lun 10 novembre 2025 - 15:11

Analyse du meurtre d’Hiram

Pour bien comprendre le sens du meurtre d’Hiram, il convient de jeter un regard sur ce que nous révèle le rituel de la cérémonie d’initiation au grade de Maître. Après que les compagnons postulants à ce grade ont fait la preuve de leur innocence, ils reçoivent une révélation des circonstances du crime. Nous passons ainsi du temps présent au temps du récit, ce qui situe la cérémonie après l’événement du crime inouï. La Chambre du Milieu et l’enjeu du crime.

Nous apprenons que les compagnons criminels ont résolu « de pénétrer dans la Chambre du Milieu de gré ou de force ». Or, la Chambre du Milieu est, dans le Temple, le lieu où se concevaient les plans et où l’on recevait les secrets du métier : un lieu où rayonne la Lumière et où la Parole est présente. L’enjeu du meurtre est donc la possession de secrets capitaux liés à l’architecture du Temple de Jérusalem. Nous verrons ultérieurement l’importance majeure de cette donnée.

Les trois portes du Temple : un symbolisme ésotérique

Un autre élément du récit retient notre attention : les trois portes du Temple par lesquelles Hiram tente de fuir, mais se trouve empêché par ses trois meurtriers.Ce détail renferme un sens ésotérique très mystérieux et difficile à déchiffrer. On sait que les portes, en maçonnerie comme dans d’autres traditions initiatiques, symbolisent le passage du profane au sacré, du monde terrestre au monde céleste. Elles peuvent donc être des symboles de mort et de renaissance.

Mais pourquoi Hiram se dirige-t-il d’abord vers la porte du Midi ? Le Midi est le symbole de la plus forte concentration de la Lumière. Est-ce parce qu’Hiram, au sommet de la Connaissance, n’a plus rien à acquérir et ne peut s’échapper par cette porte ?On comprend mieux l’interdiction de la porte de l’Occident : l’Occident est la porte de l’incarnation, de la naissance à la vie spirituelle ; elle ne peut concerner un être qui a reçu des secrets divins. Hiram se réincarnera par une autre voie, par la naissance de la Maçonnerie.

Reste l’Orient, également fermé, mais devant lequel il reçoit le coup fatal. Cela indique que c’est en fait la seule issue qui lui est laissée et par laquelle il atteindra la résurrection.À la réflexion, cette fermeture absolue des issues du Temple – lieu sacré par excellence et figure du cosmos visible et invisible – nous signifie peut-être qu’en raison de sa nature de grand initié, Hiram était déjà un être divin qui n’appartenait plus à la sphère terrestre, mais au monde de la Lumière éternelle.Il faut reconnaître que nous sommes devant une symbolique hermétique qui autorise diverses hypothèses.

La substitution des acteurs du crime

Un autre aspect du récit de l’assassinat d’Hiram m’intrigue depuis longtemps. Dans le texte qui reproduit la légende, on ne parle que des mauvais compagnons. Mais curieusement, ce n’est pas à des compagnons que l’on demande de mimer les gestes du crime : ils seront exécutés par les deux Surveillants et le Vénérable Maître. Cette substitution ne peut que nous interpeller par la signification qu’elle suggère.

N’est-ce pas une manière de nous révéler que le crime n’incombe pas à une seule catégorie d’individus, mais que tous les Maçons – dans la mesure où ils sont encore prisonniers de passions profanes, y compris les meilleurs Officiers – peuvent trahir l’esprit et se rendre complices de la mort du Juste ?A fortiori, l’accusation peut s’étendre à tous les humains.On peut faire ici un parallèle avec les interprétations diverses des responsabilités humaines dans la mort du Christ. Dans les deux cas, on doit d’abord accuser le mal qui est en chaque homme.

Seul le compagnon impétrant, une fois son innocence établie, va jouer de bout en bout le rôle d’Hiram, revivre sa mort et surtout sa résurrection – qui n’est possible que parce qu’à ce moment capital de sa vie initiatique, on considère qu’Hiram, triomphant et radieux, s’est réincarné en lui.

Ignorance, fanatisme, ambition : les trois passions criminelles

Le meurtre d’Hiram nous met non seulement en présence du mystère de la mort, mais aussi de la réalité évidente du mal à travers les désirs criminels des trois mauvais compagnons.

Nous examinerons tour à tour les trois passions qui leur sont attribuées par le rituel et qui ne sont que des facteurs ordinaires du mal dans le monde profane. L’ignoranceLe premier des maux est l’ignorance. De quelle ignorance s’agit-il ici ? Elle ne peut être le contraire de la connaissance technique, car le compagnon constructeur du Temple de Salomon a reçu une formation professionnelle. L’ignorance des mauvais compagnons est l’opposé de l’initiation. Ce qu’ils ignorent, c’est d’abord l’essentiel de la Loi morale : le respect de la vie, de la liberté et de la personne de l’autre.

S’agissant d’Hiram, leur aveuglement est beaucoup plus grave : ils sont insensibles aux vertus et aux valeurs maçonniques incarnées au plus haut degré par l’Architecte du Temple. En eux, l’esprit n’a pas opéré cette alchimie transformatrice qui rend capable de percevoir le degré de perfection des autres. Ils sont restés des pierres inertes, dépourvues de tout pouvoir de perfectionnement.Ils méconnaissent aussi une loi de l’initiation : le dévoilement des secrets ne peut se faire qu’à des esprits mûrs. Ils sont incapables de concevoir la nature de la connaissance initiatique et sa finalité : le perfectionnement de son être et de sa pensée.

Cette erreur en entraîne une autre : croire qu’un secret énorme, transmis sans doute par le Grand Architecte Lui-même et, comme nous le verrons, incommunicable pour cette raison, pouvait être communiqué au premier venu comme un savoir profane. Cette ignorance-là fut le moteur initial du crime.

Le fanatisme

Le second criminel symbolise le fanatisme. L’emploi de ce terme peut sembler problématique. Rien dans le rituel n’indique que les meurtriers aient tué au nom d’une croyance justifiant le meurtre. Le fanatisme a ici un sens différent : le fanatique est un être tellement possédé par la passion de dominer, de soumettre les autres à ses conceptions et à sa volonté qu’il est totalement incapable de se mettre à leur place, de les respecter, et même d’entrer réellement en communication avec eux.

Cette passion du pouvoir – qu’elle cherche une légitimation idéologique ou qu’elle soit pure manifestation d’un ego exacerbé – est véritablement une figure de la mort de l’homme. Nous pouvons vérifier cette théorie régulièrement, y compris dans nos rangs.

Le meurtre de celui qui résiste à cette volonté de domination est dans la logique de cette passion. Les mauvais compagnons sont animés par le désir de s’emparer des pouvoirs qu’ils pensent obtenir par la possession de la Connaissance hermétique.

L’ambition

Ainsi défini, le fanatisme de l’ego est très proche de l’ambition attribuée aux mauvais compagnons, qui veulent à toute force s’approprier l’autorité du Maître dont ils sont incapables d’acquérir la Connaissance et la Sagesse. Il peut exister des ambitions nobles : se perfectionner, progresser dans la connaissance et la maîtrise de soi. Mais l’ambition des assassins se nomme, dans un langage moderne, « volonté de puissance » : affirmation de son individualité au mépris des autres, désir de dominer par la force – quelle que soit sa nature – pour se procurer des avantages personnels.

C’est une manière de tuer l’homme dans la personne de l’autre, mais aussi en soi-même, car cette ambition est le contraire absolu de l’amour, la fermeture à toute sympathie, générosité, compréhension, partage et amitié. Ce sont bien des figures majeures du mal – du non-respect de l’autre et de sa réduction en objet – qui sont à l’origine du meurtre d’Hiram. Hiram est mort à cause des mauvais compagnons, allégories de notre nature tant que nous n’avons pas accédé à la maîtrise véritable, tant que nous ne sommes pas relevés du cercueil des passions égoïstes par les cinq points parfaits de la Maîtrise et ressuscités avec Hiram par la conversion de l’esprit.Les mauvais compagnons sont des êtres captifs du monde profane, morts à l’esprit et au sacré, incapables de ressusciter dans un monde spirituel.

Les outils maçonniques – l’équerre, le fil à plomb et le maillet –, indispensables à l’édification du Temple intérieur, sont devenus entre leurs mains des instruments de mort : symbole terrible de la perversion totale de l’intelligence, de la connaissance et de la raison. Hors de l’inspiration de l’esprit, la raison peut servir au meurtre. L’histoire du dernier siècle et bien d’autres dérives de notre civilisation attestent cette vérité essentielle.

Signification de la mort d’Hiram

Le meurtre d’Hiram commandait une réflexion sur le mal et l’inhumanité de l’homme. La manière dont il a accepté sa mort nous ouvre la voie de la plus haute spiritualité maçonnique. Sa résurrection nous découvre l’horizon de l’immortalité et de la solidarité entre la Maçonnerie terrestre et celle de l’Orient éternel, symbolisée par la Chaîne d’Union qui réunit les vivants et les morts dans la pérennité du Grand Œuvre.

La valeur sacrificielle de la mort d’Hiram

Parce qu’elle est acceptée, la mort d’Hiram prend une valeur sacrificielle. Quelle que soit l’injustice du crime, Hiram ne résiste pas à ses agresseurs parce qu’il est trop initié pour dégrader son âme par l’usage de la violence. Cela se manifeste par son refus de transformer les outils en armes. Hiram aurait pu échapper à la mort en livrant quelques secrets. Mais la Loi divine lui interdisait de le faire. Il se laisse assassiner pour ne pas révéler un secret qu’aucun profane – sans doute aucun Maçon – n’est habilité à connaître.

Après sa mort, le mot de Maître a été définitivement perdu ; nous sommes depuis condamnés à l’usage de mots de substitution. Le meurtre d’Hiram est l’équivalent d’une nouvelle chute de l’homme : avec lui disparaît la possibilité d’une relation directe entre l’homme et le divin. Il était un Médiateur essentiel.Le rituel précise : « Hélas, lui seul possédait le secret de l’œuvre en cours d’exécution. » Cette disparition n’est pas un simple accident. Hiram aurait pu transmettre sa haute Connaissance à un autre Maître. S’il ne l’a pas fait, c’est qu’elle était intransmissible.

L’intransmissibilité du Secret véritable

Hiram a reçu – soit indirectement par Salomon, l’Homme universel qui dialogue avec le Grand Architecte, soit du Grand Architecte Lui-même – les grands secrets initiatiques que le Temple de Jérusalem avait pour fonction de traduire en symboles. Il ne s’agit pas des secrets propres à chaque degré, mais de l’ordre cosmique tout entier, visible et invisible, ainsi que des mystères de la Création, de la nature du divin, de l’existence de l’homme et de sa finalité.

Celui qui a reçu du Grand Architecte une Vérité aussi énorme ne peut la transmettre à personne. Hiram est donc détenteur de la Connaissance primordiale ; toute la Lumière initiatique qu’il nous a léguée passe par l’architecture et la symbolique du Temple.Cette hypothèse donne un sens plus fort au meurtre : les mauvais compagnons, pénétrés d’esprit magique et désireux d’utiliser l’initiation à des fins de domination, ne pouvaient qu’être tentés par la possession de secrets divins leur conférant des pouvoirs inédits sur la nature, les hommes et la destinée.

C’est pour sauver ce Secret qu’Hiram a accepté la mort. Ce sacrifice fait de lui un héros du Devoir, valeur essentielle de l’éthique maçonnique. Son devoir fut de ne pas livrer le mot de Maître, symbole de toute la Connaissance initiatique inscrite dans le Temple. Ce geste héroïque fait d’Hiram l’incarnation de toutes les vertus de la Maçonnerie. Il demeure le parfait Maçon, modèle absolu que chaque Maître doit s’efforcer d’accomplir.

La résurrection d’Hiram et l’immortalité

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La résurrection symbolique d’Hiram à travers le rite du relèvement du postulant couché dans le cercueil fait du meurtre un dévoilement essentiel de l’immortalité de l’âme et de la fonction libératrice de l’initiation. Au 3e degré, cette mort inséparable d’une résurrection révèle un message capital : le caractère illusoire de la mort physique, simple passage à une vie supérieure de l’esprit libéré des servitudes corporelles – l’Orient éternel.

L’initiation maçonnique retrouve ici le sens profond de toutes les grandes traditions initiatiques : représenter symboliquement l’entrée de l’âme désincarnée dans l’univers de la Lumière où elle reçoit la Connaissance suprême recherchée en ce monde. L’Orient éternel est la finalité ultime de l’initiation, libérant l’esprit de l’angoisse existentielle.

Mais la résurrection d’Hiram révèle une autre dimension de l’immortalité : celle de l’Ordre maçonnique à travers la renaissance de l’Architecte à chaque naissance d’un nouveau Maître – analogue à la résurrection du Christ dont l’esprit d’amour et de sacrifice se perpétue dans ses fidèles.Comme le Christ, Hiram mort fait l’objet d’une apothéose, suivie d’une réincarnation dans l’esprit de chaque Maître, incité désormais à vivre selon les exigences de la Maîtrise.L’Ordre maçonnique est, en quelque sorte, le corps mystique de son Bâtisseur modèle.

Conclusion : perpétuité du cycle initiatique

À travers la légende d’Hiram se découvre la perpétuité du cycle des morts et des résurrections, la solidarité des générations, des initiés disparus et des initiés vivants, toujours unis dans l’accomplissement du Grand Œuvre.

La Chaîne d’Union est le magnifique symbole de l’invincible éternité de la création spirituelle.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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