ven 21 novembre 2025 - 10:11

Loge nationale française (LNF) : 50 ans d’une tradition

La blancheur presque nacrée de la couverture laisse jaillir, au centre, un mandala héraldique qui dit déjà l’essentiel. Trois blasons répondent à trois histoires particulières, celles de la Loge nationale française (LNF), de la Loge nationale mixte française (LNMF) et de la Franc-maçonnerie traditionnelle libre. Ils gardent chacun leurs couleurs, leurs devises, leurs arêtes, pourtant un mouvement de cercles concentriques vient les unir autour de l’écu des Loges nationales françaises unies. Une banderole affirme que « God is our guide », Dieu est notre guide. Cette formule ne se contente pas de coiffer l’ensemble, elle l’aimante.

La couverture résume ainsi une aventure d’un demi-siècle, où des ateliers dispersés ont choisi de se reconnaître comme les expressions multiples d’une même fidélité à la tradition maçonnique, placée sous la conduite d’une transcendance assumée.

Le livre ne se présente pas comme le récit d’un auteur solitaire. Il naît d’un travail de comité, ce qui lui donne une respiration particulière. Une mémoire n’y est jamais arrêtée. Elle est discutée, confrontée aux documents, reprise à plusieurs voix. Nous sentons que chaque phrase a été pesée à l’aune de la vérité fraternelle, avec ce souci constant de ne ni enjoliver ni rabaisser.

L’ouvrage parcourt cinquante années de Loge nationale française et, au-delà, dresse la silhouette des Loges nationales françaises unies. Il raconte la naissance, les premières années parfois rugueuses, la stabilisation, puis l’extension de ce courant maçonnique qui a voulu retourner aux sources des rituels français, tout en assumant les défis de la modernité. L’écriture demeure d’une grande sobriété, mais la matière qu’elle déploie porte une densité spirituelle réelle.

René Guilly

Au centre de cette fresque se tient René Guilly (1921 – 1992), journaliste, historien et critique d’art, conservateur de musée, Franc-maçon, maçonnologue et martiniste, qui choisit comme nom de plume et de loge René Désaguliers. L’ouvrage montre un homme habité par une intuition simple et ardente.

Pour lui, la Maçonnerie ne peut se comprendre qu’en référence à ses sources rituelles authentiques. Il explore patiemment les manuscrits, les rituels anciens, les usages des premières Loges françaises. Il ne le fait pas pour le seul plaisir érudit. Chaque découverte vise à nourrir une pratique vivante, à rendre à l’initiation sa précision, sa cohérence, son rayonnement intérieur. Le livre rappelle qu’il consacra presque un quart de siècle à cette seule mouvance, sans dispersion ni compromis. L’œuvre de René Guilly apparaît ainsi comme une offrande continue, où tout le savoir, toute l’énergie, toute la foi maçonnique se laissent orienter vers une même construction.

Loges-Nationales-Françaises-Unies

Les auteurs décrivent avec finesse les grandes étapes de cette histoire.

La fondation, à la fin des années soixante, surgit dans un paysage maçonnique encore marqué par les recompositions de l’après-guerre. Quelques Frères décident de quitter les chemins balisés pour bâtir un espace plus conforme à ce qu’ils ont découvert dans les textes fondateurs. Viennent ensuite les années héroïques, où tout reste fragile, des locaux aux moyens financiers, mais où la ferveur de travail en loge et l’intensité des recherches donnent aux travaux une profondeur rarement égalée. La stabilisation des décennies suivantes n’est pas décrite comme une installation confortable. Elle représente plutôt l’effort de doter cette jeune obédience de règles, de constitutions, de procédures disciplinaires, afin que la liberté retrouvée ne se disperse pas. La maturité, les périodes d’expansion, puis la recherche d’un nouvel équilibre jusqu’à l’accomplissement des Loges nationales françaises unies racontent la même tension entre fidélité aux origines et ouverture aux nouveaux frères, aux nouvelles sœurs, aux nouvelles attentes.

Ce chemin historique se trouve mis en regard d’une expérience intérieure.

Les crises qui traversent la LNF ne sont jamais exposées comme des épisodes de chronique polémique. Elles sont relues comme des épreuves initiatiques. Chaque scission, chaque tension, interroge la part d’ego et la part de service dans les décisions humaines. Les auteurs montrent comment l’obédience apprend à discerner ce qui relève de la défense d’une tradition et ce qui relève de la peur ou de l’orgueil. Cette manière de relire les événements donne au récit une profondeur ésotérique. L’histoire institutionnelle devient un miroir où chaque lecteur peut interroger sa propre manière de vivre l’initiation.

Loges-Nationales-Françaises

L’ouvrage est intelligemment illustré.

Les images ne servent pas à meubler les pages, elles prolongent le texte et l’éclairent. Parmi ces documents, une convocation de loge rappelle la rigueur et la simplicité des premiers travaux. Une convention conclue en 1961 entre l’Association fraternelle des Maîtres installés et la Grande Loge Nationale Française Opéra témoigne des racines plus anciennes de la démarche. À travers ces fac-similés, nous voyons la continuité des engagements, la manière dont une intuition spirituelle se traduit dans des actes juridiques, des signatures, des sceaux. Les portraits, les reproductions de certificats, les impressions d’armoiries composent un véritable atlas de mémoire, toujours au service du propos et jamais décoratif.

LNMF

Le livre laisse aussi une place importante au témoignage.

Les récits de frères, tels Thierry Boudignon, Grand archiviste de la LNF, et de sœurs, comme Catherine Durig, Grand Chapelain des LNFU, présents depuis les débuts ou entrés plus tard dans cette famille maçonnique, tissent en filigrane une autre histoire, celle de consciences venues chercher un chemin plus exigeant.

 Ces voix racontent la découverte progressive d’une maçonnerie où la prière rituelle, la référence à Dieu, la rigueur des gestes et des mots, ne sont pas des survivances archaïques, mais des ressources pour affronter un monde en perte de repères. À travers ces confidences, l’aventure de la Loge nationale française cesse d’être abstraite. Elle devient une succession de visages, de loges concrètes, d’orients dispersés et pourtant reliés.

L’épilogue prolonge cette perspective en inscrivant clairement les LNFU dans le paysage maçonnique français.

Le texte du Très Respectable Frère Jérôme Mlynarzyk, Assistant Grand Maître, ne se contente pas de dresser un bilan. Il propose une méditation sur la place particulière de cette obédience. Il évoque la manière dont ce courant se tient, à la fois, au cœur de la tradition et à ses marges institutionnelles. Ni bastion fermé ni obédience prête à toutes les concessions, mais corps vivant, soucieux de rester fidèle à sa vocation première. Nous percevons à travers ces pages une volonté de dialogue, fermement ancrée dans une identité assumée.

FM traditionnelle libre

Les annexes prolongent encore cette mise en perspective.

La Charte et la Déclaration de principes de la Franc-maçonnerie traditionnelle libre y sont reproduites intégralement. Elles rappellent que la démarche de la LNF s’inscrit dans une vision plus vaste de la maçonnerie, qui pense la tradition, la liberté de conscience, la référence au Transcendant et la vie fraternelle comme un tout indissociable. Nous y trouvons également la présentation, souvent accompagnée de leurs blasons, des loges, des triangles et des groupes de travail constitués successivement par la LNF, la LNMF, la Franc-maçonnerie traditionnelle libre et les LNFU. Cette cartographie donne à voir la présence de l’obédience dans de nombreux orients. Elle fait apparaître, derrière l’apparente modestie des effectifs, la réalité d’un réseau très étendu, vivant, tissé de liens fraternels au long cours.

Les annexes énumèrent encore les organismes de hauts grades qui collaborent avec ces loges.

La filière du Rite Moderne Français Traditionnel (RMFT) y est évoquée à travers les structures qui prolongent les trois premiers degrés dans la cohérence d’une Maçonnerie française de fidélité ancienne. La filière anglo-saxonne y apparaît avec les systèmes de la marque, de l’Arc Royal et des ordres associés, dont les suprêmes grands chapitres sont mentionnés. Le lecteur découvre ainsi que la LNF française ne se limite pas à la symbolique bleue. Elle assume pleinement des filiations rituelles diverses, en lien avec l’héritage britannique et avec le Régime Écossais Rectifié, dont la filière est également indiquée. Cette pluralité de parcours initiatiques, reliés à une même base symbolique, donne la mesure de la richesse de l’ensemble. La construction évoquée sur la couverture trouve là sa traduction concrète, entre ateliers de base et ordres de perfectionnement.

La voix de Roger Dachez accompagne ce volume avec une autorité tranquille. Médecin de formation, historien de la Franc-maçonnerie par vocation profonde, il a publié une œuvre considérable qui explore les origines de l’Ordre, les rituels, les crises, les relations entre maçonnerie et société civile. Beaucoup de frères et de sœurs ont découvert grâce à lui que la tradition n’est pas un mythe vague mais une réalité documentée, complexe, traversée de débats. Ses livres consacrés à l’histoire générale de la franc-maçonnerie française, ses études sur les rituels des premiers temps, ses essais plus accessibles destinés au grand public ont façonné, depuis plusieurs décennies, la culture maçonnique contemporaine. À la tête des Loges nationales françaises unies, Roger Dachez ne se contente pas de regarder cette histoire à distance. Il la prolonge, il la guide, il l’engage dans des choix concrets. Sa présence en ouverture de ce volume et son implication dans l’obédience donnent à l’ensemble une cohérence rare.

Sa biographie ne peut se réduire à un enchaînement de titres.

Elle témoigne d’une fidélité à trois exigences que l’ouvrage laisse transparaître. Une exigence de rigueur intellectuelle, par la vérification constante des sources, l’analyse des contextes religieux et politiques dans lesquels la maçonnerie s’est développée. Une exigence pédagogique, par l’effort de rendre ces recherches accessibles sans jamais céder à la simplification outrancière. Une exigence initiatique enfin, car il ne se contente pas de parler de la maçonnerie, il y engage son existence, son temps, ses responsabilités. Cette triple fidélité irrigue l’ensemble du livre, même lorsque sa plume se fait discrète.

À la fin de la lecture, nous avons traversé davantage qu’un récit d’obédience.

Nous avons suivi la trajectoire de Maçons qui s’efforcent depuis plus de cinquante ans de tenir ensemble tradition, spiritualité et liberté. La Loge nationale française et les Loges nationales françaises unies apparaissent comme un laboratoire où se cherche, loin des effets de mode, une manière droite de vivre l’initiation dans le monde contemporain. L’ouvrage nous rappelle que la maçonnerie ne se réduit jamais à des structures ou à des statistiques. Elle prend corps dans la patience des travaux, dans le sérieux des rituels, dans la constance de ceux qui acceptent d’orienter leur vie vers un centre plus haut qu’eux-mêmes.

Les Éditions de la Tarente offrent ainsi bien plus qu’un livre de commémoration.

Ce volume devient un miroir tendu à chaque lecteur, qu’il appartienne ou non à cette Obédience. Il invite à relire sa propre histoire maçonnique, à interroger ce qui, dans sa loge, demeure fidèle à la promesse originelle. Il montre qu’une famille maçonnique, lorsqu’elle ose raconter sans fard ses commencements, ses essais, ses réussites et ses blessures, peut devenir un signe pour l’ensemble de l’Ordre. Au cœur de ce signe se tient la devise affirmée sur la couverture. Ce Dieu qui se propose comme guide n’impose rien, il accompagne. Il se laisse entrevoir dans la lumière discrète qui traverse ces pages, dans la fraternité têtue de ces loges dispersées, dans le travail obstiné de ces frères et de ces sœurs qui ont choisi de croire qu’une tradition vivante peut encore éclairer notre temps.

Histoire de la Loge Nationale Française (LNF) – Les 50 premières années d’une aventure maçonnique

Collectif – Avant-propos de Roger Dachez/Les Éditions de la Tarente, 2025, 158 pages, 20 €

Les Éditions de la Tarente, le site

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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