mar 02 septembre 2025 - 12:09

Les origines du christianisme -1

Je vous propose à la lecture 10 articles qui paraîtront, à partir d’aujourd’hui et tous les jours suivants à 12h, retraçant l’origine du christianisme. Ils reprennent, documentent et résument les interventions de nombreux théologiens et spécialistes chrétiens et juifs enregistrées par Arte en 2022.

Contexte historique et question centrale : Jésus a-t-il fondé le christianisme ou l’Église ?

Vers l’an 30 de notre ère, Jésus est crucifié par les Romains sous l’accusation d’être le « roi des Juifs ». Trois siècles plus tard, l’empereur Constantin se convertit au christianisme, qui devient rapidement la religion officielle de l’Empire romain. Aujourd’hui, le Vatican est le siège de l’Église catholique apostolique et romaine, supplantant Jérusalem comme centre spirituel. Cela pose la question fondamentale : Jésus est-il à l’origine du christianisme ? A-t-il fondé l’Église ?

Jésus a vécu à l’intérieur d’Israël, a pensé sa théologie – son image de Dieu – au sein du judaïsme et pour Israël ; même s’il a fallu attendre le Concile Vatican II pour que l’Église lui rende sa judaïté (paragraphe 4 de Nostra Aetate): « Elle rappelle aussi que les Apôtres, fondements et colonnes de l’Église, sont nés du peuple juif, ainsi qu’un grand nombre des premiers disciples qui annoncèrent au monde l’Évangile du Christ.»

Jésus n’est pas un fondateur de schisme. Jésus n’a pas fondé l’Église au sens institutionnel. Il n’a pas mis en place un dispositif organisationnel qui servirait de base à ce que l’Église est devenue.

Dans le judaïsme palestinien du Ier siècle, extraordinairement diversifié avant la destruction du Temple en 70, Jésus représente, comme Jean le Baptiste, une forme particulière de croyance, mais totalement intégrée au judaïsme. Il est un fils d’Israël, juif, et propose une relecture de la tradition juive, avec une image de Dieu miséricordieux et quelques signes d’ouverture vers les païens (représentés par les publicains et les pécheurs), bien que cela soit amplifié après la résurrection.

Se demander si Jésus a fondé une Église est anachronique et dépourvu de sens. Jésus visait le renouveau d’Israël, un Israël renouvelé et eschatologique (lié à la fin des temps), inclusif et prêt à accueillir ceux que d’autres partis juifs réprouvaient. Il n’y a pas de « christianisme » du vivant de Jésus ; son but était de rassembler un Israël véritable.

Une conscience chrétienne naît plus tard, relativement rapidement, vers la fin du Ier siècle, lorsque le mouvement se positionne de manière autonome. Le terme « christianisme » est donc anachronique pour le Ier siècle ; on parle plutôt de groupes de fidèles de Jésus, et ce n’est qu’au IVe siècle que la religion se distingue et s’institutionnalise.

La propagation du christianisme : mystères et lacunes documentaires

On ignore en grande partie comment le christianisme s’est propagé.

Par exemple, on apprend l’existence d’une communauté chrétienne déjà développée en Égypte, à Alexandrie, mais le Nouveau Testament ne dit rien sur comment l’Évangile est passé de Jérusalem à Alexandrie. Le développement du mouvement à l’intérieur de la Judée et jusqu’au bassin méditerranéen est mal documenté. Ce qu’on peut dire c’est que là où il y avait des synagogues, des communautés chrétiennes émergent, parfois non juives, mais c’est extrêmement difficile à reconstruire à partir des récits du Nouveau Testament.

Les historiens soulignent une absence de documentation précise sur les mois et années suivant la mort de Jésus. Les points fixes proviennent du Nouveau Testament : la sortie de Jérusalem, la formation d’une communauté à Antioche (décisive pour le développement ultérieur).

Au début, on parle de « juifs messianiques » ou « juifs chrétiens », adoptant la foi en Jésus comme Messie. Il faut attendre des dizaines d’années pour parler d’un christianisme autonome. L’expression « chrétiens » est utilisée par simplification pour désigner ceux qui croient en Jésus-Christ comme agent eschatologique envoyé par Dieu pour le salut de l’humanité, mais au départ, ce sont des juifs professant que Jésus est le Christ, mort et ressuscité, le Sauveur. Ces catégories (Messie, Christ) sont purement juives, incompréhensibles pour les païens ; « Christ » signifie « oint » en hébreu (messie), un rôle particulier, sans la connotation dogmatique accumulée sur vingt siècles.

L’invention du christianisme commence par voir en Jésus le Christ ressuscité.

Cette confession de foi donne naissance à l’Église, mais à l’origine, l’Église n’est pas une institution structurée. C’est un ensemble de communautés unies par la même foi, sans organisation centralisée. On parle de petits groupes de fidèles se retrouvant dans des maisons (30-40 personnes), très différent du christianisme comme religion mondiale.

Au Ier siècle, le mot « ecclesia » (église) signifie simplement « assemblée », au sens politique ou synagogal, sans connotation institutionnelle.
C’est seulement au chapitre 5,11 des Actes des Apôtres que ce mot désigne la communauté : «  Une grande crainte saisit toute l’Église et tous ceux qui apprenaient cette nouvelle ».  Auparavant, on parle de « communion » ou « disciples ». Influencé par la tradition juive (ecclesia pour l’assemblée d’Israël dans la Bible grecque) et le monde grec (assemblée des hommes libres), le terme s’impose progressivement. Paul, dans ses lettres, l’utilise pour des communautés locales (ex. : l’église des Corinthiens, ou celle chez Priscille et Aquilas).

La distance entre le Royaume annoncé par Jésus et l’Église : le rôle de Paul

Selon une formule célèbre, Jésus a annoncé le Royaume, et c’est l’Église qui est venue. Cette distance sépare-t-elle Jésus de Paul, vu comme l’inventeur de la nouvelle religion ?

Le Royaume annoncé par Jésus est très différent de l’Église naissante. Après la mort de Jésus, l’Église s’éloigne du judaïsme originel. Si Jésus revenait, il ne reconnaîtrait probablement pas la religion développée par Paul.

Cependant, il n’y a pas de « blanc » entre la crucifixion/résurrection et Paul.

Les écrits de Paul aident des communautés païennes à vivre le christianisme. Son apport est fondamental pour façonner le christianisme actuel, mais pas comme inventeur radical.

Avec vingt siècles de recul et peu de sources, Paul ressort énormément car on a ses épîtres (le plus de renseignements). Son succès vient du christianisme qu’il propose, séducteur : un homme (Jésus) a prêché le salut, est mort et ressuscité. Paul est le grand apôtre des Gentils (non-Juifs), qui deviennent majoritaires, le rendant central.

Le christianisme qui émerge est paulinien : il réfute la Loi juive, critique la circoncision, refuse le casher et les fêtes juives. Jésus s’est transformé en Jésus-Christ, personnalité divine, éloignée du prophète messianique juif. Au fil du temps, on s’éloigne du Jésus terrestre, juif, pour un Jésus spiritualisé, fils de Dieu dès l’origine (au lieu de fils de David, messie d’Israël). Les Évangiles montrent ce doublement : Jésus humain (marchant sur l’eau, calmant la tempête comme Dieu). Le nœud est là : Jésus devient homme et Dieu, Verbe incarné.

Jésus évolue dans le judaïsme, même s’il peut être vu comme un grand hérésiarque. Le christianisme se forme quand on professe « Jésus est Dieu », nouveauté absolue. Les conciles des IVe-Ve siècles débattent de cela : Jésus est-il totalement homme, totalement Dieu, ou les deux ? On accepte la double nature.

La crucifixion et la résurrection : fondement de la foi

L’exécution de Jésus sur la croix marque la ruine des espoirs de ses disciples. La croyance en sa résurrection permet de surmonter cela. La crucifixion prend les disciples au dépourvu ; ils attendaient une ère triomphale. Dans Luc, ils changent leurs espérances via des apparitions ou un processus intime. Les premières confessions de foi : « Il est mort et ressuscité » – une mort infamante (croix pour esclaves, abominable pour Juifs et païens).
C’est un scandale pour les Juifs (messie crucifié introuvable dans les Écritures), une folie pour les Grecs. Les Évangiles montrent un désarroi : trahison (Judas), reniement (Pierre), fuite des disciples ; seules des femmes regardent de loin. Le groupe se reconstitue car Jésus se manifeste. Quelque chose s’est passé : résurrection pour les croyants, expérience religieuse pour d’autres.  

Les apparitions en Galilée ou Jérusalem, correspondant à des groupes : Paul (vers 50) dit que le corps ressuscité n’est pas de chair ; les Évangiles (80-100) insistent sur le corporel (toucher, manger du poisson). Il y a donc des divergences dès les traditions anciennes

Les croyances en immortels existaient déjà (ex. : Platon sur Socrate enlevé aux cieux), mais elles ne sont pas universelles. Dans «Matthieu, certains doutent même face au ressuscité. Paul liste les témoins : Pierre d’abord, puis les Douze, 500 frères, Jacques, apôtres, et lui-même (comme avorton). C’est une tradition des années 30, un credo liturgique.
L’historien ne juge pas la vérité, mais constate les effets : cet événement fonde le christianisme.

Le rôle de Pierre : une figure complexe

Pierre est le premier à voir le ressuscité, cela l’introduirait-il comme successeur ? Dans «Matthieu 16:18 (« Tu es Pierre, sur cette pierre je bâtirai mon église ») , cela pourrait remonter à la communauté primitive de Jérusalem, où Pierre en était le représentant. Mais Marc et Luc l’omettent, et cela est impensable si c’est historique.
Cela réfère à une symbolique juive : la pierre cosmique du Temple (jonction ciel-terre). Pierre reçoit les clés du Royaume, mais son portrait est ambivalent : fonceur, gaffeur, impulsif, douteur, reniant trois fois Jésus (récupéré dans Jean 21 par triple affirmation d’amour).

Pierre est porte-parole des Douze, mais mal comprenant (paroles, passion). la Tradition ne l’idéalise pas ; il illustre le croyant faillible par de multiples portraits : impulsif, inconstant, reconnaissant Jésus comme Christ, mais remettant en cause sa mort.

D’autres figures comme Pierre, Paul, Jacques (frère de Jésus) sont emblématiques, variant selon les textes. Pierre symbolise plus qu’il n’exerce un pouvoir ; proche de Jésus, continuant en Palestine, puis ailleurs (Corinthe, Rome ?). Cependant, il n’est pas désigné chef unique par Jésus ; dans Matthieu,16, le pouvoir est, certes, donné à Pierre, il l’est aussi aux autres (Matthieu. 18,4).

Ce contre-sens historique a influé sur l’Église catholique.

À Jérusalem (années 30-40), la communauté lutte pour survivre. La famille de Jésus, menée par Jacques le frère du Seigneur (ainsi nommé par Hégésippe, Épiphane de Salamine, Eusèbe de Césarée et même par Paul de Tarse), s’oppose au groupe des disciples mené par Pierre.
Jacques le Juste, est appelé frère du Seigneur par Paul et frère de Jésus par Flavius Josèphe. La question de son identité historique ne rencontre pas un accord unanime chez les historiens. Traditionnellement identifié à un frère de l’Apôtre Jude, on voit en lui non point l’un des Douze, mais un parent de Jésus.

Alors, « Jésus avait-il un frère ? »comme l’écrit aussi Matthieu en 13,55 :  « N’est-ce pas le fils du charpentier? n’est-ce pas Marie qui est sa mère? Jacques, Joseph, Simon et Jude, ne sont-ils pas ses frères? »

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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