ven 14 novembre 2025 - 15:11

Le mot du mois : « Horizon »

L’horizon vient du grec *horos, la limite. *Orizô, je trace une limite. Il participe aussi de l’idée de « sillon » tracé dans un champ, qui se voit marqué par des bornes de délimitation. Quelques avatars phonétiques se retrouvent aussi en latin. Le champ lexical n’est guère pléthorique, horizon, horizontal, aphorisme. L’aoriste, temps verbal grec, correspond au passé simple français, au prétérit anglais. Un passé strictement limité à une action ponctuelle, historique. Sans durée ni valeur répétitive. Contrairement à l’imparfait.

L’horizon est le point aveugle, la limite indépassable entre ciel et terre, ciel et mer.

Horizontalité matérielle et terrienne du « plancher des vaches », verticalité des ciels et des cieux. Mais… car il y a un mais à cette apparente définition sans difficulté. L’horizon a, depuis longtemps, suscité son lot de réflexion, de perplexité, d’inquiétude. Une limite ? Certes. Mais qu’y a-t-il derrière elle ?

Que ce soit dans une perspective « platiste » de l’univers, ou que l’innovation mentale des penseurs scientifiques, depuis Ératosthène dès l’Antiquité, vienne en prouver la sphéricité, combien difficile il est de concevoir l’existence d’« autre chose » au-delà de cette limite ! Une Terre plate, « au bout » de laquelle la chute dans le grand vide serait assurée ? Une sphère qui poserait l’existence « à l’envers » d’autres humains ? Comment se voir la tête en bas ?

Comment expliquer que, de ce bateau là-bas, à l’horizon, on voit d’abord le mât avant d’en repérer la taille même minuscule, ou qu’il s’escamote progressivement dans la mer, sans naufrage ?

Si l’horizon crée une limite, plutôt rassurante, il ouvre en même temps à l’idée d’un au-delà assorti de l’inquiétude de ce qu’il occulte, et surtout qu’il interdit. D’autant plus que, comme chacun le sait, il recule indéfiniment à la mesure du pas que l’on fait vers lui !

Il est un appel à l’imagination, à l’invention de figures peut-être terrifiantes, à la curiosité d’escalader la montagne pour découvrir ce qu’elle cache. L’horizon comme élan, pourrait-on dire, ne laisse jamais en repos.

Ambivalence de ce mot qui désigne à la fois la borne entre la vie, concevable par la vue qu’on en a, et l’interdit du non visible sous le sceau d’un infini de danger et de mort.

« L’horizon qui souligne l’infini », comme dit Victor Hugo, qui le contempla chaque jour de son exil à Jersey.

Ligne intangible entre ciel et mer, ciel et terre, il dessine les contours de l’imaginaire, qu’on le formule en bord du ciel ou en frontière des yeux.

Mais c’est une frontière rassurante. Il n’est que de percevoir, a contrario, le presque malaise que créent William Turner dans ses marines tourmentées de batailles et d’orages, ou encore Carl Friedrich David et son Voyageur devant la mer de nuages, qui escamotent ou détournent les contingences naturelles.

L’horizon se fait alors source d’un regard plus intime, d’une respiration au rythme comme transcendé d’un univers autre, d’une expérience spirituelle dans laquelle on se laisse déborder par une émotion inédite.

But, projet, dessein, « à l’horizon des années 20.. ». La vision d’un futur encore trouble et des enjeux qui le sous-tendent ?

Dans un monde en peau de chagrin, qui se crispe entre les clôtures de ses absurdités et confisque la possibilité même d’exister, ainsi l’horizon dépasse-t-il sa définition initiale de borne, pour recouvrer la vertu première du sillon à ensemencer de rêves et d’espoirs. Parce que, en dépit de toutes les certitudes rationnelles de sa cartographie, il offre encore l’au-delà de l’œil, l’ubiquité laissée à chacun de son imprescriptible lointain, de son ailleurs.

Annick DROGOU


L’horizon comme l’ombre

Pourquoi les peintres, pour dire l’horizon, le placent-ils presque toujours dans un coucher de soleil ?
Comme si la ligne imaginaire du monde devait s’éteindre avec la fin du jour.
Comme si la fin de la lumière était le seul moyen de pressentir un au-delà du visible.

L’horizon n’est pas une fin, c’est la promesse du recommencement.
L’éphémère s’y mêle à l’infini.

L’horizon est pareil à l’ombre que chacun porte avec soi, ombre à la fois insaisissable, fuyante et mêmement fidèle.
Microcosme de l’ombre, macrocosme de l’horizon.
Même fugacité, même irréalité, même immatérialité.
L’ombre et l’horizon résument tout ce que nous ne pouvons retenir, tout ce qui nous échappe, tout ce que nous pressentons sans pouvoir le dire.

Toujours devant l’homme, l’horizon parle d’éternité.
Toujours avec l’homme, l’ombre dit la gravité.

Ce que nous ne voyons pas encore, l’horizon le porte déjà.
Il nous murmure qu’il n’est de limite que dans notre regard, que nos frontières ne sont que des perceptions restreintes.

J’aime l’idée d’un horizon comme d’un sillon à creuser.
On y enfouit ses espérances, on y sème ses désirs. Germination.

Le destin comme ligne d’horizon.
La fatalité comme ombre insécable.
Entre les deux, la lumière persévérante de la marche.

Et le midi plein, quand l’ombre a disparu : “Midi le-juste“ comme ultime horizon.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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