De notre confrère gorky.media – Par Sergueï Vorobiev
Dans le contexte de la littérature russe, souvent associée aux géants comme Pouchkine ou Dostoïevski, l’influence de la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle offre un angle méconnu mais fascinant. Inspiré par l’article « Жизнь смешённая с злоключениями » publié sur Gorky.media, qui explore la vie et l’œuvre de Gleb Uspensky, cet article recentre son regard sur une période antérieure, celle des Lumières russes, où les loges maçonniques ont joué un rôle clé dans la diffusion des idées et des revues littéraires.
À travers cet examen, nous plongeons dans l’héritage maçonnique de cette époque, ses publications influentes et son impact sur la pensée russe, tout en reliant cette tradition à des figures comme Uspensky dans une perspective plus large.
Contexte historique et essor maçonnique

Le XVIIIe siècle marque l’ouverture de la Russie vers l’Europe sous Pierre le Grand et Catherine II. Cette période de modernisation s’accompagne de l’arrivée de la franc-maçonnerie, importée par des officiers et intellectuels ayant servi à l’étranger, notamment après les campagnes de Pierre en Prusse. Fondées dès les années 1730, les premières loges, comme celle de Saint-Pétersbourg sous l’égide de la Grande Loge d’Angleterre, attirent l’aristocratie et la bourgeoisie éclairée. Ces cercles deviennent des foyers d’échanges intellectuels, où les idéaux de liberté, de raison et de fraternité s’entrelacent avec une soif de connaissance.

Les revues littéraires maçonniques émergent comme des outils de propagation de ces idées. Influencées par les Lumières européennes, elles publient des essais philosophiques, des poèmes allégoriques et des débats sur la morale, souvent sous un voile symbolique pour échapper à la censure tsariste. L’article de Gorky.media, bien qu focused sur Uspensky, rappelle l’importance de ces publications comme vecteurs de pensée critique, un héritage que les loges ont su préserver face aux aléas politiques.
Les publications marquantes

Parmi les revues les plus influentes, Trudoliubivaia Ptitsa (L’Oiseau laborieux), fondée en 1779 par Ivan Lopukhin, un franc-maçon de haut rang, se distingue. Cette revue, éditée sous l’égide de la loge rosicrucienne de Moscou, mêle alchimie, mystique chrétienne et réflexions sociales. Elle reflète l’orientation spirituelle des loges russes, qui s’écartent parfois des modèles anglais ou français pour intégrer des éléments orthodoxes et slaves.
Une autre publication clé est Utrenniaia Zaria (L’Aurore matinale), lancée dans les années 1780 par Nikolaï Novikov, figure emblématique de la franc-maçonnerie russe. Imprimeur et éditeur, Novikov utilise cette revue pour diffuser des traductions d’œuvres philosophiques occidentales et des traités maçonniques, tout en critiquant subtilement les abus du pouvoir. Ces écrits, bien que surveillés par Catherine II, ont façonné une intelligentsia prête à remettre en question l’autorité autocratique.
Ces revues, souvent imprimées en petits tirages et circulant dans les cercles initiatiques, incarnent un espace de liberté intellectuelle. Elles préfigurent les travaux d’auteurs comme Uspensky, qui, bien qu’opérant un siècle plus tard, héritent de cette tradition de critique sociale sous-jacente aux idéaux maçonniques.
Influence maçonnique sur la littérature

La franc-maçonnerie du XVIIIe siècle en Russie n’est pas seulement un lieu de rituels, mais aussi un creuset littéraire. Les loges encouragent l’écriture comme un acte initiatique, où la quête de vérité s’exprime à travers des allégories et des symboles. Des poètes comme Vassili Petrov, membre de la loge d’Astrée, intègrent des motifs maçonniques dans leurs odes, célébrant l’harmonie universelle et la lumière intérieure.
Cette influence se prolonge dans les revues, où les contributions anonymes ou pseudonymes permettent aux auteurs d’explorer des thèmes interdits, comme l’égalité sociale ou la critique des privilèges nobiliaires. L’article de Gorky.media, en évoquant la vie tumultueuse d’Uspensky, souligne indirectement cette continuité : la littérature russe, même au XIXe siècle, porte l’empreinte de ces premiers espaces de réflexion, où la fraternité maçonnique a permis de semer les graines d’une pensée subversive.
Répression et résilience

Malgré leur rayonnement, ces revues font face à une répression croissante. En 1792, Catherine II, méfiante envers les influences étrangères et les idées révolutionnaires, ordonne l’arrestation de Novikov et la fermeture de nombreuses loges. Ses écrits, jugés séditieux, mènent à une censure accrue, forçant les publications maçonniques à opérer dans l’ombre. Cette période de persécution marque un tournant, poussant les loges à se replier sur des activités plus discrètes, mais leur influence littéraire persiste.Cette résilience trouve un écho chez Uspensky, dont la vie mêlée de mésaventures reflète les défis rencontrés par les intellectuels engagés. Interné pour troubles mentaux dans les dernières années de sa vie, il incarne une lutte intérieure parallèle à celle des maçons du XVIIIe siècle face à l’oppression. L’article de Gorky.media, bien que centré sur lui, invite à voir cette persévérance comme un fil conducteur reliant ces deux époques.
Héritage maçonnique dans la littérature russe

L’héritage des revues maçonniques du XVIIIe siècle se lit dans l’évolution de la littérature russe. Elles ont posé les bases d’une tradition critique, où les écrivains, qu’ils soient initiés ou non, s’inspirent de l’esprit d’enquête et de solidarité des loges. Des auteurs comme Pouchkine, influencé par les cercles maçonniques de son entourage, ou Gogol, dont les récits explorent des dimensions spirituelles, portent cette marque.
En 2025, alors que Gorky.media ravive l’intérêt pour ces figures oubliées, l’angle maçonnique offre une nouvelle lecture. Les revues du XVIIIe siècle ne sont pas seulement des artefacts historiques : elles représentent un modèle d’engagement intellectuel qui résonne avec les défis actuels, où la quête de sens et de justice reste d’actualité.
Réflexions contemporaines
Alors que les tensions géopolitiques et sociales persistent, l’héritage des revues maçonniques russes invite à une réflexion. Ces publications, nées dans un contexte d’oppression, montrent la puissance de la littérature comme outil de résistance. L’exemple d’Uspensky, évoqué par Gorky.media, illustre comment cette tradition s’est perpétuée, mêlant vie personnelle et engagement collectif.
Une invitation à explorer davantage ces archives littéraires, où la franc-maçonnerie russe du XVIIIe siècle a semé les graines d’une pensée libre, toujours pertinente dans un monde en quête d’harmonie.