ven 26 décembre 2025 - 15:12

La parabole du Maître

En mourant, un vieux Maître maçon laissa à ses Frères et Sœurs un cadeau des plus inhabituels : un trousseau de clés enveloppé dans un morceau de parchemin ancien, orné de dessins muets et mystérieux. Ces clés ouvraient sa modeste demeure – la porte d’entrée, les bureaux, les caches secrètes que seule une maison vécue peut abriter. Avec une émotion mêlée d’une curiosité vibrante, ceux qui reçurent cet étrange héritage franchirent le seuil, impatients de comprendre ce que leur cher Frère avait voulu leur transmettre par ce geste ultime.

Le premier Frère y vit une invitation à revenir aux sources. Cette maison n’était-elle pas le lieu où le défunt était né, avait grandi, et était devenu cet homme exceptionnel qui avait su faire éclore tant de générations de maçons ? C’était là qu’avaient été rédigés les grands travaux, qu’avaient eu lieu les premières tenues, et que, le soir venu, s’organisaient des agapes joyeuses, propices aux conversations fraternelles et détendues.

Dans la grande salle, sur la table, reposaient encore un cordon et un tablier en cuir d’agneau, délicatement brodés par les mains aimantes de son épouse disparue, ainsi qu’un entrelacs de symboles finement sculptés par des artisans experts. Plus loin, dans le bureau, s’empilaient des documents précieux : brevets, concordats, certificats honorifiques, statuts et constitutions. À côté, dans une boîte doublée de velours, brillaient médailles et décorations, souvenirs de ses bonnes actions, de son dévouement à l’Ordre, de son ancienneté respectée.

Tout semblait encore imprégné de la chaleur de ses mains. On aurait juré que les braises de la cheminée, qui n’avait cessé de brûler depuis plus de vingt ans, n’avaient pas totalement refroidi.

Le deuxième Frère, lui, perçut l’héritage dans les livres. Des volumes modernes côtoyaient des ouvrages anciens sur les étagères. Il se souvenait avec émotion de ces soirées où une simple conférence déclenchait des débats passionnés, où chaque planche architecturale donnait naissance à des heures de discussions légères mais profondément fraternelles. Au fil des ans, ces travaux avaient été consignés dans d’épais cahiers, puis publiés sous forme de livres richement illustrés – croquis d’auteurs, dessins, photographies.

Ces réunions ressemblaient parfois moins à des tenues ordinaires qu’à un conclave d’intellectuels, scientifiques ou créatifs, tous nourris par la même soif de connaissance. Le défunt avait laissé là une véritable nourriture spirituelle, accompagnée d’une sage maxime :

« Du début à la fin, une seule vie ne suffit pas pour épuiser le granit de la science. »

La troisième Sœur, quant à elle, retrouva l’harmonie qui avait toujours régné dans ces murs. Tout était prêt dans la salle des travaux, comme autrefois. Elle se rappelait l’atmosphère sereine et accueillante des tenues, l’attention portée aux mérites de chacun.

Il y avait eu des moments simples et d’autres plus difficiles : la Loge se remplissait vite, se vidait parfois brusquement ; les débats ou les votes pouvaient être animés. Pourtant, la liberté de chaque voix respectait toujours celle des autres.

De l’extérieur, on aurait pu croire que la discipline et les règles pesaient lourdement sur le rituel et les relations. Rien n’était plus faux. Un mécanisme subtil, fait de respect et de bienveillance, dissipait les tensions, permettant aux cordes cachées de l’âme de vibrer librement. Dans cette Loge, jamais on ne méprisait jamais la présence féminine ni ceux venus d’autres obédiences.

Chacun des héritiers avait raison à sa manière. Chacun voyait ce qui résonnait le plus profondément en lui : ce qu’il portait dans son cœur, ce qu’il aspirait à vivre, ce dont il voulait s’éloigner. Pourtant, aucun – malgré sa jeunesse, sa force et son enthousiasme – n’avait encore pleinement compris l’essence de ce legs.

Car derrière tous ces objets, ces livres, ces souvenirs, régnait une présence plus grande : l’amour patient et constant avec lequel le Frère disparu avait, année après année, veillé sur le chemin de ses proches. Il avait transmis son expérience, partagé la substance même de son âme, et nourri les jeunes pousses avec une tendresse infinie.

La raison cherche toujours des détails, des fragments. Elle ne peut saisir le tout.

Pour percevoir l’ensemble, il faut un cœur vivant. Et pour le comprendre vraiment, il faut être Maître.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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