dim 02 novembre 2025 - 14:11

La carte postale du 2 novembre : Le linteau du 12 rue Monge (Paris Ve)

Frères, Sœurs, Compagnons de la voie initiatique,
Levons les yeux ! Au-dessus de la porte d’un commerce, un bas-relief ouvre son atelier de pierre. Deux bâtisseurs s’y répondent comme dans un miroir fraternel.

L’un tient l’épure, maquette et trait réunis, l’autre la désigne du doigt comme on indique l’étoile polaire : avant la pierre, la pensée ; avant le geste, la visée. Au loin, arcs, cintres et échafaudages apprivoisent le temps, et la couronne de laurier ceint l’ensemble non pour flatter la vanité, mais pour saluer la maîtrise conquise sur soi.

Linteau -12,rue Monge Paris Ve

Sous leurs mains, la grappe d’outils compose un véritable tableau de loge. L’épure d’abord, où se déposent axes, portées, courbes et naissances : c’est le sol discret sur lequel l’œuvre se rêve à grandeur réelle.

Opérativement, on y calcule, on y ajuste, on y prévoit la résistance des matières ; spéculativement, nous y apprenons l’orientation intérieure, ce « pourquoi » sans lequel le

Linteau -12,rue Monge Paris Ve

« comment » se disperse. Vient l’équerre, ce coin de lumière qui vérifie l’angle droit, dresse un piédroit, assure l’assise ; dans notre lecture, elle devient la droiture des mœurs, cette fidélité simple qui fait tenir un être comme tient un mur. Le compas, compagnon de la proportion, trace les cercles, reporte les mesures, établit l’harmonie ; pour nous, il circonscrit les passions, ouvre la conscience quand il s’écarte, la recueille quand il se referme, et rappelle au Maître la juste limite de tout pouvoir.

À côté, certains y verront la grande règle – latte des chantiers – ligne, mesure, guide le ciseau ou la scie ; elle nous enseigne l’exactitude du quotidien, ce « peu à peu » qui, sans éclat, bâtit pourtant l’Œuvre.

D’autres distingueront un levier… Outil sobre, presque modeste, et pourtant premier des “puissances mécaniques” qu’enseigne le Compagnon : une barre, un point d’appui, un effort déplacé – et la charge consent à bouger. Chez l’ouvrier, il soulève un linteau, redresse une pierre, corrige une assise rétive ; il économise la force, mais n’économise pas la justesse : tout dépend du fulcrum, de l’instant choisi, de l’angle trouvé. Chez nous, spéculatifs, il devient l’allégorie du gouvernement de soi : trouver le point d’appui dans le VLS (Volume de la Loi sacrée), poser l’épaule de la volonté au bon endroit, et déplacer non la pierre mais l’obstacle intime. Le levier nous apprend qu’on ne triomphe ni par fracas ni par magie, mais par mesure, patience et art du pivot ; qu’un millimètre d’intelligence du réel vaut mieux qu’une tonne de brutalité. Ainsi la vertu travaille en silence : un bras, un appui, une charge – et l’âme se dégage d’un poids qui la clouait au sol.

Le maillet, force chaude, transmet l’élan au métal : trop faible, il bavarde ; trop fort, il brise ; juste, il délivre la forme. Chez l’Apprenti, il convertit l’intention en acte. Le ciseau, lui, écoute la pierre, enlève l’inutile, ouvre une feuillure, dresse une moulure : il figure l’éducation du jugement, la parole qui taille sans meurtrir. Le niveau pose à plat, règle l’horizontalité, garantit la paix des assises ; il devient l’égalité vécue, cette fraternité concrète où rien ne domine ni ne s’affaisse. La perpendiculaire – fil à plomb – vérifie l’axe, assied la charge, exige l’aplomb ; elle nous tient debout dans le vent des circonstances. Et, plus haut dans l’art, le cordeau trace au sol les lignes fondatrices, tandis que le crayon inscrit, prépare, transmet : pour le Maître, cordeau, crayon et compas dessinent la ligne de vie, la mémoire des actes et la proportion de l’âme.

Ainsi la façade raconte la chaîne opérative – mise au trait, taille, montage – et, sur ses bords, de petites figures murmurent la transmission : on devient par le faire, on apprend par le service. Elle rappelle aussi l’ancienne Société de secours mutuels des Artisans Maçons, fraternité de métier dont les emblèmes chevauchent naturellement ceux de la Maçonnerie spéculative : entraide, travail réglé, perfectionnement de soi.

Tout ici dit Ordo ab Chao – locution latine signifiant « l’ordre à partir du chaos » ou « l’Ordre naît du désordre », devise du Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA) – : l’ordre ne tombe pas du ciel, il naît du geste ajusté. L’Apprenti s’ordonne par la règle du temps, le maillet et le ciseau ; le Compagnon stabilise par l’équerre, le niveau et la perpendiculaire ; le Maître proportionne par le cordeau, le crayon et le compas. Même chant, trois tessitures.

rue Monge

Au 12, rue Monge, la pierre parle notre langue. Elle montre comment l’outil de l’ouvrier devient, entre nos mains de spéculatifs, boussole intérieure et discipline de liberté. La beauté n’est pas un luxe : elle est l’effet d’outils tenus avec justesse. À chaque passage, levons les yeux. L’atelier est encore ouvert.

Puisse cette méditation t’accompagner en ce jour. Bon dimanche, et bons baisers de Paris, éternelle Ville Lumière !

Photos © Yonnel Ghernaouti, YG

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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