lun 11 août 2025 - 18:08

Le Pharmakos et la Franc-maçonnerie : une exploration symbolique et philosophique

Le concept de pharmakos, issu de la Grèce antique, et la Franc-maçonnerie, avec ses rituels et son symbolisme, peuvent sembler à première vue éloignés. Pourtant, une analyse approfondie révèle des parallèles fascinants entre ces deux phénomènes, notamment dans leur rapport au sacrifice, à la purification et à la quête de transcendance.

Cet article explore les liens possibles entre le pharmakos et la Franc-maçonnerie, en s’appuyant sur des sources historiques, philosophiques et maçonniques, pour éclairer la manière dont ces deux traditions s’entrecroisent dans leur approche des dynamiques humaines et spirituelles.

Pharmakos : Un rituel de purification antique

Grèce, colonne
Vestiges de Delphes

Dans la Grèce antique, le pharmakos désignait un rituel de purification sociale où un individu, souvent marginalisé ou stigmatisé, était désigné comme bouc émissaire pour absorber les maux de la communauté. Selon l’historien Walter Burkert dans Structure and History in Greek Mythology and Ritual (1979), le pharmakos était à la fois victime sacrificielle et agent de renouveau, chassé ou parfois exécuté pour restaurer l’harmonie sociale face à des crises comme la peste ou la famine. Ce rituel, pratiqué dans des cités comme Athènes lors des Thargélies, reposait sur une dualité : le pharmakos était à la fois impur (porteur des péchés collectifs) et sacré (instrument de la purification).

Cette ambivalence du pharmakos – à la fois rejeté et nécessaire – trouve un écho dans les traditions ésotériques et initiatiques, où la mort symbolique et la renaissance occupent une place centrale. C’est ici que la franc-maçonnerie, avec ses rituels riches en symbolisme, entre en résonance.

La Franc-maçonnerie : une quête initiatique et symbolique

La Franc-maçonnerie, née au XVIIIe siècle en Europe, est une fraternité initiatique qui utilise des rituels symboliques pour guider ses membres vers l’amélioration personnelle et la compréhension des valeurs universelles comme la liberté, l’égalité et la fraternité. Les rituels maçonniques, notamment ceux du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), sont imprégnés de symboles de mort et de renaissance, où l’initié traverse des épreuves pour se dépouiller de son « vieil homme » et renaître en tant que maçon.

Dans La Symbolique maçonnique (1948), Jules Boucher décrit le passage dans la « chambre de réflexion » comme une étape clé de l’initiation au premier degré. L’initié y médite sur sa propre mortalité, face à des symboles comme le crâne ou le sablier, dans un processus qui rappelle la mort symbolique du pharmakos. Cette épreuve, bien que personnelle, vise à purifier l’initié de ses passions profanes pour le préparer à intégrer la communauté maçonnique.

Parallèles entre le pharmakos et la Franc-maçonnerie

Pierre Pollier
  1. Sacrifice Symbolique et Purification : Le pharmakos incarne un sacrifice rituel destiné à purifier la communauté. De même, dans la franc-maçonnerie, l’initié subit une mort symbolique pour renaître transformé. Selon Pierre Mollier, historien maçonnique, dans La Franc-Maçonnerie : une histoire intellectuelle (2016), ce processus reflète une volonté de dépasser l’ego pour atteindre une conscience collective et fraternelle. Comme le pharmakos, l’initié devient un vecteur de transformation, non pas pour expier les fautes d’une communauté, mais pour incarner un idéal de perfectionnement individuel et collectif.
  2. La Dualité Sacré/Impur : Le pharmakos est à la fois impur (car il porte les péchés) et sacré (car il permet la rédemption). Cette dualité se retrouve dans les rituels maçonniques, où l’initié est confronté à ses propres imperfections avant d’être « régénéré » par l’initiation. René Guénon, dans Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage (1964), souligne que les rituels maçonniques s’inspirent de traditions ésotériques où la mort initiatique symbolise la purification nécessaire pour accéder à une connaissance supérieure.
  3. La Communauté et l’Individu : Le pharmakos agit pour le bien de la communauté, tout comme l’initié maçonnique s’engage à œuvrer pour l’amélioration de l’humanité. Dans le contexte du Convent de Lausanne de 1875, qui a unifié les pratiques du REAA, les maçons ont réaffirmé leur engagement envers une fraternité universelle, un idéal qui transcende les frontières et les individualismes, à l’image du sacrifice collectif du pharmakos. Comme le note Daniel Beresniak dans La Franc-Maçonnerie au XXIe siècle (2000), la maçonnerie cherche à construire une communauté harmonieuse à travers le perfectionnement individuel.

Une perspective contemporaine

Si le pharmakos est un vestige des sociétés antiques, son écho persiste dans les dynamiques modernes de bouc émissaire, où des individus ou des groupes sont stigmatisés pour apaiser les tensions sociales. La franc-maçonnerie, en revanche, propose une alternative : plutôt que d’exclure, elle intègre l’individu dans une communauté par le biais de l’initiation. Cependant, certains critiques, comme ceux cités dans The Conversation à propos des crimes rituels au Gabon, soulignent que des pratiques sacrificielles modernes, bien que déviantes, peuvent être influencées par des croyances ésotériques mal interprétées, rappelant la figure du pharmakos dans un contexte pathologique.

Dans Le Sacrifice dans les Religions (1994), Marcel Mauss et Henri Hubert explorent comment les rituels sacrificiels, comme celui du pharmakos, visent à rétablir un équilibre entre le sacré et le profane. La franc-maçonnerie, en évitant tout sacrifice physique, transpose cette idée dans un cadre symbolique, où l’initié « sacrifie » son ego pour atteindre une harmonie intérieure et fraternelle.

Une résonance cymbolique

Alchimie sur la table de l'alchimiste
Alchimie sur la table de l’alchimiste

Le pharmakos et la franc-maçonnerie partagent une préoccupation commune : la purification et la transformation, qu’elle soit individuelle ou collective. Si le pharmakos incarne un sacrifice réel pour apaiser les tensions d’une communauté antique, la franc-maçonnerie propose une voie intérieure, où la mort symbolique et la renaissance permettent à l’initié de contribuer à un idéal universel. En 2025, alors que la franc-maçonnerie célèbre des événements comme le 150e anniversaire du Convent de Lausanne, ces parallèles invitent à réfléchir sur la manière dont les rituels, anciens ou modernes, continuent de façonner notre compréhension du sacrifice, de la communauté et de la quête de sens.

Références :

  • Burkert, Walter. Structure and History in Greek Mythology and Ritual. University of California Press, 1979.
  • Boucher, Jules. La Symbolique maçonnique. Dervy, 1948.
  • Mollier, Pierre. La Franc-Maçonnerie : une histoire intellectuelle. PUF, 2016.
  • Guénon, René. Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage. Éditions Traditionnelles, 1964.
  • Beresniak, Daniel. La Franc-Maçonnerie au XXIe siècle. Dervy, 2000.
  • Mauss, Marcel, et Hubert, Henri. Le Sacrifice dans les Religions. PUF, 1994.
  • The Conversation, « Les crimes rituels au Gabon : un phénomène moderne », 3 août 2025.
  • L’Edifice, « Le Convent de Lausanne », https://www.ledifice.net/P021-3.html.

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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