Dorique, Ionique, Corinthien, Toscan, Composite.
Le nom des cinq ordres d’architecture semble réservé aux architectes ou aux spécialistes des monuments historiques. Alors, pourquoi leur consacrer un temps important, ne serait-ce que lors de la cérémonie de passage au deuxième degré ?
Parce que l’architecture est au cœur de la symbolique maçonnique. Nous nous vouons à être des bâtisseurs, non plus de cathédrales ni de basiliques, mais de nous-même, et de la société autour de nous. Notre construction est spirituelle, même si elle doit se traduire dans l’action, dans le concret.

Depuis les origines, la maçonnerie est appelée Art Royal. Cette appellation ne fait pas référence à un souverain, mais renvoie à l’appellation de roi du monde utilisée par diverses traditions pour désigner l’entité créatrice, le principe créateur. Ici « roi » ne signifie pas monarque, mais plutôt celui ou ce qui régit, qui règle. Pour le Franc-maçon de Rite Écossais Ancien et Accepté, c’est donc au Grand Architecte de l’Univers que l’expression « Art Royal » fait référence. Son travail en tant que constructeur, il l’exécute à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, en s’efforçant de s’inspirer dans chacune de ses pensées et de ses actions du principe qu’expriment les trois piliers – Sagesse,Force et Beauté illuminés successivement lors de l’ouverture de nos travaux.
C’est aussi le sens que l’on peut donner à la devise du Rite Écossais Ancien et Accepté, qui figure à l’Occident de ses temples, au-dessus des colonnes J et B : Ordo ab Chao. Nous nous engageons à faire triompher l’ordre sur le chaos.
Les Francs-Maçons donnent donc à l’architecture une place particulière dans leurs références. Il faut savoir que chez les maçons opératifs, les termes de géométrie, de maçonnerie et d’architecture étaient employés comme des synonymes.
Et la lettre « G », placée au centre de l’Etoile Flamboyante, et qui est l’initiale, notamment de « géométrie », désigne non seulement la discipline qui étudie les figures du plan et de l’espace découlant du calcul, mais aussi, comme dans l’expression « esprit de géométrie », la structuration du mode de pensée. C’est l’esprit de géométrie qui nous permet de nous adapter aux situations nouvelles, à tous les cas de figure. C’est aussi l’esprit de géométrie qui nous permettra de prendre en toutes circonstances le recul indispensable pour que l’énergie dont nous disposons soit dispensée justement. C’est l’esprit de géométrie qui nous aide à tendre inlassablement vers l’harmonie.
Pour ceux qui ont à l’esprit l’opposition proposée par Blaise Pascal entre esprit de géométrie et esprit de finesse, je dirais simplement que l’esprit de finesse, moins rationnel, plus intuitif, plus délié, que l’esprit de géométrie, est responsable de ce que l’on peut appeler la “souplesse de la pensée“. En chacun de nous, les deux modalités sont conjointes. Et l’idéal est naturellement le juste équilibre entre les deux.
Maçons, nous sommes donc symboliquement géomètres et architectes.

Il est alors logique que nous nous intéressions aux ordres d’architecture. En fait, cette expression apparue au cours de la Renaissance renvoie aux colonnes qui soutenaient et ornaient les bâtiments de l’Antiquité.
Chaque colonne est définie par le rapport du diamètre de son fût – c’est-à-dire de la partie qui se situe entre sa base et son chapiteau – et sa hauteur. Le rapport hauteur sur diamètre du fût est compris entre deux et cinq. Chaque ordre d’architecture correspond à des proportions, donc à un rapport numérique, spécifique.
Naturellement, l’esthétique d’une colonne, l’impression qu’elle engendre, dépendent non seulement de ce rapport, mais aussi de la forme et de la hauteur de sa base, ou socle, de son chapiteau, qui est à son sommet, et de son entablement, qui est ce que la colonne supporte, jusqu’à la corniche ou à la cimaise.
Classiquement donc, et en particulier dans notre rituel, on distingue cinq ordres d’architecture, trois grecs et deux romains.
Les trois ordres grecs sont le Dorique, le Ionique et le Corinthien.

Pour en avoir un exemple, il vous suffit de regarder les trois piliers de votre Loge :
Le pilier Sud-Est, dont l’étoile est allumée à l’invitation du V\M\ , et qui correspond à la Sagesse, est une colonne ionique,
Le pilier Nord-Ouest, qui est illuminé à la demande du Premier Surveillant, et qui correspond à la Force, est une colonne Dorique,
Le pilier Sud-Ouest, illuminé à la demande du Second Surveillant, correspond à la Beauté, et est une colonne Corinthienne,
Selon Vitruve si la colonne dorique symbolise le corps de l’homme, l’ionique celui de la femme, l’ordre Corinthien symbolise le corps de la jeune fille. La référence à un végétal permet également d’en faire le symbole de la nature et, plus généralement, de la vie et de son renouvellement. Le système proportionnel détermine des caractéristiques morphologiques rapprochées de celles du corps humain. Ainsi, l’ordre dorique, considéré comme plus trapu en raison de ses proportions, est assimilé à la force virile. À l’inverse, la colonne ionique, plus élancée, est reconnue comme incontestablement féminine, en raison aussi de son chapiteau orné de volutes. Cette sexualisation des ordres d’architecture est importante dans la question du sens que l’on veut faire porter à l’édifice qui les emploie. Sans en faire une règle générale, on recourra à l’ordre dorique pour le temple dédié à Apollon à Delphes, l’ordre ionique pour le temple de l’Athéna victorieuse à Athènes, et l’ordre corinthien pour le temple de Vesta à Rome (On appréciera la complexité des ordres architecturaux avec Les dix livres d’architecture de Vitruve, corrigez et traduits nouvellement en françois avec des notes et des figures, 1673, en particulier le Livre IV de l’ouvrage qui évoque l’origine et l’invention des trois ordres principaux
L’ordre dorique est le plus ancien des ordres d’architectures grecs, remontant au 7ème siècle avant notre ère. Son nom lui viendrait de Dorus, fils d’Hellên, roi d’Achaïe et du Péloponnèse. L’ordre dorique est le plus simple, le plus dépouillé des trois ordres grecs.
L’art dorique s’est épanoui au Ve s. av. J.-C. Vingt cannelures apportent du relief aux colonnes massives qui se terminent au sommet par des chapiteaux à échine plate, lisse, sans sculpture, nue, sans décors. Le style dorique est caractérisé par l’absence de base. Vitruve explique qu’il est construit sur la base des proportions du corps humain de sexe masculin : «Quelle que fût la grosseur d’une colonne à son pied, ils [les architectes] lui donnèrent une hauteur sextuple, y compris le chapiteau. C’est ainsi que la colonne dorique prit l’empreinte des proportions, de la force et de la beauté du corps de l’homme».
Wiliam Preston en dit : L’ordre dorique, simple et naturel, est le plus ancien et a été inventé par les Grecs. Sa colonne a huit diamètres de haut et a rarement des ornements sur la base ou le chapiteau, à l’exception des moulures ; bien que la frise se distingue par des triglyphes et des métopes, et les triglyphes composent les ornements de la frise. La composition solide de cet ordre lui donne une préférence, dans les structures où la force et une noble simplicité sont principalement requises. Le dorique est le mieux proportionné de tous les ordres. Les diverses parties dont il se compose sont fondées sur la position naturelle des corps solides. Dans sa première invention, il était plus simple que dans son état actuel. Plus tard, lorsqu’elle commença à être ornée, elle prit le nom de dorique ; car lorsqu’il a été construit dans sa forme primitive et simple, on lui a conféré le nom de Toscane. Par conséquent, le toscan précède le dorique en rang, à cause de sa ressemblance avec ce pilier dans son état primitif
Les colonnes de l’ordre dorique ont une hauteur égale à 8 fois leur diamètre de base. Elles dégagent une impression d’austérité, de puissance et de robustesse. Elles allient donc visuellement Beauté et Raison. Elles ne comportent pas de base et repose sur le soubassement. Les colonnes doriques sont courtes et massives, ce qui contribue à l’impression de force et de grandeur.
L’ordre ionique est plus gracieux.L’ordre ionique est plus gracieux. Il viendrait des Ioniens d’Asie et du temple d’Éphèse.
L’ordre ionique se développe dans la deuxième moitié du Ve siècle av. J.-C. Il se caractérise par l’ajout, au sommet des colonnes cannelées qui se sont affinées, d’un motif sculpté. Une volute s’enroule comme une spirale en haut du fût de la colonne. L’ordre ionique (appelé également colonne ionique) est révélé notamment par son chapiteau à volutes, par son fût orné de 24 cannelures, et par sa base moulurée. Dans les volutes serait évoquée l’onde de la déesse de la beauté, Vénus, la dame de la mer parce que née de la mer, qui renvoie à Aphrodite, Astarté ou Ashérah. Vitruve raconte que les Éphésiens, à l’occasion de l’édification du temple à Artémis (Diane), divinité féminine, ont souhaité créer un ordre dont les proportions seraient celles du corps de la femme, plus élancée, soit une hauteur huit fois égale au diamètre de la colonne :
Wiliam Preston en dit : L’ionique porte une sorte de proportion moyenne entre les ordres les plus solides et les plus délicats. Sa colonne est haute de neuf diamètres ; son chapiteau est orné de volutes et sa corniche de denticules. Il y a à la fois de la délicatesse et de l’ingéniosité dans ce pilier ; dont l’invention est attribuée aux Ioniens, comme était de cet ordre le fameux temple de Diane à Éphèse. On dit qu’il a été formé d’après le modèle d’une jeune femme agréable, d’une forme élégante, coiffée ; en contraste avec l’ordre dorique, qui a été formé après celui d’un homme fort et robuste
L’ordre corinthien est caractérisé par la grande richesse de ses éléments. Il serait dû au sculpteur Callimaque de Corinthe.L’art corinthien est apparu au IVe siècle av. J.-C. Tout comme l’ordre ionique, il s’attache à représenter des motifs décoratifs.
La nature offre des modèles aux sculpteurs. Ainsi, pour orner le chapiteau, les artistes ont imité une plante ornementale aux feuilles élégamment découpées, appelée acanthe, et c’est ce décor végétal, qualifié de virginal, qui définit l’ordre corinthien. L’ordre corinthien est le second des trois ordres architecturaux grecs. Selon Vitruve si la colonne Dorique symbolise le corps de l’homme, l’Ionique celui de la femme, l’ordre Corinthien symbolise le corps de la jeune fille.
Vitruve en explique l’origine dans le premier chapitre du Livre IV de ses Dix livres d’architecture : «Une jeune fille de Corinthe, étant morte, sa nourrice posa sur son tombeau un panier contenant ses objets familiers. Pour protéger son contenu, elle mit une tuile sur le dessus. Le panier ayant été placé sur une racine d’acanthe, les feuilles et les tiges l’enveloppèrent bientôt et contraintes par la tuile, se recourbèrent, formant ainsi des volutes. Le sculpteur athénien Callimaque passant auprès de ce tombeau, séduit par cette disposition inattendue des feuilles autour de la corbeille, décida de l’imiter et de l’adapter aux colonnes qu’il réalisait en réglant sur ce modèle les proportions et le style de l’ordre Corinthien».
Wiliam Preston en dit : Le corinthien, le plus riche des cinq ordres, est considéré comme un chef-d’œuvre de l’art et a été inventé à Corinthe par Callimaque. Sa colonne a dix diamètres de haut et son chapiteau est orné de deux rangées de feuilles et de huit volutes qui soutiennent l’abaque. La frise est ornée de curieux dispositifs, la corniche de denticules et de modillons. Cet ordre est utilisé dans les structures majestueuses et superbes.
On peut voir deux remarquables exemples de colonnes corinthiennes sans voyager vers Rome ou Athènes, puisqu’il suffit d’aller à Paris observer la colonnade du Louvre, ou celle de l’église de la Madeleine.
Les deux ordres suivants, le Toscan et le Composite, sont dits « romains »
L’ordre toscan, ordre de l’architecture classique, est une forme simplifiée de l’ordre architectural dorique grec. Les colonnes toscanes ont sept diamètres de hauteur, y compris la base et le fût. L’échine est plus arrondie et le fût plus galbé. Vignole assigne à l’ordre toscan les proportions suivantes : entablement, 3 modules et 6 minutes ou 3 modules ½, dont 1 module 4 minutes pour la corniche, 1 module 2 minutes pour la frise et 1 module pour l’architrave ; colonnes, 14 modules, dont 12 pour le fût, 1 pour la base et 1 pour le chapiteau ; piédestal, 4 modules 8 minutes, dont 3 modules 8 minutes pour le dé, 6 minutes pour la base et 6 pour la corniche ; diminution de la base au sommet, 6 minutes ; entrecolonnement, 4 modules 8 minutes. Ce qui caractérise surtout l’ordre toscan, c’est l’absence de tout ornement.
Wiliam Preston en dit : Le toscan est le plus simple et le plus solide des cinq ordres. Il a été inventé en Toscane, d’où il tire son nom. Sa colonne a sept diamètres de haut ; et son chapiteau, sa base et son entablement n’ont que peu de moulures. La simplicité de construction de cette colonne la rend éligible là où la solidité est l’objet principal, et là où l’ornement serait superflu.
Est-ce que c’est un style considéré comme trop «Stuartiste» que les Hanovriens de la Constitution dite d’Anderson ne l’ont pas retenu parmi les styles d’architecture ?
L’Ordre Composite est une alliance du Ionique et du Corinthien, utilisé par les concepteurs des arcs de triomphe. La combinaison des chapiteaux ioniques et corinthiens, est spécialement déterminé par un chapiteau à volutes et à feuilles d’acanthe. La colonne composite a une hauteur valant dix diamètres.
Wiliam Preston en dit : Le Composite est composé des autres ordres et a été inventé par les Romains. Son chapiteau a les deux rangées de feuilles du corinthien, et les volutes du ionique. Sa colonne a le quart de rond comme les ordres toscan et dorique, est haute de dix diamètres, et sa corniche a des denticules ou modillons simples. Ce pilier se retrouve généralement dans les bâtiments où la force, l’élégance et la beauté sont unies :
Mais le Franc-Maçon ou la Franc-Maçonne, ne sont pas devenus Compagnon ou Compagnonne pour devenir expert en architecture classique du 17ème siècle ou néo-classique du 19ème siècle. C’est donc à la signification de ces colonnes que nous allons nous attacher maintenant.
Un curieux article, Le grand mystère des francs-maçons découvert, publié en 1724, rapporte le contenu d’un document trouvé sur un franc-maçon mort, où on trouve questions et réponses de ce qui semble un livret d’instruction maçonnique dans lequel est mis en rapport les ordres d’architecture et les formes géométriques :Le Toscan, le Dorique, l’Ionique, le Corinthien et le Composite correspondent à la Base, à la Perpendiculaire, au Diamètre, à la Circonférence et à l’Équerre.
La colonne dorique, la plus ancienne, la plus trapue et la plus résistante était celle que les constructeurs privilégiaient au niveau du rez de chaussée, le niveau qui porte le poids de l’édifice. Dans nos loges, la colonne dorique est proche de l’orient, face au Vénérable Maître, celui qui supporte le poids de notre Atelier.
La colonne ionique était utilisée pour construire les premiers étages des édifices de l’Antiquité. Elle se retrouve face au Premier Surveillant, qui supporte auprès du Vénérable Maître une partie du poids de l’Atelier et qui doit veiller à la progression et au bon accomplissement du travail des Compagnons.
Enfin, la colonne corinthienne était utilisée pour les seconds étages des temples et autres bâtiments d’exception de l’Antiquité. Elle est pour nous associée au Second Surveillant, qui concourt à la direction de la Loge après le Vénérable Maître et le Premier Surveillant, et qui est chargé d’éduquer et de suivre les Apprentis.
Les deux ordres suivants, le Toscan et le Composite, sont dits « romains »
L’ordre Toscan est un dérivé du Dorique
L’Ordre Composite est une alliance du Ionique et du Corinthien, utilisé par les concepteurs des arcs de triomphe
Rappelons ce que le Vénérable Maître dit à la fin du deuxième voyage : les styles architecturaux qui se sont succédé au cours de l’histoire ont toujours eu pour objet l’harmonie des édifices. Tous les outils et symboles qui évoquent l’architecture dans nos temples renvoient à la construction du Temple que nous élevons, en poursuivant la tache de ceux qui nous ont précédés. Pour ces prédécesseurs, dont nous nous réclamons symboliquement, la construction était un art sacré, l’Art Royal.
Et souvenez-vous surtout de l’exhortation du Vénérable Maître invitant à devenir soi-même « une colonne vivante qui s’élève vers les hauteurs, tout en vous appuyant sur la terre qui vous a donné naissance. Vous deviendrez ainsi l’un des piliers inébranlables de notre Temple. »
Comme le dit le rituel, dans les épreuves de la réception au grade de Compagnon, le Maçon ou la Maçonne a été mis en possession des moyens et des objets de la Connaissance pour se réaliser, en employant les outils symboliques.
Les cinq sens, comme les cinq ordres d’architecture, sont les deux premières séries d’outils symboliques qui ont été proposés.
Ils ont pour objet d’aider à développer sa connaissance de l’homme, et en premier lieu sa connaissance de soi-même., parce qu’il n’est d’action juste qui ne repose sur une connaissance juste.
Le premier voyage, effectué avec un maillet et un ciseau, a rappelé le degré d’Apprenti, le premier niveau des études symboliques.
Le deuxième voyage, avec un compas, symbole de sagesse et de mesure, et une règle, qui nous engage à la rectitude de nos pensées comme de nos actes, correspond au deuxième niveau.
Ainsi se trouve édifiée la base sur laquelle se construiront progressivement les autres niveaux, les autres étages de la progression spirituelle, de la progression vers la Lumière.
Le Franc-maçon ou la Franc-maçonne est désormais appelé à un travail constructif, et à étendre le champ de ses recherches.
