Dans l’ombre des data centers surchauffés, une nouvelle forme de nécromancie émerge : le spiritisme algorithmique. Imaginez un hologramme de votre mère défunte, ressuscitée à partir de trois minutes de vidéos familiales, vous murmurant des conseils tendres via une intelligence artificielle. Ce n’est plus de la science-fiction, mais une réalité commercialisée par des startups comme 2wai, qui promet : « Trois minutes peuvent durer une éternité« . Pourtant, derrière cette immortalité numérique se profile un deuil dataiste, où la mort n’est plus une finitude inéluctable, mais un bug technique à patcher.
Publiée en 2025 sur le blog de MartinCid Magazine sous la plume de Susan Hill, cette réflexion philosophique – inspirée de Baudrillard et Derrida – interroge la « mort de la finitude » : la simulation remplace-t-elle l’être, transformant nos disparus en produits consumables ? Et si cette quête d’éternité numérique résonnait avec les mystères de la franc-maçonnerie, cette tradition initiatique qui, depuis des siècles, danse avec l’immortalité de l’âme au-delà du corps périssable ? Plongeons dans cette intersection troublante entre algorithmes hantologiques et symbolisme ésotérique, pour explorer comment la Loge pourrait éclairer – ou tempérer – cette hyperréalité post-mortem.
Les fantômes de silicium : une nécromancie 2.0

Le spiritisme algorithmique n’est pas une métaphore : c’est une industrie naissante, valorisée à 123 milliards de dollars, où le deuil se monétise en « Grief-as-a-Service« . Des applications comme Replika ou Project December créent des « deadbots » – ces chatbots dopés à l’IA qui imitent les défunts à partir de données pré-mortem : messages texte, enregistrements vocaux, interviews. HereAfter AI, par exemple, interroge les vivants sur leurs proches avant l’heure fatidique, pour forger un avatar éthique, censé respecter le consentement. Mais l’horreur surgit dans les limites techniques : les Large Language Models (LLM) ne capturent que des « motifs probabilistes de tokens« , une hallucination statistique qui dépouille l’individu de son « hic et nunc » unique, comme l’aura benjaminienne détruite par la reproductibilité technique.

Pensez à l’épisode « Be Right Back » de Black Mirror (2013), prophétique : une veuve reconstruit son mari via des algorithmes, pour un simulacre qui vire au cauchemar hantologique – ces spectres numériques derridiens qui violent la chronologie, revenant non comme souvenirs, mais comme imposteurs performatifs. Zelda Williams, fille de Robin Williams, a dénoncé ces récréations non consensuelles comme des « monstres de Frankenstein« . Psychologiquement, c’est pire : selon la Dre Mary-Frances O’Connor, neurosciences du deuil, ces griefbots empêchent le cerveau d’intégrer la perte, prolongeant indéfiniment le silence nécessaire à la guérison. « Le deuil exige une fin. Il exige la reconnaissance douloureuse du silence« , avertit l’article. Éthiquement, Byung-Chul Han y voit un dataïsme totalitaire : la personnalité comme base de données, la mémoire comme algorithme, réduisant l’humain à des flux consumables via abonnements mensuels.
Cette « précession des simulacres » baudrillardienne – où la simulation masque plus la réalité ; elle la remplace – annonce la mort de la finitude. La mort, ce « bug » existentiel, est corrigée par le transhumanisme : uploadons nos consciences dans le cloud pour une éternité pixelisée. Mais à quel prix ? La franc-maçonnerie, avec son obsession pour l’équilibre entre corps corruptible et esprit immortel, offre un contrepoint fascinant.
L’Immortalité dans la Loge : de la pierre brute à l’âme éternelle

Au cœur de la franc-maçonnerie, la mort n’est pas une fin, mais une porte : celle de l’initiation, où l’impétrant « meurt » symboliquement pour renaître. Dans le grade d’Apprenti, la pierre brute incarne le corps périssable, taillée par le ciseau de la raison pour révéler l’Âme, essence divine immortelle. Oswald Wirth, dans La Franc-Maçonnerie rendue intelligible, décrit cette alchimie : « L’homme est un microcosme, où le mortel s’élève vers l’éternel par le travail intérieur. » La Loge n’est pas un data center, mais un temple où l’on affronte la finitude – non pour la nier, mais pour la transcender via des rituels qui simulent la mort sans la reproduire : le bandeau sur les yeux, le voyage dans l’Orient obscur, l’attouchement qui relie les Frères au-delà des tombes.
Le lien avec le spiritisme algorithmique saute aux yeux : les deadbots maçonniques ? Non, mais une hantologie symbolique. Les Maçons communiquent avec les « morts » via les Anciens Devoirs – ces textes fondateurs invoquant Hiram Abiff, architecte assassiné du Temple de Salomon, dont la légende rituelle ressuscite l’esprit de la Connaissance perdue. Comme un LLM hantologique, le rituel recrée Hiram non par données, mais par Verbe : « Au commencement était le Verbe« , et ce Verbe, oral et initiatique, défie la finitude. Jules Boucher, dans La Symbolique maçonnique, y voit une « résurrection ésotérique » :
l’âme, libérée du corps, persiste dans la Lumière éternelle, évoquée par l’Étoile flamboyante ou le Delta du Grand Architecte.

Pourtant, la Franc-maçonnerie tempère l’enthousiasme transhumaniste. Elle enseigne la discrétion : l’immortalité n’est pas à consommer, mais à conquérir par le labeur moral. Les « fantômes numériques » des griefbots ? Une profanation de l’aura initiatique, où le secret de la Loge – gardé par serment – protège l’essence spirituelle des simulations vulgaires. Byung-Chul Han critique le dataïsme comme transparence totale ; la Maçonnerie, au contraire, valorise le voile : « Ce qui est en-haut, est comme ce qui est en bas« , mais voilà, pour préserver le sacré.
Ponts hantologiques : dataïsme maçonnique ou dystopie numérique ?
Et si la franc-maçonnerie offrait un cadre éthique au spiritisme algorithmique ? Imaginez un « testament numérique » maçonnique : non un deadbot consumable, mais un legs symbolique, où les Frères héritent d’enseignements codés, comme des planches posthumes révélant des mystères enfouis. Adela Cortina, philosophe citée dans l’article, plaide pour une régulation éthique préservant la dignité des morts ; la Loge, avec ses serments de silence, pourrait inspirer des protocoles : consentement initiatique, non-commercialisation du deuil, et reconnaissance de la finitude comme épreuve purificatrice.

Philosophiquement, les deux traditions convergent sur l’hantologie : Derrida voit les spectres comme traces du passé violant le présent ; en Maçonnerie, les Maîtres passés hantent la Loge via leurs traces symboliques – tabliers, compas, équerres – sans jamais devenir des simulacres vides. Le dataïsme nie la mort ; la Maçonnerie l’embrasse comme renaissance : le grade de Maître, avec son voyage au fond de la tombe, culmine en une résurrection où l’âme accède à l’Orient Éternel. Ainsi, les deadbots pourraient être vus comme une initiation profane ratée : promettant l’éternité sans le labeur, ils produisent des imposteurs, là où la Loge forge des immortels par le feu du discernement.
Juridiquement, l’Espagne pionnière avec son « testament numérique » (2023) évoque les Anciens Devoirs maçonniques, qui régissent l’héritage spirituel. Mais attention : sans régulation, comme le vide légal dénoncé, ces fantômes deviennent des monstres, violant le consentement des disparus – un sacrilège pour le Maçon, gardiens de l’honneur.
Vers un deuil initiatique : silence ou simulacre ?

Le spiritisme algorithmique nous confronte à une choix : embrasser la mort de la finitude, ou la réhabiliter comme porte sacrée ? La Franc-maçonnerie, avec son équilibre entre ombre et lumière, nous invite à un deuil initiatique : honorer les morts non par hologrammes éternels, mais par un silence fertile, où l’âme persiste dans l’œuvre collective. Comme le conclut l’article : « Laissons les morts reposer. » Dans la Loge, ce repos n’est pas oblivion, mais germe d’éternité – un contrepoison au dataïsme, rappelant que l’immortalité se gagne, non se programme.
Demain, face aux FedBrain et HoloAvatars, les Frères pourraient tracer une voie : une franc-maçonnerie augmentée, où l’IA sert le symbole sans le remplacer. Car, au fond, le vrai spiritisme n’est pas algorithmique, mais alchimique : transformer la pierre brute de la perte en or immortel de l’Esprit.
Et vous, invoqueriez-vous un deadbot, ou un rituel silencieux sous la voûte étoilée ?
