne constitue pas un escalier social, elle ordonne une grammaire de la lumière.

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L’Apprenti se présente dépouillé de métaux, prêt à recevoir la secousse d’un lever de bandeau qui n’humilie pas mais redresse. La Loge se montre à lui comme un monde mesuré par Sagesse, Force et Beauté. Les mots sont des poids, les gestes sont des angles, la marche est un tracé. Nous sentons dans le premier degré l’ouverture d’une vigilance, une manière de regarder, de répondre, de se taire.

Tablier de Compagnon

Le Compagnon accède aux arts libéraux, la géométrie s’impose comme science du monde et du cœur, non comme culte d’une abstraction, mais comme méthode de proportion, d’aplomb, de justesse.

Le Maître traverse la légende d’Hiram Abiff. La mort initiatique n’est pas une scène pour frissonner. Elle mesure le courage, éprouve la fidélité, exige la mémoire. Le relèvement n’est pas un geste théâtral, il devient un engagement intime, une manière de ressusciter à la responsabilité.

Richard Carlile connaît l’ambiguïté de toute divulgation et en fait une ligne de crête. Révéler sans profaner, instruire sans dessécher, partager sans trahir. Les catéchismes, loin d’ériger une clôture, ouvrent un couloir d’air entre mémoire et vigilance. Les tableaux de loge ne sont pas des images de musée, ils travaillent l’esprit comme des opérateurs. La parole que nous disons perdue ne surgit pas comme une trouvaille de cabinet. Elle se cherche dans les ruines, source discrète qui réclame patience et service. Nous lisons alors un livre de gestes et d’attitudes morales, une échelle intérieure où chaque barreau n’existe qu’à la mesure de la conscience qui le foule. Cette sobriété n’est jamais froide. Elle tient de la ferveur retenue. Elle laisse la place au silence, afin que les signes ne retombent pas en cendres.

Richard Carlile

Après tout, au premier degré du Rite Anglais Style Émulation, dans les « questions et réponses que l’apprenti f.m. doit savoir avant son passage au deuxième grade », la question « qu’est-ce que la franc-maçonnerie » reçoit cette réponse « un système particulier de morale enseigné sous le voile de l’allégorie et illustré par des symboles ». Selon les Anglais, la Maçonnerie n’est que cela, rien que cela, mais tout cela, loin des discours pseudo philosophiques où certains se prennent pour des philosophes en accumulant quelques citations dans leurs planches, discours, allocutions ou autres morceaux d’architecture…

Lorsque le chemin nous mène vers d’autres architectures, la Tau et la Croix entrent en conversation. Elles ne sont pas opposées, elles se répondent. L’une dit la vie conservée, l’autre la construction assumée. Les degrés de Marque engagent notre responsabilité, ils rappellent que signer son œuvre ne relève pas de la vanité, mais d’un devoir envers la communauté de travail. Le Royal Arch récapitule, rassemble, tient ensemble l’histoire sacrée et l’alchimie intérieure. Nous y percevons la voûte qui fait retour sur les pas, les épreuves, les relances, et nous rappelle que la connaissance se disperse si elle ne s’ordonne pas à une unité plus haute. Les chapitres chevaleresques n’excitent pas un imaginaire de croisade, ils le transfigurent. Protéger le pèlerin revient à prendre soin de l’âme en marche. Les signes d’ordre deviennent autant d’exigences de vigilance, d’attention, de tempérance.

Manual de francmasoneria

Nous avançons ainsi dans une cartographie de fidélités. Le Maître Secret et le Maître Parfait donnent une profondeur aux sentiments de deuil et de régénération, ils enseignent la discrétion comme vertu active, ils renvoient aux ministères de la parole juste et du silence utile.

L’Intendant du Bâtiment rappelle que servir l’ouvrage implique de tenir l’équilibre intérieur, cinq points pour une harmonie, autant de repères pour ne pas se perdre. Les Élus des Neuf pensent la justice sans vengeance aveugle. Les Noachites méditent l’humilité devant la confusion des langues. Les ordres orientés vers Babylone et vers l’Orient figurent la libération des captifs, c’est à dire la délivrance de ce qui, en nous, restait prisonnier. Enfin l’aigle blanc et le pélican, puis la rose et la croix, couronnent un voyage où le sacrifice devient charité active et où la résurrection cesse d’être une image pour devenir un style de vie. Rien ici ne se pose en doctrine close. Tout respire comme une méthode.

La biographie de Richard Carlile se fond dans la texture du livre. Les rééditions de Thomas Paine, les colonnes du Republican, l’Address to the Reformers, l’acharnement à publier malgré l’enfermement, tout cela donne au Manuel une tenue singulière. Nous n’entendons pas un compilateur froid, nous écoutons un travailleur de presses qui sait la valeur d’un mot juste prononcé au bon moment. Nous savons que certaines éditions connurent des feuillets scellés. Ce détail, qui pourrait paraître anecdotique, porte une leçon. Le secret n’est pas une rétention jalouse. Il est ajustement de la parole à la maturité de l’écoute. Cette délicatesse fait loi, et nous touche. Elle protège la flamme afin qu’elle éclaire sans brûler.

Le mérite de Richard Carlile n’est pas d’avoir arraché un voile, il est d’avoir rappelé que l’initiation ne se confond pas avec une énigme. Ainsi le Manual de francmasonería se tient pour nous comme une pierre d’angle. Il nous aide à conjuguer tradition et liberté, fidélité et recherche, mémoire et espérance, et à faire de la lumière non un éclat qui aveugle, mais une constance qui oriente.

MASONICA EDITORIAL

Manuel de franc-maçonnerie

Richard Carlile Introduction Dr. David Harrison / Editorial Masonica, coll. Textes historiques et classiques, 2025, 454 pages, 24,99 €

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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