Acte I – 2018 : « Petit manuel » (le titre contient déjà un aveu)
Imaginez la scène : un Belge masqué sous le pseudonyme fringant et avantageux de « Jiri Pragman » (parce que Philippe Allard, son vrai nom, sonnait sans doute un peu trop comme celui d’un gars qui gère le site poussif d’une association de troisième zone) décide, en 2018, de gratifier l’humanité d’un « petit manuel » pour organiser des salons du livre maçonnique. En voici la seconde édition : Organiser un salon du livre maçonnique, France, Independently Published, 2025, au prix de 25 euros en version « relié » !!!!
100 pages. Oui, cent ! Pour expliquer où mettre les badges, quand servir le café et comment ne pas oublier les toilettes.

Cent pages où l’on apprend, médusé, que les maçons – ces prétendus dépositaires de la Sagesse universelle – sont apparemment incapables de trouver des lieux d’aisance, sans mode d’emploi. Le tout auto-édité chez « Books on Demand », c’est-à-dire au cimetière des manuscrits que même les éditeurs les plus nécessiteux n’oseraient pas toucher avec des pincettes de trois mètres de long. La preuve… sur Amazon son premier best-seller de la Franc-maçonnerie avait obtenu, au Classement des meilleures (…et des pires) ventes d’Amazon la epsilonesque 277 992e place des ventes de livres, c’est dire à quel point ce sujet ne concerne que quelques amateurs forcenés.
Le ton ? Un mélange de pédanterie de premier surveillant tout ébouriffé de découvrir PowerPoint et de notes de bas de page citant à tire-larigot… son propre blog. Parce que rien ne fait plus « autorité », à ses yeux, que de renvoyer à sa propre personne comme si l’autoréférence pouvait lui donner la moindre caution académique.
On y trouve des perles du genre :
« Il faut penser à la pause-café. » Merci, capitaine Robusta.
« Les participants aiment les goodies. » Non, vraiment ? Les maçons aiment les stylos avec un compas dessus ? Ah, qui l’eût cru !
Bref, un pensum tellement fade et fastidieux qu’on pourrait y ranger trois tabliers, un maillet et un bonnet d’âne mais certainement pas une équerre…
Acte II – 2025 : « Guide » (le même, mais en plus gros, en plus cher… et en encore plus creux)
Sept ans plus tard, notre héros revient.
Le « petit manuel » est mort ? Qu’à cela ne tienne : on le gonfle, on le maquille, on lui colle une dédicace à Patrick Weslinck (parce que, dans le microcosme maçonnique, dédier son livre à quelqu’un qui t’a filé un prix en carton-pâte, c’est la classe ultime) et on le ressort sous le titre tellement plus ragoûtant de « Guide ».
Comme si changer l’étiquette faisait d’une serpillère un chef-d’œuvre. Toujours auto-édité, évidemment. Toujours chez le même imprimeur polonais low-cost.
Mais, cette fois, on a ajouté des chapitres au clin d’œil super pro mais expéditifs comme : « La signalétique », « Le code vestimentaire », « Les hôtesses et stewards », « la restauration », « Le RGPD » (oui, parce qu’en 2025, découvrir le Règlement Général sur la Protection des Données, texte européen concernant le traitement des données à caractère personnel, c’est l’ultime estoc, n’est-ce pas ?).
On parle même de BarCamps, sortes de « non-conférences » qui se présentent sous forme de petits ateliers participatifs. C’est proprement vertigineux. Dans sa « Foire à la Farfouille », l’auteur ramasse à la va-vite tout ce qu’il peut pour se montrer à la pointe de la « sophistication ». Le résultat ? Un livre qui fait 50 % de pages en plus… et 100 % d’intérêt en moins car les réalités ne changent pas pour autant.
On passe de « comment mettre trois tables dans une salle des fêtes » à « comment mettre trois tables dans une salle des fêtes, tout en respectant la parité homme-femme et la neutralité carbone ». Quel progrès… Entracte : le moment où l’on rit jaune.
Entre les deux opus, qu’a donc appris notre Mozart de l’événementiel ?
Rien. Absolument rien.
Les salons du livre maçonnique continuent de s’essouffler les uns après les autres, mais chut : surtout ne pas évoquer les échecs et encore moins se montrer capable d’en diagnostiquer les causes. Un petit tournis pour éviter de se regarder sans complaisance dans un miroir (un comble pour un Franc-maçon). Non, on préfère bomber le torse, se rêver en grand ordonnateur de la culture maçonnique, et espérer vendre 17 exemplaires (chiffre visiblement optimiste) à des frères qui achètent par pitié ou pour faire joli sur l’étagère, à côté du « Rite Écossais Expliqué à ma Belle-Sœur ».
Verdict final
Avec son nouveau petit manuel qui avait, au moins, sous son ancien titre, l’honnêteté d’annoncer qu’il n’était en rien intellectuel, Jiri Pragman, l’ancien journaliste et maçon en déshérence ou en repli lointain, prouve à l’envi qu’il n’est plus journaliste… mais surtout qu’il s’obstine à ne pas être auteur. Son ouvrage prétendument de commodité a moins pour objectif d’offrir à d’éventuels organisateurs les clés d’un improbable succès qu’à positionner le susdit comme référent dans un club quelque peu souffreteux et clairsemé mais, plus généralement, c’est un symptôme : le symptôme d’un microcosme qui se prend tellement au sérieux qu’il finit par pondre des livres pour expliquer comment organiser des buffets… sachant qu’ici, les petits fours préfigurent le grand four promis à ce banal opuscule.
Symptôme d’une Franc-maçonnerie qui, faute de pouvoir influer sur le cours des choses ni a fortiori changer le monde, se rabat sur de pseudo guides pompeusement voués à ordonnancer la disposition de quelques chaises en carré long.
Note : 0,5/10 (le demi-point pour l’encombrement typographique).
À laisser moisir sur une étagère, entre le règlement intérieur de la loge « L’Espérance Radieuse n° 666 » et le recueil des discours du frère Toastmaster 2012-2015. Quant à Jiri Pragman, qu’il continue d’écrire pour ses intimes ! Après tout, dans un monde où même les orgueilleux ont droit à l’autoédition, il y aura toujours une impression à la demande pour accueillir leurs fumigations dérisoires. Et cela, mes Sœurs et mes Frères, c’est peut-être la plus belle preuve qu’il faut accepter que la tolérance débouche parfois sur d’obscures voies de garage.
