mer 03 septembre 2025 - 09:09

L’énigme des Maîtres – Les mains de l’éternité 

Alors allons plus loin, car L’énigme des Maîtres – Les mains de l’éternité appelle à un décryptage où le récit romanesque se métamorphose en miroir initiatique.
La main en est le signe central, non comme un organe utilitaire, mais comme un langage sacré. Dans la tradition maçonnique, elle est vecteur de reconnaissance, sceau du serment, outil de transformation. Ouvrir la main, c’est manifester la lumière ; fermer le poing, c’est retenir la force.

Dans ce roman, la main se fait indice, énigme et symbole, écho des gestes qui dans nos rituels deviennent langage de l’âme, mais aussi avertissement que tout signe peut être détourné, falsifié ou enfermé dans un simulacre.

L'énigme des Maîtres – Les mains de l'éternité
L’énigme des Maîtres – Les mains de l’éternité

La fresque de la chapelle Sixtine, dans les Musées du Vatican à Rome,surgit en filigrane. Ce chef-d’œuvre de Michel-Ange, peint entre 1508 et 1512 et inauguré par Jules II le 31 octobre 1512, commence par « La Séparation de la lumière et des ténèbres » et culmine dans la célèbre « Création d’Adam ». Tout le cheminement est déjà là : l’acte premier qui dissipe les ombres pour faire naître la clarté, puis le geste suspendu où le doigt de Dieu s’approche de celui de l’homme sans le toucher, laissant vibrer dans l’espace infime qui les sépare l’étincelle de la vie.

Dans cet interstice se tient le mystère… distance infranchissable et promesse d’union, souffle de l’éternité traversant la finitude humaine. C’est ce passage de l’ombre à la lumière, de l’inertie à la conscience, que le roman nous invite à méditer à travers le langage de la main. Les auteurs s’inscrivent dans ce sillage : leurs personnages scrutent des portraits où la main trahit un détail étrange, mais c’est en réalité la question plus vaste qui s’impose – comment, dans l’immobilité d’un geste pictural, se cache le mouvement même de la vie et de l’esprit.

Portrait d’Isaac Newton âgé de 46 ans par Godfrey Kneller (1689).
Portrait d’Isaac Newton âgé de 46 ans par Godfrey Kneller (1689).

Le roman met ainsi en scène une chaîne d’universalité où se croisent savants, peintres et chercheurs de vérité. Comme dans nos rituels, où la chaîne d’union relie chaque frère dans une ronde invisible, un signe cryptique relie Isaac Newton (1642-1727) – mathématicien, physicien, philosophe, alchimiste, astronome et théologien – à d’autres figures savantes, unissant les générations par une main inscrite dans la toile. Nous sommes renvoyés à la conviction maçonnique qu’il existe un langage caché, universel, qui traverse les civilisations et s’offre seulement à celui qui a appris à regarder avec l’œil intérieur.

Ce langage de la main n’est pas seulement biblique ou artistique, il est aussi alchimique. L’annulaire, doigt solaire, celui de l’alliance et de l’éternité, et le majeur, doigt de Saturne, gardien du temps, s’unissent dans une tension entre matière et esprit, temporalité et infinitude. Le geste devient sceau hermétique, rappel que l’initiation consiste à unir les contraires sans les confondre.

Dans la dramaturgie initiatique de l’ouvrage, les flammes qui consument le portrait de John Toland rejouent nos méditations sur le feu purificateur. Détruire une toile est à la fois barbarie et rituel pervers de purification. Cette scène reflète le mythe du bûcher des hérétiques mais aussi le Cabinet de Réflexion où nous méditons sur la mort et la dissolution. L’assemblée cagoulée qui célèbre cette destruction apparaît comme une parodie diabolique de la Loge : mêmes codes, mêmes gestes, mais détournés vers la haine plutôt que vers la fraternité. Là se trouve la leçon : discerner le vrai rituel du simulacre, la main qui bénit de la main qui détruit.

L'énigme des Maîtres – Les mains de l'éternité
L’énigme des Maîtres – Les mains de l’éternité

La figure d’Isaac Newton, omniprésente, prend une dimension initiatique. Savant universel, mais aussi passionné d’alchimie, de cabale et de prophéties bibliques, il incarne le lien entre science et sagesse. Derrière le Newton académique se profile le Newton hermétiste, cherchant dans la géométrie des temples et dans la proportion des astres une clé de salut. Ainsi le roman rejoint l’intuition maçonnique : la science véritable n’est pas accumulation mais voie, passage entre les nombres et l’esprit. Chaque portrait de Newton, chaque main tendue ou posée, devient une station sur ce cheminement.

Lords, conservateurs, enquêteurs, galeristes gravitent autour de ce mystère comme nous autour de l’Orient de nos temples. Chacun incarne un aspect de la quête : mémoire, vigilance, curiosité, transmission. Mais le lecteur est convié à devenir l’interprète ultime. C’est à nous de transformer ces indices en lumière, de faire de ce roman un miroir de notre propre itinéraire initiatique.

Il faut rappeler que ce récit naquit dans le rythme envoûtant du feuilleton, publié sur 450.fm tout au long du premier semestre 2025. Le premier épisode, « Les portraits énigmatiques », parut le 12 janvier ; l’épilogue, le 29 juin, vint clore cette fresque en fragments, dans l’attente et la ferveur des lecteurs. Comme au XIXe siècle avec les Mystères de Paris ou le Comte de Monte-Cristo, le roman sut tenir en haleine par la lente révélation de son mystère. La réunion de ces épisodes en volume prolonge cette tradition et incarne un geste initiatique : du fragment à l’unité, de l’attente à la révélation.

Solange Sudarskis
Solange Sudarskis

La force de l’œuvre tient aussi à l’alliance féconde de ses deux auteurs. Solange Sudarskis, plume familière des lecteurs de 450.fm, a signé plus de deux cents chroniques, poursuivant inlassablement son œuvre de transmission maçonnique et spirituelle. Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques, initiée au Droit Humain en 1977 et membre fondatrice de la loge « L’Arbre de Liberté », elle fut récompensée par le Prix littéraire de l’Institut Maçonnique de France (IMF) en 2017 pour son Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique (Dervy, 2017).

Frédéric Béatrix
Frédéric BÉATRIX, photo © Emmanuelle Marty

À ses côtés, Frédéric Béatrix, architecte diplômé de l’INSA de Strasbourg et fondateur de BLUE architecture, poursuit une recherche passionnée sur la géométrie antique et la philosophie pythagoricienne, publiant dans Parabola à Sydney. Son ouvrage Le tracé primordial ou La géométrie secrète des bâtisseurs (Dervy, 2024) atteste combien la géométrie est pour lui un langage de l’âme.

Leur rencontre donne à ce roman une résonance singulière : le tracé y devient quête, et la main, loin d’être immobile, se fait sceau vibrant, messagère silencieuse d’un langage intemporel.
Ainsi, la lecture de L’énigme des Maîtres ne se réduit pas à une intrigue haletante : elle nous initie à une méditation sur le signe, le geste et la main. Elle nous rappelle que la véritable énigme des Maîtres n’est pas tant dans les toiles volées que dans notre capacité à reconnaître, à travers les siècles, la main invisible qui nous conduit. Et cette main, qu’elle surgisse de la Sixtine ou des portraits de Newton, n’est autre que celle de l’éternité, nous invitant à unir en nous-mêmes le temps et l’esprit, la matière et la lumière.

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L’énigme des Maîtres – Les mains de l’éternité 

Solange Sudarskis – Frédéric Beatrix

Éditions L.O.L., 2025, 254 pages, 18,50 €

Éditions L.O.L., le site

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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