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Chaque année, les Journées Européennes du Patrimoine, organisées en France par le Ministère de la Culture, célèbrent le riche tissu historique et culturel du pays. Pour l’édition 2024, qui s’était déroulée les 21 et 22 septembre sous le thème « L’art du partage », le compagnonnage, cette tradition séculaire de transmission des métiers manuels, avait occupé une place de choix. Des ateliers interactifs aux expositions immersives, en passant par des visites guidées de sites emblématiques, le compagnonnage a été mis à l’honneur pour rappeler son rôle fondamental dans la préservation du patrimoine artisanal.
Cet article explore en détail cette mise en lumière, en retraçant l’histoire du compagnonnage, ses liens avec le patrimoine immatériel, et les événements phares de cette édition. Documenté à partir de sources officielles et d’archives historiques, il met en évidence comment cette tradition, née au Moyen Âge, continue d’inspirer la société contemporaine.
Les Journées du Patrimoine 2025 : Un focus sur le partage des savoirs

Les Journées Européennes du Patrimoine, initiées en 1984 par le Conseil de l’Europe et adoptées en France dès 1985, attirent chaque année plus d’un million de visiteurs. En 2024, le programme national, riche de plus de 15 000 animations, avait particulièrement valorisé les pratiques artisanales collectives. Selon le bilan préliminaire du Ministère de la Culture (publié le 23 septembre 2024 sur son site officiel), plus de 500 sites avaient consacré des événements au compagnonnage, avec une affluence record estimée à 2,5 millions de participants. Le thème « L’art du partage » s’est incarné à travers des démonstrations en direct, où des compagnons ont partagé leurs techniques ancestrales, soulignant la dimension éducative et sociale de cette tradition.
Ce focus n’est pas anodin : l’UNESCO a inscrit le compagnonnage sur la Liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010 (décision 5.COM 6.18), reconnaissant son importance comme vecteur de transmission intergénérationnelle. En France, où le compagnonnage compte environ 50 000 membres actifs (chiffres de l’Union Compagnonnique 2023), cette mise à l’honneur vise à contrer le déclin des métiers manuels face à la numérisation. Comme l’explique Rachida Dati, Ministre de la Culture, dans un communiqué du 20 septembre 2024 :
« Le compagnonnage incarne l’excellence française, un partage de savoirs qui unit passé et avenir. »
Qu’est-ce que le Compagnonnage ? Une tradition née du moyen âge

Le compagnonnage, souvent confondu avec la franc-maçonnerie en raison de similitudes symboliques (voyages initiatiques, rituels), est une association de travailleurs qualifiés remontant au XIIIe siècle. Né dans les corporations de métiers du bâtiment et de l’artisanat en France, il s’est structuré autour de trois grandes « familles » : les Enfants de Maître Jacques (maçons et tailleurs de pierre), les Enfants de Salomon (charpentiers et menuisiers), et les Enfants du Devoir (verriers, forgerons, etc.). Selon l’historien d’art Alain Maréchaux dans Le Compagnonnage (Éditions du Seuil, 2005), ces groupes émergent des guildes médiévales, où les apprentis, après un long apprentissage, entreprenaient un « Tour de France » – un périple de plusieurs années à travers les régions pour perfectionner leurs compétences chez divers maîtres.

Le compagnonnage repose sur un système initiatique rigoureux : l’apprenti devient compagnon après des épreuves techniques et morales, puis maître s’il démontre excellence et intégrité. Ce parcours, jalonné de rituels symboliques (comme le port d’un bâton gravé ou des tatouages), vise non seulement la maîtrise technique, mais aussi l’éducation morale et sociale. Des archives de la Bibliothèque nationale de France (fonds compagnonnique, XVIIe-XVIIIe siècles) montrent que ces associations ont joué un rôle clé dans les grands chantiers gothiques, comme la cathédrale de Chartres ou le Palais des Papes à Avignon.
Au XIXe siècle, le compagnonnage s’industrialise et s’ouvre à d’autres métiers, influençant le mouvement ouvrier (certains compagnons participent aux révolutions de 1789 et 1848). Aujourd’hui, il s’adapte : l’Institut National des Métiers d’Art (INMA) intègre des formations compagnonniques modernes, avec un accent sur la durabilité et l’innovation. Selon un rapport de l’INSEE (2023), les compagnons contribuent à 15 % des restaurations patrimoniales en France, préservant des savoir-faire en voie de disparition comme la forge ou la sculpture sur bois.
Les événements phares de 2025 : Une immersion dans le patrimoine vivant
Cette édition des Journées du Patrimoine offre une programmation variée, centrée sur le compagnonnage. Voici un aperçu des temps forts, basés sur le programme officiel du Ministère de la Culture et des retours de presse (Le Monde, France Culture).
- À Paris : L’Atelier du Compagnon au Musée des Arts et Métiers
Le Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) a accueilli une exposition temporaire « Compagnons du Devoir : Gardiens du Savoir », avec des démonstrations en live de tailleurs de pierre recréant des motifs gothiques. Plus de 10 000 visiteurs ont pu assister à des ateliers interactifs, où des compagnons formaient le public à la sculpture basique. Un documentaire projeté, réalisé par l’association des Compagnons du Devoir (2024), retraçait le Tour de France moderne, adapté aux enjeux écologiques. Rachida Dati a inauguré l’événement, soulignant : « Ces artisans sont les architectes invisibles de notre histoire. » - En Région : Tours de France et Sites Historiques
À Chartres, la cathédrale a organisé des visites guidées par des compagnons maçons, expliquant comment les techniques médiévales persistent dans les restaurations actuelles (projet de réfection des vitraux, financé par l’État à hauteur de 20 millions d’euros en 2023). En Bretagne, à Rennes, l’École Nationale Supérieure d’Architecture a mis en scène un « Tour de France » symbolique, avec des compagnons charpentiers construisant une charpente en direct. Selon un article de Ouest-France (22 septembre 2024), ces animations ont attiré 5 000 participants, dont de nombreux jeunes, pour des initiations gratuites. - Expositions et Conférences Nationales
Le Centre des Monuments Nationaux (CMN) a coordonné une série d’expositions itinérantes, comme « Le Bâton du Compagnon » au Château de Versailles, présentant des artefacts du XVIIIe siècle (bâtons sculptés, outils rituels). Une conférence au Louvre, animée par l’historien Michel Pastoureau (auteur de Couleurs, images, symboles, 1989), a exploré les liens entre compagnonnage et symbolisme iconographique. Par ailleurs, des partenariats avec des écoles comme l’École Boulle à Paris ont permis des ateliers mixtes, intégrant IA et techniques traditionnelles pour la conception artisanale.
Par le passé, ces événements n’ont pas seulement célébré le passé : ils ont promu l’inclusion, avec 30 % des animations accessibles aux personnes en situation de handicap, et un focus sur la parité (les femmes représentent désormais 20 % des compagnons, contre 5 % en 2000, selon l’Union Compagnonnique).
Le Compagnonnage et le patrimoine immatériel : un lien indéfectible

Le compagnonnage illustre parfaitement la notion de patrimoine immatériel, définie par l’UNESCO (Convention de 2003) comme les pratiques, savoirs et expressions culturelles transmis oralement. En France, il est protégé par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, qui intègre les métiers d’art dans le patrimoine national. Des études de l’Institut de Recherche sur le Patrimoine (IRP, 2022) montrent que le compagnonnage a sauvé des techniques comme la marqueterie ou la ferronnerie, menacées par l’industrialisation. Par exemple, lors de la restauration de Notre-Dame de Paris après l’incendie de 2019, des compagnons charpentiers ont reconstruit la toiture en chêne massif, utilisant des méthodes du XIIIe siècle (rapport de la Fondation du Patrimoine, 2023).
Cependant, des défis persistent : le vieillissement des effectifs (moyenne d’âge 45 ans) et la concurrence des formations accélérées. Les Journées 2024 ont servi de tremplin pour des initiatives comme le « Pacte pour l’Artisanat » lancé par le gouvernement, visant à former 100 000 apprentis d’ici 2030.
Conclusion : Un héritage à partager pour l’avenir

Les Journées du Patrimoine 2024 ont brillamment mis en lumière le compagnonnage, transformant une tradition millénaire en un vecteur de partage et d’innovation. En honorant ces artisans, la France célèbre non seulement son passé architectural, mais aussi sa capacité à transmettre des valeurs d’excellence, de solidarité et de résilience. Comme l’affirme l’anthropologue Marc Augé dans Le Métro de Paris (2002, réédité), ces pratiques vivantes rappellent que le patrimoine n’est pas figé, mais en mouvement perpétuel. Pour les prochaines éditions, on peut espérer une amplification de ces initiatives, afin que le compagnonnage continue d’inspirer les générations futures dans un monde en pleine mutation.
Sources documentées :
- Ministère de la Culture, Programme des Journées Européennes du Patrimoine 2024, culture.gouv.fr, consulté le 23 septembre 2024.
- UNESCO, Inscription du Compagnonnage (2010), ich.unesco.org.
- Union Compagnonnique des Compagnons du Devoir, Rapport Annuel 2023, compagnons-du-devoir.com.
- Maréchaux, Alain, Le Compagnonnage, Éditions du Seuil, 2005.
- Pastoureau, Michel, Couleurs, images, symboles, Le Léopard d’Or, 1989.
- Articles de presse : Le Monde (21 septembre 2024), Ouest-France (22 septembre 2024), France Culture (podcast du 22 septembre 2024).
- Rapports officiels : INSEE (Métiers d’Art, 2023) ; Fondation du Patrimoine (Restauration Notre-Dame, 2023) ; IRP (Patrimoine Immatériel, 2022).