ven 14 novembre 2025 - 17:11

Irène Mainguy : « La fraternité en énigmes, la légende en partage »

Le livre s’ouvre comme une clairière de visages. Irène Mainguy ne plaque pas des certitudes, elle dispose des signes et nous invite à les relier. Quelques empreintes d’existence, un geste qui sauve, une parole qui porte, une œuvre qui réoriente la cité, et le nom affleure avec douceur. Le jeu des énigmes n’est pas divertissement. Il ranime l’art de reconnaître, qui est un art d’aimer.

Ce dispositif réveille la mémoire, discipline l’écoute, met à contribution ce qu’il y a de plus fraternel en nous. Deviner revient ici à se rendre contemporain d’une destinée, afin de lui donner la place juste.

Francs-maçons et franc-maçonnes dont le génie a éclairé le monde

La respiration de l’ensemble persuade. Matière riche, pourtant chaque portrait garde la netteté d’un camée. L’ouvrage traverse siècles et continents, sans perdre la précision d’une plume patiente. Nous allons des gouvernants aux savants, des artistes aux explorateurs, des bâtisseurs aux poètes, des éducateurs aux marins, des femmes de caractère aux hommes de service. La composition ménage un mouvement discret, presque rituel. Rien pour l’ostentation, tout pour la question essentielle. Qu’est-ce qui rend fraternelles ces existences au-delà des patries, des partis, des usages et des époques. La réponse tient à une fidélité de l’âme. Chacune et chacun accepte de se penser en chantier, responsable de ses outils, comptable de sa lumière.

Les noms surgissent comme des bornes d’humanité. L’émir Abd el-Kader fait de la maîtrise de soi une politesse envers l’ennemi. Salvador Allende paie de sa vie l’entêtement d’une liberté. Arnaud Beltrame accomplit l’offrande sans témoin. Winston Churchill soutient une île par la force d’une voix. Félix Éboué gouverne sans renier l’humain du gouvernant. Léon Gambetta transforme l’énergie en destin commun. Giuseppe Garibaldi marche pour unir. Joséphine magnifie la dignité souveraine. La Fayette prête serment à l’avenir. La pensée se tend et s’éclaire avec Montesquieu. La musique respire avec Duke Ellington. Le monde devient scène et souffle avec Cecil B. DeMille. L’architecture se dresse dans l’ordre et la grâce chez Alexandre Brongniart. La science murmure avec Alexander Fleming. Le rire reçoit sa part métaphysique chez Grock, le célèbre clown auguste musical suisse. Le ciel s’ouvre avec John Glenn. Toujours la même transparence finale. Derrière la fonction ou le génie, la silhouette d’un initié qui oriente ses talents vers plus grand que lui.

Joséphine Baker

Rappelons que l’auteure fait surgir plusieurs figures de femmes qui se répondent comme des constellations dans la mémoire initiatique. Edith Cowan, pionnière de la cause civique, ouvre la voie d’une citoyenneté servie par la justice et la raison. La duchesse de Bourbon rappelle que la générosité peut prendre la forme d’un art du don discret. Joséphine, souveraine au cœur éprouvé, élève la grâce au rang d’autorité intérieure. Éliane Brault, journaliste et femme de lettres, fait de la parole publique une discipline de courage. Clémence Royer, savante inflexible, place la recherche sous le signe d’une liberté sans peur. Béquet de Vienne, la philanthrope. Joséphine Baker transforme la scène en autel de liberté et prend la fraternité pour unique passeport. Louise Michel, alias « Enjolras » et surnommée la « Vierge rouge », femme de lettres.

Louise Michel

À travers elles, Irène Mainguy révèle la part féminine du Grand Œuvre, une lumière née du courage, de la beauté, du savoir et du cœur, qui rappelle que l’initiation ne relève d’aucun privilège mais d’un appel de l’esprit adressé à toute âme libre. Un cahier central d’illustrations vient donner visage à tous ces destins, il précise les traits, accompagne la levée des énigmes, accroît la connaissance de l’ouvrage en offrant à la lecture la présence silencieuse des regards.

Sir Winston Churchill
Sir Winston Churchill – crédit photo YG

La méthode d’Irène Mainguy refuse les assignations. La franc-maçonnerie ne se réduit ni à un blason ni à un uniforme. L’auteure cherche la discipline intérieure qui affleure dans les œuvres, les décisions, les paroles, les gestes de secours. Nous sentons la permanence d’un axe qui traverse les pages comme une colonne invisible. Sens de la mesure, amour de la justice, progrès de l’esprit, hospitalité pour les faibles, patience dans l’étude, joie devant la beauté. De là naît l’unité secrète du livre. Nous ne lisons pas cent vingt vies juxtaposées, nous recevons un même récit, celui d’une humanité consentant à l’initiation du temps et remettant chaque matin sa pierre à l’ouvrage.

Giuseppe_Garibaldi_1866

Les énigmes remplissent une fonction d’éveil. Elles nous dépossèdent de la paresse documentaire, nous font entrer dans la texture d’une trajectoire. Notre regard se précise, notre oreille devient plus fine, nos souvenirs se vérifient, nos préjugés sont mis à l’épreuve. L’étonnement retrouve son droit. La notoriété cesse de se faire passer pour la grandeur. Un indice devient un signe et le signe ouvre une part de vérité. Ce travail nous forme. Nous sortons meilleurs lecteurs, donc meilleurs Frères et meilleures Sœurs dans la cité.

La Fayette – USA

La diversité des domaines ne disperse pas. Tout remonte à une source commune. Les arts parlent la langue de la liberté. Les sciences cherchent la guérison du monde. La politique se fait éthique en acte. Les voyages reprennent leur nature d’épreuves et de transmissions. Le sport retrouve sa valeur d’ascèse. La musique et la poésie prennent charge d’augure. L’architecture dit la patience des formes. De Mozart à Joséphine Baker, de George Washington à Montesquieu, la chaîne ne se contente pas d’impressionner. Elle fonde une fraternité de haute lignée. Elle nous préserve d’une vision étroite de la maçonnerie réduite à des réseaux. Elle rappelle la vocation spirituelle de l’Ordre. Répondre à une convocation intérieure qui ordonne de tenir debout, de parler droit, d’agir clair.

Mozart

La langue d’Irène Mainguy unit précision documentaire et délicatesse pédagogique. Touches brèves, détails justes, rien de péremptoire. La vérité de ces vies ne tient pas à une thèse mais à une manière d’être au monde. Cette retenue donne au livre une valeur morale. Nous sortons plus exigeants envers nos promesses. Les exemples ne sermonnent pas. Ils éclairent à hauteur d’homme.

La dimension maçonnique circule partout. Non comme obsession de l’appartenance, mais comme fidélité à une pédagogie. Faire de sa vie un chantier, transformer les passions en forces, accorder l’intelligence au cœur, servir la liberté sans humilier l’adversaire, rechercher l’universel sans perdre la couleur du lieu. Les portraits dessinent une carte intérieure. Nous y reconnaissons nos vertus, nos outils, nos serments, nos attachements les plus doux. La chaîne d’union n’est pas nommée à chaque page, elle se devine dans la manière de vivre, parfois dans la manière de mourir, dans l’attention aux plus fragiles, dans le respect des lois quand elles respectent la dignité, dans le courage de dire non lorsque l’iniquité se déguise en ordre.

Il convient d’honorer la fabrique savante. Bibliographie généreuse qui ouvre des sentiers sûrs pour poursuivre l’enquête. Portraits reproduits avec tenue, compagnons patients de la résolution des énigmes, visages qui se dévoilent quand la lumière se lève. En contrepoint, un examen critique des attributions incertaines. Les illusions d’appartenance sont démêlées, les légendes confortables bousculées. Cette exigence intellectuelle n’exclut personne, elle rétablit la justesse. Elle lève nettement le voile sur celles et ceux qui ne relèvent pas de notre fraternité, afin que la chaîne demeure pure de ses maillons et fidèle à sa promesse.

Irène Mainguy – Babelio

Irène Mainguy appartient à cette lignée d’auteures pour qui le savoir demeure service. Ancienne élève de l’ENSBA et de l’INALCO, libraire, formatrice puis bibliothécaire-documentaliste d’État, elle a dirigé durant plus de vingt ans la grande et belle bibliothèque maçonnique du Grand Orient de France (GODF) à Paris. Présidente de la Société Française d’Études et de Recherches sur l’Écossisme (SFERE), elle anime rencontres et colloques où la tradition vit sans se figer. Son œuvre tisse un fil entre histoire, symbolique et pratique initiatique. La Symbolique maçonnique du troisième millénaire a rencontré un lectorat exceptionnel. Cent mille lecteurs déjà initiés ou curieux y ont trouvé une porte d’entrée vers la profondeur du symbole. Ce succès rare, durable, témoigne de la confiance accordée à une œuvre qui éclaire sans jamais appauvrir, et qui a su faire dialoguer la rigueur du savoir avec la ferveur de l’esprit. Les Initiations et l’initiation maçonnique, la trilogie La franc-maçonnerie clarifiée pour ses initiés, les études consacrées aux grades de perfection et aux degrés philosophiques, mais aussi ses explorations des mythes et des contes, en particulier 3 minutes pour comprendre la signification et le symbolisme des contes merveilleux, 3 minutes pour comprendre les cinquante plus grands mythes et légendes initiatiques, ainsi que Retrouver un ancêtre franc-maçon, attestent d’une même volonté. Mettre la science au service de la ferveur. Relier l’atelier à la bibliothèque, l’étude à la méditation. Rappeler qu’un symbole n’est pas une décoration mais une clef.

La 4e de couverture

Francs-maçons et franc-maçonnes dont le génie a éclairé le monde ne se contente pas d’additionner des noms admirables. Il propose une éthique de la reconnaissance. Il transforme le lecteur en chercheur de signes, en compagnon de destinées, en témoin d’une lignée spirituelle qui traverse l’histoire humaine. Longtemps nous reprendrons ces pages. Elles donnent envie d’être plus fidèles à notre promesse. Elles enseignent que la grandeur ne se mesure pas au bruit qu’elle fait, mais à la lumière qu’elle laisse derrière elle. Puisse chacun y puiser une force de service et une joie de transmettre.

Francs-maçons et franc-maçonnes dont le génie a éclairé le monde – 120 portraits à énigmes 

Irène Mainguy – Éditions Dervy, 2025, 336 pages, 24,90 € – numérique 16,99 €

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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