(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Le 1er août est un moment idéal pour tout relâcher, c’est-à-dire pour se détacher de toute source d’angoisse, de toute pression qu’opèrent ordinairement les nécessités courantes, pour se situer, en définitive, dans un état d’acceptation du monde, suspendu mais non passif, où tout reste à tout moment mobilisable – béance souple de la conscience à l’écart de toute menace. Glissons encore un peu et nous voici au cœur du vide, d’un vide qui absorbe toute réalité ou la dissout en une ligne unique et indéfinie, prête à reprendre ultérieurement toutes les formes de la vie.

Je pensais récemment à l’architecte germano-américain Ludwig Mies van der Rohe dont les plans rectilignes encadrent le vide, de sorte qu’en émane une immense tranquillité géométrique[1]. C’est ce vide où la matière devenue, en quelque sorte, interstitielle a pour fonction de susciter la présence spirituelle d’une harmonie. Mais ce n’est pas encore le vide, le plein vide, si j’ose dire, sans borne ni limite, au-delà de celui qui scande l’espace dans les déplacements, qui l’occupe au milieu des figures, plus encore que le vide cellulaire ou le vide atomique, désignant combien le vide est partout plus vaste que toutes choses – un vide qui n’est point le néant et qui ne rencontre, pour autant, aucune paroi, aucune énergie autre, constituant lui-même son déploiement et sa plénitude.

Le vide est un arrêt où aucune essence ne cesse. C’est mentalement ce retrait du trop-plein des choses, un accueil de forces mises au repos qui permet de retrouver leur diapason, jusqu’à ce qu’elles se fondent et disparaissent ensemble, dans une torpeur dilatée du temps. Le vide est l’être inconditionné, pourrait-on dire, l’être unique et principiel. Cela me rappelle une anecdote que j’ai vécue, autrefois.

J’avais coutume de faire des retraites au mont Athos. J’y ai rencontré un moine qui vivait en ermite, dans une grotte à flanc de falaise. Je lui avais demandé naïvement ce qu’il éprouvait à contempler ainsi la mer, du matin au soir. Il m’avait simplement répondu que cela faisait des années qu’il ne la voyait plus. C’est ce degré de contemplation que je vise. C’est cette échelle que j’invite à parcourir et pourquoi ? Parce que s’y résume le mystère de l’être, à jamais impalpable. Aussi bien, par ces exercices de détachement et de concentration, il s’agit de dissiper les tourments que nous nous imposons tous les jours et qui voilent constamment la simplicité du souffle qui nous habite. Il nous faut savoir, un temps, fermer les yeux sur ce qui nous entoure afin d’être clairvoyants sur l’ampleur des phénomènes, l’entièreté de la manifestation, de même qu’il nous faut renoncer à l’essoufflement quotidien pour réapprendre à respirer.
Avant même de se placer les yeux fermés à l’écoute du vide, faire silence devient ainsi la première étape de l’anachorète par beau temps…
[1] V., par exemple, le pavillon Mies van der Rohe pour l’Exposition internationale de Barcelone de 1929, où dialoguent le verre, l’acier et différents marbres pour exprimer l’ineffable pureté des proportions. Pour accéder au site, cliquer ici.