ven 28 novembre 2025 - 10:11

Le mot de René : « La conscience : dimension morale du maçon »

La définition de la conscience par « la connaissance qu’a l’homme de ses états, de ses actes et de leur valeur morale » (lexilogos) confond avec brio les deux dimensions de cette notion : cognitive et morale. Le premier aspect a été présenté le 5 novembre 2025.

Deuxième étape aujourd’hui.

La conscience : dimension morale

« Ne jamais agir à l’encontre des commandements de sa conscience »

Constitutions d’Anderson.

« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ».

(La Légende des siècles) Victor Hugo

Dernier vers de Victor Hugo de son poème La conscience : on n’échappe pas à sa conscience morale, même dans son tombeau.

Individuelle

« Connais-toi toi-même ».

Socrate

« L’Homme n’accède à un niveau de conscience que quand il a transmué le vil plomb des pulsions fondamentales ».

Rituel

Si l’examen de conscience avait été inventé par les pythagoriciens, c’est au fronton du temple d’Apollon à Delphes qu’on lit la sentence : « Connais-toi toi-même, laisse le monde aux dieux. » Cela rappelle à l’homme qu’il doit se contenter de sa condition, ne pas chercher à se rapprocher du divin. Socrate ne retient de l’expression complète que « Connais-toi toi-même » ; pendant les vingt dernières années de sa vie, sa mission consiste à aider ses concitoyens à accéder à la connaissance intérieure.

Se connaître soi-même, c’est se soucier de soi : l’homme doit détourner son attention de ce qui n’est pas son être véritable pour la tourner vers ce qu’il est réellement, ou plutôt vers ce qu’il doit être. Il ne s’agit pas de se complaire dans ses opinions mais de se hausser jusqu’à ce qui appartient à la nature humaine en général. En tout esprit humain existe un savoir qui n’attend que d’être extrait. C’est la voie pour échapper à ce que Platon nomme « la double ignorance » : ne pas avoir conscience de son ignorance.

Ce n’est donc pas une introspection narcissique et égotiste mais un programme de vie morale. Selon Aristote, Socrate cherche à définir les vertus, à en saisir l’universalité afin de rendre les hommes vertueux. On ne succombe au mal que parce qu’on ne le connaît pas. Le bonheur est indissociable de la vertu.

Saint Augustin

Saint Augustin donne une nouvelle dimension au logos des philosophes anciens en mettant Dieu au plus profond de lui, dans sa conscience. « Et voici que Tu étais dedans et moi dehors et c’est là que je te cherchais. Tu dis : montre-moi ton Dieu. Je dis : montre-moi ton âme. » Un maître intérieur nous enseigne et nous attend : « Au lieu d’aller dehors, rentre en toi-même. C’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité. »

« Le sentiment d’un tribunal intérieur en l’homme « devant lequel ses pensées s’accusent ou se disculpent l’une l’autre » est la conscience » Kant, Métaphysique des mœurs, 1797.

« Ma conscience pure… est ma force »

Rituel.

Dans Tintin au Tibet, Milou est écartelé entre les conseils de son ange gardien qui lui indique son devoir et l’envie de suivre son démon tentateur pour s’emparer d’un os.

Socrate entendait la voix divine de son démon. Mais qu’est-ce qui délibère en nous lorsque nous sommes dans la situation de Milou ou de Socrate ? Kant pose que c’est en nous que cela se tient. Pour savoir si ce que nous faisons est bien ou mal, il faut d’abord en avoir conscience ; il faut avoir connaissance de ce que nous faisons. Rien ne saurait être sans la connaissance des faits, notamment devant une juridiction. Mais la conscience est morale par nature : elle tient en respect les mauvaises intentions humaines.

« La conscience ne trompe jamais ; elle est le vrai guide de l’homme »

(Emile ou de l’Education).
Emmanuel Kant

Kant ne partage pas le formidable optimisme dont Rousseau fait preuve. Reste que la conscience émane de la raison. On peut certes s’en détourner un moment, se laisser distraire, mais l’exigence morale refera surface. Si la conscience est le lieu de la délibération en matière de morale, elle est susceptible d’être accusée lorsque le mal a été choisi. La conscience ne peut être juge et partie. Kant en déduit que la conscience qui juge a un devoir : se considérer comme un autre. C’est ainsi que l’on atteint à l’universalité de l’homme. À cette condition, toute conscience de soi est morale et a la capacité de prononcer un jugement. La notion de devoir, fondamentale chez Kant, reste inconnue du monde grec jusqu’aux stoïciens, romains surtout comme Cicéron ; ce devoir oblige à agir conformément à la loi.

« Conscience morale, acte de l’entendement, qui indique ce qui est bon ou mauvais dans les actions morales, et qui prononce sur les choses qu’on a faites ou omises »

Chevalier de Jaucourt, Encyclopédie de Diderot-d’Alembert, 1751-1772.

« Le maillet représente la force de la conscience qui doit réprimer toute pensée futile ou déplacée susceptible de nous distraire »

Rituel.

On passe de l’examen de conscience sous l’œil de Dieu et de son directeur de conscience à l’examen rationnel de l’individu libre et autonome. Cela débouche sur l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

La Franc-maçonnerie est d’évidence peu assurée dans ses proclamations symboliques en la matière car on trouve, et ce n’est pas d’exhaustif, pour symboliser la conscience :

  • « équerre, emblème de la conscience… »,
  • « la règle, emblème de la conscience… »,
  • « le compas, emblème de la conscience »,
  • « le Livre, qu’il soit blanc ou l’un des Livres réputés sacrés… devient le symbole de votre conscience » (Rituels).

Une équerre, un compas… cela est suffisant à l’initié pour s’attacher à tenter de ressentir la notion de conscience. Mais de sa vérité, le franc-maçon ne fera pas un dogme car chacun de ses frères peut proposer aussi bien que lui, mais différemment de lui. Le symbole ne saurait se charger d’une signification fermée comme dans un dictionnaire. L’enseignement que chacun reçoit n’est ni universitaire, ni religieux, ni moral, ni sectaire, mais plutôt une réaction à l’arbitraire, au conventionnel, à la non-raison de la raison, à la mise à distance de toutes les légitimités installées. Cette méthode symbolique non seulement ouvre les yeux sur les méfaits de la violence symbolique, si présente dans le monde profane, mais elle permet aussi une approche de l’Autre dans sa pensée, en dehors de toute différence. Le symbole peut seul formuler l’informulable.

Sociétale

« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, mais leur existence sociale qui détermine leur conscience. La conscience est, en quelque sorte, un produit social »

Marx, Contribution à la Critique de l’Economie Politique, 1859.

« Liberté absolue de conscience » Constitution du Grand Orient de France.

« Tous les êtres humains sont doués de raison et de conscience » Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948.

Karl Marx

Pour changer le monde réel, suffirait-il d’échanger, de critiquer ou d’abolir théoriquement les « idées fausses » et mettre ainsi fin à l’aliénation des hommes ? Est-ce un travail de philosophe ? Pas pour Marx : il faut partir des conditions d’existence matérielles des individus car les hommes sont conditionnés par des forces productives et des rapports sociaux déterminés. Il veut montrer que la véritable origine de l’aliénation est dans le travail, et donner les moyens de l’émancipation humaniste dans le monde réel. Les rapports de force nous font penser ce que l’on pense ; « Qu’est-ce que je pense ? » est une fausse interrogation puisque les idées sont déterminées par la place sociale de chacun. De même, dans une société, les superstructures idéologiques (morale, science, philosophie, religion, politique) sont le produit des infrastructures économiques et de la lutte des classes qui l’anime pour le partage de la plus-value. Pour la philosophie traditionnelle, la conscience est supérieure à la réalité ; pour Marx, c’est l’inverse. L’idéologie n’est pas l’abstraction du concret mais une déformation de la réalité. Il va soumettre le contenu de l’idéologie, de la conscience, à la réalité. Le prolétariat, lorsque sa force politique et sa conscience de classe seront suffisantes, déclenchera une révolution nécessaire et différente. Marx se différencie donc à la fois de l’idéalisme et du matérialisme en reliant la pratique et la théorie.

Quand le pape Grégoire XVI affirmait sa totale méfiance : « Cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience » (Lettre encyclique Mirari vos, 1832), le Grand Orient voulut « dépasser » le concept de Grand Architecte en proclamant, en 1877, la liberté absolue de conscience. Mais cette absolue liberté est-elle présente dans la France républicaine ? Considérons le Premier amendement de la Constitution des États-Unis : « Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse… »

Christiane Taubira 

Il prône la liberté de conscience et d’expression pour le citoyen. Il rend impossible le délit de blasphème, un concept étranger à la loi américaine. Il protège même les discours haineux, à l’exception de ceux incitant à la violence. Aucune Cour n’a interdit une marche organisée en 2017 par un groupe nazi dans une ville de l’Illinois où un habitant sur six était un survivant de l’Holocauste. On doit pouvoir tout dire et du débat public sortira la vérité. Avec ses quatre lois « mémorielles », la France paraît bien plus restrictive au nom d’autres valeurs : la loi de 1990 (« loi Gayssot ») qui sanctionne le négationnisme ; la loi de 2001 relative au génocide des Arméniens dans l’Empire ottoman en 1915 ; la loi de 2001 « loi Taubira » relative à la traite négrière et à l’esclavage et la loi de 2005 relative au passé colonial de la France. Ces lois mémorielles ont tant inquiété les historiens qu’ils ont lancé une pétition significativement intitulée « Liberté pour l’histoire ».

« La conscience n’a qu’un pouvoir bien faible, tellement que tous les peuples ont songé à lui donner pour aide, et parfois même pour remplaçante, la religion »

(Schopenhauer, Le fondement de la morale).

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René Rampnoux
René Rampnoux
René Rampnoux, né à Périgueux, agrégé d'économie et de gestion, licencié en droit. Coordinateur des ouvrages Ellipses de préparation au Concours commun IEP, essayiste, il est ancien Grand Maître adjoint du Grand Orient de France.

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