mar 07 octobre 2025 - 13:10

La Cène, un repas de fête juive

Le banquet d’ordre annuel du Souverain Chapitre doit avoir lieu le jeudi précédant le dimanche de Pâques. Autrement dit le « Jeudi Saint », qui rappelle le jour précédent la mort du Christ, dans la tradition Chrétienne. En fait, Le dernier Repas de Jésus , la veille de sa passion était un « Séder de Pessa’h », un repas de fête juive pascale qu’en tant que juif pratiquant Jésus n’aurait pas manqué de célébrer.

Selon Esdras 6,19, c’est en 515 avant notre ère (soit 72 ans après sa destruction) que la première fête de Pâque est célébrée selon le rituel propre au Temple reconstruit.
La fête de Pâque est décrite par les témoignages de deux ordres :

  • D’une part, le livre des Jubilés (pseudépigraphe attribué à Moïse)  nous propose une relecture des récits du Pentateuque depuis les patriarches jusqu’à l’instauration de la fête de Pâque.
  • D’autre part, certains récits de la Mishna (troisième de l’ordre Moëd) nous rapportent aussi des échos de la manière dont se célébrait Pâque à Jérusalem au temps de Jésus.

Le dernier repas de Jésus est évoqué dans les textes canoniques : l’Évangile  de Mathieu 26, l’Évangile  de Marc 14, l’Évangile  de Luc 22.
Mais c’est dans l’Évangile de Jean à partir du chapitre 13 que l’on trouve des détails de la narration de la Cène où les paroles de Jésus sont rapportées dont son nouveau commandement « Aimez-vous les uns les autres » qui revient en leitmotiv.

Contrairement aux autres Évangiles, aucune mention  de ce que deviendra l’eucharistie n’y est mentionnée, bien que dans le chapitre 6 Jean fait dire à Jésus « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel ».

Cet Évangile est le seul à évoquer la scène du lavement des pieds de Pierre par Jésus durant la Cène.

Édouard Schuré, dans son ouvrage Jésus, le dernier grand initié  en retient :
« Les douze [Barthélemy, Jacques le Mineur, André, Judas, Pierre, Jean, Thomas, Jacques le Majeur, Philippe, Matthieu, Thaddée, Simon.], formant treize avec le Maître, s’étaient réunis dans la chambre haute d’une maison de Jérusalem. L’ami inconnu, hôte de Jésus, avait recouvert le sol d’un riche tapis.  À la manière orientale, le Maître et ses disciples étaient allongés sur quatre grands divans en forme de triclinium disposés autour de la table.

Lorsque l’agneau pascal et le calice d’or prêté par l’ami furent apportés dans la pièce, et les vases remplis de vin, Jésus, assis entre Jean et Pierre, dit : « J’ai désiré ardemment manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Car, je vous le dis, je n’en mangerai plus jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. » 1

Alors leurs visages s’assombrirent : le silence emplit l’air. « Le disciple que Jésus aimait », qui seul devinait tout, inclina la tête sur la poitrine du Maître. Comme c’était la coutume chez les Juifs au repas de Pâques, pas un mot ne fut prononcé tandis qu’ils mangeaient les herbes amères et le charoset placés devant eux. Finalement, Jésus prit du pain et, après avoir rendu grâces, le rompit et le leur distribua en disant :

« Ceci est mon corps, donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » Il prit aussi la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, versé pour vous. » 

Cène de Fidèle Patritti sur le décor du chœur de la chapelle des pénitents blancs (Saint-Sébastien)


Parmi les initiés, en Égypte et en Chaldée, comme chez les prophètes et les Esséniens, l’agapè fraternelle marquait la première étape de l’initiation. La communion, sous l’élément du pain, fruit de la gerbe, signifiait la connaissance des mystères de la vie terrestre, ainsi que le partage des bienfaits terrestres, et par conséquent l’union parfaite des frères affiliés.

À un degré supérieur, la communion sous l’élément du vin, sang de la vigne, pénétré de part en part par le soleil, signifiait le partage des bienfaits célestes, une participation aux mystères spirituels et à la science divine. En léguant ces symboles aux apôtres, Jésus en a élargi le sens. Par eux, il étend à l’humanité entière la fraternité et l’initiation, autrefois réservées à quelques-uns. Il y ajoute le plus profond des mystères, la plus grande des forces : celui de son propre sacrifice. Il le convertit en une chaîne d’amour invisible mais indestructible entre lui et ses disciples.

Elle donnera à son âme glorifiée un pouvoir divin sur leurs cœurs, comme sur ceux de tous les hommes. Cette coupe de vérité venue des temps prophétiques lointains, ce calice d’or de l’initiation que le vieil Essénien lui avait offert en l’appelant prophète, ce calice d’amour céleste que les Fils de Dieu lui avaient offert dans l’extase de son plus haut ravissement – ​​cette coupe où il voit maintenant son propre sang se refléter – il la remet maintenant à ses disciples bien-aimés avec l’ineffable tendresse d’un dernier adieu.

Ce texte présente clairement la Cène comme un repas de Pâque juive, en identifiant plusieurs de ses éléments distinctifs

Le cadre du repas : Le texte situe le repas dans une « chambre haute d’une maison de Jérusalem ». Il mentionne également que le Maître et ses disciples étaient « allongés sur quatre grands divans en forme de triclinium ». Cette posture allongée (accoudée) est une coutume distinctive du Seder de Pessah, symbolisant la liberté.

L’agneau pascal : L’un des éléments centraux du Seder de Pessah est le sacrifice et la consommation de l’agneau pascal. L’agneau est l’animal sacrificiel par excellence. Il symbolise l’innocence, la douceur, la pureté. Le sacrifice d’un agneau pour apaiser la colère divine ou fêter le renouveau de la nature est, sans doute, l’un des rares rites antiques qui se soit perpétué jusqu’à aujourd’hui : il est présent dans la Pâque juive, comme dans les Pâques chrétiennes et le Ramadan musulman.


En alchimie, il représente la pierre philosophale, la matière tellement purifiée qu’elle laisse passer la lumière. C’est aussi un des noms de la matière que les vrais Chymistes emploient pour faire la pierre Philosophale. Quand cette matière a passé par les différentes préparations requises pour la purifier de ses parties hétérogènes, on lui donne quelquefois le nom d’agneau sans tache, agnus immaculatus.

Le texte de Schuré indique que « l’agneau pascal… fut apporté dans la pièce », confirmant la nature du repas. Présent à de nombreuses reprises dans l’Ancien Testament, l’agneau, animal fragile et innocent, ne prendra pleinement sa force symbolique qu’avec le Nouveau Testament. Victime pascale par excellence, il représente en images, comme en message, le sacrifice ultime du Christ pour la rédemption des hommes.
Voir l’article Le bestiaire de la Bible : l’incroyable force symbolique de l’Agneau

Les herbes amères et le charoset : Ces deux mets sont essentiels au Seder. Les « herbes amères » (maror) symbolisent l’amertume de l’esclavage en Égypte, et le charoset (une pâte de fruits, noix et vin) rappelle le mortier utilisé par les esclaves hébreux. Le texte de Schuré explicite qu’ils mangeaient « les herbes amères et le charoset placés devant eux ».

Le pain : Le mot pain est issu du latin panis, dérivé du sanscrit , nourrir. Il est étroitement associé à la symbolique du blé.
Vers 1850-1800 avant J.-C., les premières récits bibliques évoquant le pain sont mentionnées dans la Genèse 3,19 lorsque Adam fut chassé du jardin d’Eden, il lui est dit :

« C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre d’où tu as été pris. »

C’est au cours de la civilisation sumérienne (5000 à 2230 av. J.-C.) que remonte l’écrit le plus ancien concernant la fabrication  du pain levé. à Sumer, les boulangeries étaient rattachées aux temples ; là, étaient préparés les gâteaux utilisés pour les rituels du temple. Selon l’historien George Contenau, ces boulangers «préparaient les gâteaux sacrés que les dévots de la déesse Ishtar [l’Inanna babylonienne] émiettaient et laissaient pour ses colombes». Le grain était considéré comme la personnification d’Inanna et la farine était une substance sacrée tirée de son corps.

L’Égypte avait assimilé le pain et le blé avec la lumière, les cycles de vies et l’éternité. Ainsi, manger le pain consistait à se nourrir du mystère universel, du triomphe de la vie sur les forces destructrices de la mort. Une inscription des pyramides déclare qu’en mangeant du pain, un défunt «avale l’esprit, avale le savoir et l’intelligence du dieu». 

Pour les Grecs, le pain et le vin sont les signes d’une existence libérée de la sauvagerie. La « vie au blé moulu », supposant la domestication de la terre et l’organisation du temps et des saisons, est ainsi complémentaire de la maîtrise des forces obscures que représentent les puissances d’ivresse et de folie. L’épi est pour le pain ce que le raisin est pour le vin. L’un et l’autre constituent les conditions d’un équilibre (toujours précaire) de civilisation. 
Dans la Grèce antique, le premier repas du jour consistait en pain et vin pur, l’akratisme.
Lors des cultes de Mithra, on pense qu’il y avait un repas avec le partage du pain, de l’eau et du vin. 

Le pain et le vin sont à la fois des aliments terrestres et de nature divine. C’est la quintessence des biens de la terre, offerts à l’homme qui les reçoit et qui, en compensation, honorera ses dieux et plus tard son Dieu, par ses offrandes. Dans sa longue histoire, jusqu’au XVIIIe siècle, le pain, l’aliment de base, était le symbole du sacré, de l’espoir, de la justice et de la stabilité.

Au Seder, le pain non levé (matza) est consommé. Le texte mentionne que Jésus « prit du pain et, après avoir rendu grâces, le rompit et le leur distribua ». Bien que le type de pain ne soit pas explicitement précisé comme étant de la matza, le contexte du repas de Pâque juive implique qu’il s’agissait de pain azyme. Ce geste de rompre le pain est une tradition juive, mais Jésus lui donne une nouvelle signification en disant :

« Ceci est mon corps, donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi ».

Le vin et la coupe : Le vin est abondamment consommé durant le Seder, avec plusieurs coupes rituelles. Le texte mentionne des « vases remplis de vin » et un « calice d’or ». Jésus prend « la coupe » et, de manière similaire au pain, lui attribue un sens nouveau : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, versé pour vous ». Le texte ajoute que cette « coupe de vérité », « calice d’amour céleste », est remise à ses disciples comme un adieu.

Selon la Bible, la vigne, sinon le vin, existait déjà dans le paradis terrestre, car, on nous dit
qu’après avoir commis le péché, Adam est nu et, pour cacher sa nudité, il n’a utilisé aucune feuille de quel que soit l’arbre, sinon des feuilles de vigne. Le vin est pour les Hébreux le symbole du mystère, de la vie en Dieu, de la joie et de l’amour. Il est utilisé quotidiennement dans la liturgie, dans les sacrifices et dans les libations. Lors de la construction du temple de Jérusalem, le vin était la récompense des ouvriers.

Il est prouvé que le vin existe depuis la préhistoire ; sa fabrication était quelque peu rudimentaire : les grappes étaient simplement pressées avec les pieds et mises à fermenter dans de grandes cuves. Le vin contenait encore les restes des raisins; il était versé à l’aide de récipients à long bec tubulaire qui servaient à la décantation ou encore d’entonnoirs.

Le pressurage a été fait dans les vignes elles-mêmes. Puis, après avoir foulé les raisins, le moût obtenu était transféré dans de grandes jarres à parois minces dont la base se terminait en pointe pour pouvoir être enfoncées dans le sol. Pour apprécier Le mystère du vin, lire l’ouvrage éponyme de 1981 de Louis Charpentier, et l’article de Yonnel Ghernaouti La symbolique du vin, en ce 3e jeudi de novembre…

À remarquer que l’alcool éthylique que contient le vin -ce qui le différencie du jus de raisin- a pour formule chimique C2H5OH, formé de 26 électrons : 12 de Carbone (6×2) + 5 d’hydrogène (5×1) + 8 d’Oxygène (8×1) + 1 hydrogène. Bénir avec du vin, c’est bénir avec le tétragramme (car 26 est une des ses valeurs guématriques la plus communément utilisée).

Le silence : Le texte note que « pas un mot ne fut prononcé tandis qu’ils mangeaient les herbes amères et le charoset ». Bien que le Seder ne soit pas entièrement silencieux, certains moments sont marqués par la solennité et le recueillement, en particulier pendant la consommation de certains éléments rituels.

Seul le silence est propre à exalter la joie du cœur et de l’esprit. Le silence est amour (aleph est la première lettre du mot אוהב, amour), lettre qui ayant laissé place au beth du commencement, marque le retrait volontaire de soi pour laisser place à l´altérité des voyelles et des autres lettres qui viennent lui donner corps. La particularité essentielle de la lettre «Aléf» (א) est qu’elle est la seule des 22 Lettres de l’Alphabet sacré hébreu qui s’écrit mais ne se prononce pas, un silence autour duquel s‘organise le Verbe créateur. Voilà pourquoi, le silence est la Parole des sages, c’est en lui que tout s’élabore et que l’homme y redécouvre l’essentiel ; la Sagesse intérieure.

La spiritualité non visible et non prononçable des vérités cachées mais bien présentes dans ce monde s’expriment subtilement à travers cet aleph, qui semble pouvoir rehausser la qualité de tous nos actes les plus matériels.

Cependant, le texte de Schuré met un accent particulier sur la recontextualisation et l’élargissement du sens de ces symboles par Jésus. Là où l’agapè fraternelle et la communion (pain pour les mystères de la vie terrestre, vin pour les mystères spirituels) étaient déjà des étapes initiatiques chez les Esséniens, les prophètes, en Égypte et en Chaldée, Jésus « élargit le sens » de ces symboles.

Jésus étend la fraternité et l’initiation à l’humanité entière, et y ajoute le « mystère » et la « force » de son propre sacrifice, transformant cette communion en une « chaîne d’amour invisible mais indestructible » entre lui et ses disciples.

Illustration de l’article : La Cène par Giorgio Vasari, 1545

2 Commentaires

  1. Rappel historique sur les origines de la Cène au Proche-Orient ancien :
    Quelle que fût la réelle histoire du conflit avec des tribus en terre de Canaan, les Amorrites présentèrent Abraham au roi de Salem (Genèse XIV : 18).
    Melkitsédeq était un roi cananéen. Prêtre d’El, considéré en Canaan comme le dieu suprême (El-Elyon : du dieu très haut).
    Il faut songer à Melkitsédeq comme le dit l’apôtre Paul : « sans père, sans mère, sans génération (Epître aux Hébreux VII : 3-12. »
    Le cardinal Jean Daniélou le définit comme le prêtre de cette religion première de Canaan, qui n’est pas limitée à Israël, mais embrasse tous les peuples. Il n’offre pas le sacrifice dans le temple de Jérusalem, mais le monde entier est le temple d’où montent l’encens et la prière (Jean Daniélou : Le signe du Temple, 2009).
    Dans le principe de la sagesse humaine, Melkitsédeq, Prêtre du Très-Haut, effectue la jonction symbolique entre la nature, la grâce et l’énergie. Cette énergie universelle est l’essence même du Créateur. De cette fructueuse rencontre, Abraham a reçu un véritable baptême par Melkitsédeq (Psaume 110 : 4-14).
    Le roi d’Urushalim (ville du soleil couchant divinisé) a fait sortir le pain et le vin, léhem et yayin, en hébreu. Ils constituent ce que le christianisme appelle l’Eucharistie : le corps et le sang de Jésus de Nazareth (Epître aux Hébreux VI : 19-16).
    De la terre de Canaan s’est élevé un personnage aussi grand qu’Abraham, un roi de justice et de paix, un pontife du Très-Haut, figure prophétique.
    Son nom, ses actes et son histoire demeurent scellés pour l’éternité.
    Parmi les personnages trop nombreux auxquels l’histoire n’a pas toujours rendu justice, Melkitsédeq (son nom signifie mon roi est juste) est de ceux qui méritent un rappel historique.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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