mer 12 novembre 2025 - 13:11

Des bâtisseurs de cathédrale à la Franc-maçonnerie contemporaine

Il est proposé ici de faire un retour dans le temps et de se  transporter au Moyen-âge, vers le XIIe ou le XIIIe siècle. Nous souhaitons en effet quitter par la pensée le monde contemporain, dans lequel le rationnel et le scientifique paraissent vouloir s’imposer contre le spirituel et l’intuitif, n’en déplaise aux espérances prophétiques d’André Malraux. Parmi les enseignements essentiels dispensés par l’Église à travers l’Europe depuis ses origines, la toute-puissance de Dieu apparaît primordiale.

Le Créateur tient le destin de chaque créature entre ses mains. Dès lors, il est juste de le louer et de célébrer sa Gloire lorsque règnent la paix et la prospérité. Mais si la misère et la désolation surviennent, il convient d’implorer la miséricorde divine, car les fléaux et autres malheurs ne pouvaient être que punitions venues des cieux…

Dans cette Europe médiévale, lorsqu’une cité avait quelque importance, elle entendait ne pas se laisser surpasser, ni aux yeux des hommes, ni à ceux de Dieu.

Pour célébrer comme il convenait la gloire de Dieu, afin qu’il conserve à la ville ses faveurs, on prenait la décision d’élever une cathédrale.

La décision émanait bien souvent de la population, des riches bourgeois, du seigneur du cru. Mais cette décision ne pouvait être prise que par les gens d’Église. Certes l’évêque était le chef spirituel incontesté du diocèse. Mais la bonne gestion des finances, indispensable à la conduite d’un tel projet, était le fait de l’assemblée des chanoines, constituée en Chapitre. C’est à ce dernier qu’il revenait de trouver un maître d’œuvre.

Ces experts, formant une guilde, une confrérie très fermée, avaient pour mission de tracer les plans de la future cathédrale et d’en diriger la construction. Il leur revenait également d’engager les maîtres artisans qui travailleraient sous leurs ordres, chacun dans sa spécialité.

Pour que l’édifice soit construit selon les règles de l’art, neuf maîtres artisans étaient traditionnellement réunis autour du maître d’œuvre : un maître carrier, un maître tailleur de pierres, un maître sculpteur, un maître gâcheur, un maître maçon, un maître charpentier, un maître forgeron, un maître couvreur et un maître verrier.
À leur tour, ces maîtres artisans recrutaient, formaient et encadraient les compagnons et les apprentis dont ils avaient besoin, chacun veillant à la bonne marche de son atelier.

La plupart des outils étaient fabriqués sur place, à la demande. Les forgerons façonnaient les fers, les menuisiers taillaient et adaptaient les manches, chaque outil étant adapté à un travail précis et à la main de l’ouvrier qui allait le manier.

Sept ou huit siècles plus tard, la tradition des bâtisseurs perdure, et leurs outils, s’ils se sont modernisés dans leur technologie et standardisés en s’industrialisant, existent toujours.

Chacun de nous , sans être technicien, sait ce que sont un ciseau et un marteau, un levier, une règle graduée, un niveau, un fil à plomb, une équerre, un compas à pointes sèches…
Il n’est pas sans intérêt de remarquer que ces outils, précisément, demeurent en usage, tandis que d’autres sont pour l’essentiel relégués au musée ou ne sont plus guère utilisés que par quelques rares artisans Compagnons du Devoir, pour créer le chef d’œuvre qui fera d’eux des Compagnons accomplis. On peut citer ainsi tous les outils que la Fée Électricité a transformés : le vilebrequin et le perçoir, l’herminette, voire le rabot ou la scie à araser. 

Construire une cathédrale est une tâche de longue haleine, qui va s’étendre sur plusieurs dizaines d’années. L’une des premières préoccupations du Maître d’œuvre et de ses Maîtres artisans est de construire les bâtiments qui abriteront les Ateliers de chaque métier, sans oublier celui où l’architecte tracera les plans détaillés qui déclineront la première esquisse et les plans définitifs tirés sur des plaques de plâtre pour être soumis à l’évêque en présence du Chapitre. D’autres bâtiments seront construits pour accueillir les ouvriers, recrutés par les Maîtres et qui vont passer sur le chantier souvent plusieurs années, voire l’essentiel de leur vie d’homme.

Parce qu’elle sert de maison à vivre, de logement, on donne à cette construction le nom de Loge.

Les modules préfabriqués de nos grands chantiers sont les piètres successeurs des Loges des bâtisseurs de cathédrales.

Dans son Atelier – au sens où nous disons encore aujourd’hui un Atelier d’architecture – le maître d’œuvre traçait et retraçait les plans de la construction qui allait, pour les siècles des siècles, proclamer la gloire de Dieu et la foi des fidèles. Il avait acquis son savoir en franchissant avec patience et humilité tous les degrés de la connaissance du grand art, de l’Art Royal.

Cet Art Royal remontait bien plus loin que la construction de la première cathédrale, bien avant que la chrétienté se soit étendue à toute l’Europe. Ses racines plongeaient dans l’antiquité de notre civilisation, venues de la Haute-Égypte,  passant par Jérusalem et Athènes, Delphes ou encore Alexandrie. Plus encore que royal, c’est-à-dire s’appliquant à la construction de palais pour les souverains,  empereurs et autres pharaons, l’Art Royal était un art sacré, utilisé pour ériger les Temples dédiés à Amon-Râ, Zeus, Athéna ou Adonaï Élohim.

Bien plus qu’une technique, qui permettait d’élever vers le ciel des colonnes audacieuses, c’était une Connaissance, avec un « C » majuscule. La science des proportions, la science de l’Harmonieux et du Beau. Pour que l’édifice élevé à la gloire divine lui soit agréable, il fallait que ses dimensions, son organisation, ses rapports géométriques, soit à l’image de l’univers, à l’image des proportions du Ciel et de ses constellations immuables.

Le Temple devait être la représentation microcosmique de la création macrocosmique.

Année après année, siècle après siècle, les sages astronomes avaient noté la position des étoiles dans le ciel, la demeure des dieux. Géomètres, ils en avaient tiré des nombres qu’ils considéraient comme sacrés, tel le nombre d’Or. Comment traçaient-ils un rectangle d’or ?

Ils traçaient un carré. Puis un arc de cercle, en appliquant une pointe du compas au milieu d’un des côtés du carré, et l’autre pointe à l’un des sommets de l’autre côté. Le prolongement du premier côté coupait cet arc de cercle en un point. Par ce point, ils élevaient alors à l’aide d’une équerre ou du compas une perpendiculaire aux prolongements des deux côtés du carré initial. La figure obtenue est un rectangle d’or.

Au cours de ses années d’apprentissage, puis de compagnonnage, le Maître d’œuvre avait non seulement appris la fabrication et le maniement des outils, le travail des divers matériaux, le geste juste et sûr ; il avait aussi été initié à ces mystères, compris l’usage qu’il était possible d’en faire sur la table à tracer les plans, pour que les lignes et les proportions de la demeure divine soient justes et parfaites.

Le fronton de nombreux temples, notamment en Grèce, est un triangle isocèle, semblable à celui qui surmontait dit-on la chaire du Roi Salomon dans le Temple de Jérusalem. Ce triangle isocèle est particulier en ce que son angle au sommet vaut le triple des angles à la base : les angles sont donc dans un rapport de 1 à 3 : 108 ° au sommet, 36° à chacune des bases.
C’est à Pythagore que l’on doit d’avoir remarqué que 36 est la somme des huit premiers nombres, mais aussi la somme des trois premiers nombres élevés à la puissance 3 (13 + 23 +33).
L’arche de Gilgamesh, le demi-dieu qui régnait sur la ville babylonienne d’Ourouk, mesurait trois fois 120 coudées, soit 120 x 2 = 360, 36 x 10.
Le Temple de Salomon mesurait, nous rapporte le Livre des Rois, 60 coudées de long, 30 de large et 20 de haut. 60 x 30 x 20 = 36 000, 36 x 1000. De part et d’autre de l’entrée du Temple s’élevaient les deux colonnes Jakin et Boaz, chacune haute de 18 coudées. Deux fois 18 = 36…

Ainsi la géométrie pouvait-elle être une science sacrée, habitée de mystères et clé de la connaissance.

Platon n’avait-il pas inscrit sur la porte de son école « Que nul n’entre sous mon toit s’il n’est géomètre ».
Les bâtisseurs de cathédrales étaient les héritiers de cette connaissance, les descendants des constructeurs de ces temples antiques, dont la tradition s’était perpétuée sans qu’en soient perdus ni la rigueur ni le sens.

On notera que la Franc-maçonnerie a dès ses origines, ou presque, voulu marquer sa filiation non seulement avec les ouvriers et compagnons bâtisseurs, mais aussi avec les maîtres d’œuvre.

L’ouvrage de l’Abbé Larudan, L’Ordre des francs-maçons trahi et le secret des Mopses révélé, qui date de 1745, désigne comme « Architectes » les Maçons d’un degré supérieur à celui de Maître. On retrouve cette appellation dans divers écrits du milieu du XVIIIème siècle, tandis que c’est en 1780 que le titre de « Grand Maître Architecte » est choisi pour le 12ème rang dans le Rite de Perfection élaboré à Paris par les Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident.

Le but du grade est d’enseigner à l’initié que sa mission est de poursuivre la construction du Temple, que tous les Temples sont consacrés au même Dieu, et qu’en accédant à la Connaissance par l’initiation, on se rapproche du Créateur.

L’Architecture, qui vise à tracer des plans dans lesquels se reflète l’Harmonie, la Beauté, la Rigueur de l’immense et infini chantier qu’est l’Univers, est donc la synthèse de toutes les sciences. Ce que les Anciens nommaient le Grand Œuvre.

Rappelons ici que la divine proportion, évoquée à propos du nombre d’or, sert à la construction du Delta. Trois deltas permettent de former une étoile à cinq branches, dont trois sommets consécutifs permettent de dessiner l’arc brisé caractéristique du style gothique.

On connaît le principe fondamental selon lequel ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. C’est de ce principe fort ancien que se réclame Saint Augustin dans La Cité de Dieu lorsqu’il distingue la cité terrestre et la cité céleste ; la première, construction humaine et donc imparfaite, la seconde suivant la loi de la perfection et gouvernée par l’Amour envers Dieu, envers son prochain et envers soi-même.
Une cathédrale, par ses hautes colonnes et ses voûtes quasi-célestes, est comme un reflet, une tentative humaine, de reproduire la cité de Dieu.

Une voûte est une crypte autant qu’elle est un dôme. Elle renvoie donc aux profondeurs de la Terre comme aux cieux, où siège la Divinité. La voûte est caverne et tombeau, comme elle est porte vers l’infini du Ciel et de l’Univers tout entier.

La voûte est connue depuis l’époque des palais et des temples des Assyriens et des Babyloniens. Après une phase d’éclipse au temps de l’architecture hellénistique, la voûte réapparaît dans les édifices monumentaux de la fin de l’Empire Romain. Les architectes romains, puis byzantins, et à leur suite les bâtisseurs romans puis gothiques ont fait de la voûte le principe essentiel de leurs constructions, car le seul qui permette de couvrir les nefs immenses des basiliques et autres cathédrales.

Dans son modèle architectural le plus simple, il s’agit d’un cube surmonté d’une coupole. Le cube figure la Terre, tandis que la coupole symbolise le Ciel. Il peut également s’agir de l’analogue de ce modèle en deux dimensions, deux colonnes soutenant un arc. Deux rangées parallèles de colonnes unies par des arcs définissent une nef. Ce modèle rappelle que l’univers est ordonné. Le  point culminant de la voûte est le point de sortie de l’édifice, son ouverture énergétique vers la Divinité et la Lumière.
Nombre de coupoles anciennes comportaient ainsi une ouverture au sommet, véritable « porte étroite » donnant accès au royaume des cieux.

L’arc en ogive est sans conteste la marque la plus aisément identifiable du style gothique.
Il est formé de deux arcs qui se rencontrent, formant une sorte de pointe à leur jonction. Ces deux arcs ainsi opposés, affrontés par le sommet, produisent de très fortes poussées vers le haut, tant du point de vue statique que dynamique. Nombreux sont les travaux qui évoquent le formidable courant énergétique qui semble pousser l’ensemble vers le ciel. Nombreux sont ceux aussi qui mentionnent l’impulsion qui saisit celui qui pénètre dans une cathédrale, et le pousse à se redresser.

Rien n’est fortuit dans une cathédrale, aucun tracé, aucune proportion. Tout y est symbole, à base de carrés pour figurer la terre et de cercles pour évoquer le ciel puisque le sanctuaire est en quelque sorte un centre du monde, à l’union du microcosme et du macrocosme.

Et les outils du bâtisseur sont bien plus que des objets utilitaires. Ils sont le Métier lui-même.

Sur les pierres  des cathédrales qu’il construit, chaque tailleur de pierre possédait sa propre marque qui lui était sans doute attribuée par le maître d’œuvre à la fin des quatre à cinq années d’apprentissage. Réalisées spontanément au 12e siècle, elles deviennent de plus en plus appliquées au cours des siècles suivants, jusqu’à devenir de remarquables signes de reconnaissance à la Renaissance. Les marques servaient probablement à la rémunération des tailleurs de pierre, qui étaient payés à la tâche. À partir du 15e siècle, les tailleurs de pierre devenus maîtres d’œuvre arboraient leur marque sur un écu ou un blason, souvent apposée sur les pièces maîtresses telles que les clefs de voûte ou à côté de leur portrait sculptée.

Rien, répétons-le, n’est fortuit dans le plan d’une cathédrale. Mais tout, ou presque, peut receler diverses significations, renvoyer à diverses interprétations ou origines symboliques.
Ainsi, le plan en croix latine reproduit à l’évidence la croix sur laquelle fut supplicié le Christ.

Mais il évoque aussi l’athanor, le creuset des alchimistes, qui lui-même figure une représentation symbolique du corps humain. C’est aussi le croisement entre deux directions perpendiculaires, verticale et horizontale., l’une figurant le monde matériel et l’autre le monde spirituel.

Les proportions des cathédrales sont telles qu’elles agissent sur l’esprit sans qu’il soit nécessaire d’en avoir compris le sens caché. Aucune initiation n’est nécessaire pour être saisi par l’effet résultant de l’harmonie, du sens de la juste mesure et de l’exacte proportion.

Les Collèges de Constructeurs romains héritèrent de l’essentiel des enseignements de l’école pythagoricienne. Protégés de la curiosité des non initiés par des mots de passe au secret bien gardé, leurs membres veillaient à ce que rien de filtre de leurs formules ni de leurs symboles.
Ces Collegia Fabrorum étaient placés sous la protection du dieu Janus, le Portier, donc le dieu du seuil, du commencement, de l’initiation. Ils se réunissaient dans des grottes ou dans des galeries, à l’abri des regards, à l’instar de Cronos/Saturne qui, chassé de l’Olympe par Zeus/Jupiter, s’était réfugié dans les grottes du Latium,Or ces collèges, ces confréries ne disparurent pas avec la fin de la grande époque romaine.

Les Collegia étaient encore demeurés actifs à l’état de vestiges en Occident, et de façon plus vivace et plus structurée dans l’empire romain d’Orient. C’est  là que les premiers Croisés les retrouvent vers la fin du XIe siècle. Leur savoir fut alors transmis aux associations et aux guildes ecclésiales créées par les évêques du Haut moyen-âge, et surtout par les bénédictins et les cisterciens chargés de construire les basiliques et, plus tard,  les cathédrales de l’Occident chrétien.

La rencontre des héritiers des Collegia romains avec les disciples de Saint Benoît leur permit de voir vivifié à nouveau leur traduction et leurs mystères. On trouve des traces indiscutables de cette synergie dans des écrits et des constructions datant du 6ème siècle, au cours du pontificat de Grégoire le Grand, l’auteur du rituel et du calendrier qui portent son nom, ainsi que de l’époque des maîtres comacins, dès le début du 8ème siècle.

La Franc-maçonnerie de métier, dont les Compagnons du Devoir sont les héritiers « opératifs » est née et s’est organisée à partir de cet héritage. Mais d’autres traditions, par exemple celtique, étaient aussi à l’origine de ces mesures harmoniques et de ces représentations des figures et des proportions de la Nature. Tant sur le plan que sur la projection en trois dimensions de ces édifices voués à la gloire divine, on mettait en œuvre des techniques de géométrie extrêmement sophistiquées.

Les carnets de croquis de Villard de Honnecourt, qui donne son nom à des cahiers et à des conférences publiques de l’une des obédiences maçonniques françaises, révèlent quelques uns de ces rapports de proportions entre figures humaines, emblématiques, architecturales et géométriques.

Ce sont ces techniques, et les simples instruments de géomètre de leurs étuis de mathématiques, qui permirent aux architectes de la cathédrale de Chartres de résoudre graphiquement le problème jusque-là insoluble de la quadrature du cercle.

Nous devions évoquer ici l’étendue de la Connaissance que révèle l’étude de l’iconographie des cathédrales. On peut en donner de multiples exemples en évoquant les représentations du zodiaque, des arts libéraux, de la mandorle, etc… Certains des artistes chrétiens qui, du 9e au 13e siècle, ont orné ces édifices élevés à la plus grande gloire de Dieu, rendaient simultanément hommage au Christ en majesté et aux quatre chérubins, les kérouvîm de l’Ancien Testament. Autant de signes d’une connaissance de l’exégèse symbolique et donc du contenu ésotérique de la Bible.

Il en est de même des réminiscences salomoniennes dans la construction et surtout la décoration des cathédrales. Enfin, il faut rappeler que la tradition platonicienne regroupera les mathématiques, la géométrie, l’astronomie et la musique, tandis que la chrétienté médiévale nommera cet ensemble le quadrivium, en lui attribuant une finalité métaphysique.

Il n’est pas nécessaire de justifier le rôle de la géométrie et du calcul mathématique dans la conception des cathédrales. Nous avons également évoqué le symbolisme de la voûte, représentation des cieux, et donc de la présence de l’astronomie dans ce processus créateur.

Comment ne pas lier cathédrales et musique ? Comment ne pas entendre, jaillissant du chœur, emplissant la nef et les transepts, s’élevant jusqu’au faîte de l’édifice, la saisissante musique des neumes et du chant grégorien, ou la force majestueuse du jeu d’orgue ?

Alors que l’harmonie, la beauté et la justesse des proportions d’une cathédrale sont accessibles à tous, le sens des marques compagnonniques laissées par les bâtisseurs moyenâgeux, ces signes gravés, n’est, cependant, accessible qu’aux initiés, à ceux qui ont reçu la connaissance et savent reconnaître ces marques symboliques.

Une grande partie de la symbolique maçonnique est empruntée à celle, précisément, des maçons de métier.

Les travaux d’une Loge de Francs-Maçons se déroulent de midi à minuit, à l’instar d’un chantier et de ses différents ouvrages, faisant appel à différentes techniques et donc à différents outils. L’Apprenti devra manier le ciseau et le maillet, afin de dégrossir la pierre brute. À mesure de sa progression, à chaque étape de la progression initiatique, le Franc-Maçon se doit de découvrir puis de maîtriser l’usage et le symbolisme d’autres outils.

Sur l’autel des serments se trouvent un compas et une équerre.
Le compas est l’outil avec lequel le Grand Architecte de l’Univers a dessiné le monde.
Vingt siècles avant Galilée, le Livre des Proverbes énonçait que « la Sagesse était là lorsque Dieu affermit les cieux, lorsqu’il traça un cercle à la surface de l’abîme, […] jouant sur le globe de sa terre. »
C’est la même idée qu’évoque Dante dans le Chant 19 du Paradis : « la sagesse profonde qui, d’un tour de compas ayant tracé le monde, de germes apparents ou cachés l’a rempli. »
Le compas avec lequel on dessinait au Moyen-âge sur une surface de plâtre soigneusement lissée était un compas à pointes sèches, à branches droites. C’est ce compas droit qui se retrouve sur l’autel des serments d’une Loge maçonnique régulière.
Ce type de compas sert à tracer des cercles ou des arcs de cercles, mais aussi à reporter des mesures, des dimensions, d’un plan à un autre.
Il existe une variété particulière de compas droit, également à pointes sèches : le compas d’appareillage.
Naturellement, l’écart des pointes d’un compas varie selon l’angle au sommet. Les architectes étalonnaient ainsi leurs compas, en faisant correspondre un angle d’ouverture à une longueur de l’écart entre les pointes.

Dès lors, en utilisant une simple règle ou des repères gravés sur une canne, on pouvait aisément vérifier des angles à 30°, 45°, 60° et surtout 90°. Ainsi, le compas pouvait servir d’équerre et de fausse équerre.

En Franc-maçonnerie, l’ouverture du compas ne dépasse pas 90°, comme pour signifier que notre connaissance ne peut s’ouvrir à l’infini. Franc-maçonnes et Francs-maçons  sont contraints de demeurer dans les limites où la matière les tient prisonniers. 180° serait la connaissance totale, celle de la Lumière divine elle-même. 0° est naturellement la valeur qui correspond à l’ignorance, à l’aveuglement. Entre les deux, 90° est la valeur médiane qui marque l’équilibre harmonieux entre le matériel et le spirituel. Cette valeur, celle du Juste Milieu, est celle de la Sagesse vers laquelle tend le Franc-maçon.

Dès le Manuscrit Dumfries de 1710, il est fait allusion au compas :« Combien y-a-t-il de colonnes dans votre Loge ? –     Trois. Quelles sont-elles ? L’Équerre, le Compas et la Bible »…
En 1730, le tuileur de Prichard pose les questions suivantes : « Comment vous a-t-on reçu Maçon ? -…le compas ouvert sur le sein dénudé »… et un peu plus loin «  Quels sont les autres objets meubles de la Loge ? – La Bible, le Compas et l’Équerre. À qui appartiennent ces objets ? – La Bible, à Dieu, le Compas, au Maître »

Le Compas se trouve sur le tableau de Loge au Grade d’Apprenti. La tradition veut qu’il y symbolise l’outil par excellence, et donc le Grand Architecte de l’Univers lui-même.

L’Équerre paraît plus simple symboliquement que le compas. D’emblée, on conçoit qu’elle signifie rigueur, précision, rectitude. Par goût du paradoxe, d’aucuns ont fait remarquer que l’équerre étant un instrument irréfutable – un angle est droit, tout à fait droit, ou il ne l’est pas, l’équerre symbolisait donc l’irréfutable, alors que la Maçonnerie tend à inciter au doute méthodique, au scepticisme, au refus des certitudes définitives et dogmatiques.

Certes. Mais la Maçonnerie, si elle travaille avant tout sur l’esprit, et  sur celui du Franc-Maçon lui-même avant tout, n’en reconnaît pas moins la réalité de la matière, du concret, du contingent.

Dans ses actes comme dans ses pensées, le maçon doit s’illustrer par sa rectitude, sa justesse. Parce que l’angle donné par l’équerre donne toujours la même valeur, 90°, l’équerre signifie également la justice, l’équité.

On pourrait préciser ici quel les branches de l’équerre maçonnique sont dans un rapport de 3 à 4. Ainsi, l’hypoténuse du triangle formé par les deux branches vaut, selon Pythagore, Ö  32 + 42  = 5.

Ce triangle dont les côtés valent respectivement 3,4 et 5 est le triangle sacré des Égyptiens.
Selon Plutarque, qui rapporte la tradition thébaine, la ligne verticale représente l’élément masculin, la ligne horizontale le féminin et l’hypoténuse le fils, ce qui est engendré par les deux. Osiris est l’origine, Isis est la conception et Horus est la naissance. Le 3 signifie donc la création, la pensée en action.
Le 4 figure le monde créé, la matière. Travailler suppose donc que l’on est à la fois pleinement corps et esprit, comme le représente le 5, l’hypoténuse de notre triangle sacré. Ainsi 5 est la figuration de l’homme, ou mieux encore du sens qu’il donne à sa vie, de l’équilibre entre matière et pensée, entre réel et virtuel, entre corps et esprit.
Une ancienne tradition maçonnique assimile ainsi 3 à l’ouvrier maniant le maillet, 4 à la pierre brute et 5 à la pierre cubique, qui représente la finalité du travail, la domination, ou plutôt la maîtrise, le contrôle de la matière par l’esprit. C’est le sens de la position relative de l’Équerre et du Compas en Loge d’Apprenti.
Sur le parvis du Temple, là où œuvre l’Apprenti, il apprend qu’il travaille sur la matière. L’équerre est au-dessus du compas.

L’apprenti doit dégrossir la pierre brute à l’aide du ciseau et du maillet.
L’apprenti ne connaît pas les plans de l’édifice auquel il commence à concourir. Il n’a donc pas encore l’usage des outils qui se rapportent à la lecture et à l’exécution de ces plans.

Le maillet : il s’agit d’un outil à la double signification, au double pouvoir. Le maillet bien appliqué, par exemple sur l’extrémité du ciseau, est constructeur; tandis que le maillet asséné avec violence est destructeur. Le maillet est outil comme il peut être une arme.
Le maillet de l’Apprenti, toujours associé au ciseau, est donc le moyen d’agir sur la matière la plus difficile à maîtriser, c’est-à-dire soi-même.
Il ne faut pas le confondre avec le maillet du V.’.M.’. ou des deux surveillants, qui est la marque de la puissance et de l’autorité qui leur est conférée.

De la même manière, le ciseau bien appliqué domestique la pierre brute, tandis qu’il peut, entre des mains violentes, se révéler une arme redoutable. Le juste maniement du ciseau, l’angle et la force avec lequel on l’applique sur la pierre avant de le frapper d’un coup précis et mesuré, se rapportent à l’attitude du maçon, qui doit être conscient de sa nature, de ses qualités comme de ses défauts et de ses limites, maîtriser sa force, dominer ses pulsions anarchiques.
Le ciseau est la pensée arrêtée, la résolution prise, tandis que le maillet est la volonté qui les met à exécution.

Au fur et à mesure de sa vie maçonnique, l’Initié découvrira ainsi comment les outils dont se servaient jadis les bâtisseurs de temples et de cathédrales lui sont aujourd’hui utiles pour structurer sa pensée et se construire lui-même.

Lorsqu’il est nu, l’être humain dispose encore de deux outils : sa tête, siège de son esprit, de son intelligence et de sa raison comme de ses facultés créatrices, et ses mains lui permettant de traduire dans le monde concret ce qu’élabore son esprit.
Ils sont l’outil effecteur de son Art, au sens où se mot s’applique à l’artisan autant qu’à l’artiste.

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Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski, initié en 1984, a occupé divers plateaux, au GODF puis à la GLDF, dont il a été député puis Grand Chancelier, et Grand- Maître honoris causa. Membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, admis au 33ème degré en 2014, il a présidé divers ateliers, jusqu’au 31°, avant d’adhérer à la GLCS. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur le symbolisme, l’histoire, la spiritualité et la philosophie maçonniques. Médecin, spécialiste hospitalier en médecine interne, enseignant à l’Université Paris-Saclay après avoir complété ses formations en sciences politiques, en économie et en informatique, il est conseiller d’instances publiques et privées du secteur de la santé, tant françaises qu’européennes et internationales.

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