mer 22 octobre 2025 - 17:10

La Franc-maçonnerie et l’influence des marginaux de la réforme Protestante

« Ce qu’il y a de meilleur dans les religions, ce sont leurs hérétiques »

 Friedrich Hebbel (Aphorismes et réflexions)

Ii- Lelius et Fauste Socin ou le cheminement vers la liberté de pensée.

« Tant il est aisé d’écraser au nom de la liberté extérieure, la liberté intérieure de l’homme »

Radindranath Tagore

A l’heure ou protestants et catholiques s’affrontaient violemment, à l’heure où les deux partis faisaient preuve d’un égal dogmatisme et d’un égal fanatisme, apparurent au milieu de la tourmente deux figures étonnantes : Lélius et Fauste Socin. Imprégnés d’humanisme et de tolérance, ils allaient tenter de proposer aux hommes de leur époque une religion plus humaine, plus chaleureuse et démocratique, où ce qui compte repose surtout dans la relation avec un Principe, tout à fait différent du Dieu terrible et vengeur de l’Ancien Testament. Leurs travaux et l’organisation de leur courant religieux qui va en naître servira principalement à la constitution d’une Eglise « unitarienne » quand, chassés de Pologne, les « Sociniens » se réfugièrent en Hollande, en Angleterre, et plus tard en Amérique du Nord.

Lélus Socin appartenait à une ancienne famille siennoise, les Sozzini et est né à Sienne en 1525. La tradition voulait que les Sozzini deviennent juristes et Lelius se consacra d’abord à des études juridiques. Il éprouvait aussi un grand penchant pour les études bibliques et théologiques. Il était un esprit curieux, avide de connaissances. Très tôt, il va concevoir des doutes, voire une certaine hostilité, pour les dogmes catholiques. On peut remarquer d’ailleurs que l’humanisme italien donna à la plupart des réformateurs, tels que Bernardino Ochino, Vermigli et les deux Socin, une orientation très nette vers un rationalisme que Luther et Calvin avaient en horreur : les réformateurs genevoix se sont plaints, à maintes reprises, de ce que les réfugiés italiens étaient des « Academici », des sceptiques ! Cette orientation se marqua chez Lelius Socin (comme chez Michel Servet) par des objections en ce qui concerne le dogme central du christianisme, la Trinité, sans lequel ni incarnation, ni rédemption, ne peuvent être maintenues dans leur sens traditionnel.

Fac-similé des 95 thèses.

Lelius quitta l’Italie pour voyager à l’étranger, dès 1544 : il vint en France, passa en Angleterre, promenant sa curiosité et son scepticisme, sans ostentation. On le voit à Zurich où il consulte Bullinger (1), le successeur de Zwingli et un peu plus tard, à Genève, il fait la connaissance de Jean Calvin. Calvin s’irrita très vite de ses audaces ! Bullinger lui-même, bien que moins intolérant et moins combatif, lui conseilla la prudence. Lelius passa alors en Allemagne pour visiter Wittemberg. Là, il fit la connaissance de Melanchton qui fut séduit par son intelligence, sa souplesse d’esprit, son aménité et sa gaité. On le trouve, en septembre 1549, immatriculé à Wittemberg. Une lettre du polonais Jean Maczinski à Conrad Pellikan, un alsacien passé au Zwinglianisme et devenu professeur d’hébreu à Zurich, montre que dans ses pérégrinations, Socin, se faisait volontiers le messager des réformateurs des différents pays européens, transportait leurs lettres et discutait leur doctrines.

Évangile traduit par John Wyclif, copie de la fin du XIVe siècle, folio 2v de MS Hunter 191 (T.8.21).

Cette même lettre trace de lui un portrait flatteur : elle vante l’agrément de sa conversation, l’abondance de sa parole, la hardiesse de sa pensée et la liberté de ses discours. Cette liberté ne l’empêche pas, ajoute Maczinski, d’être l’intime de Melanchton qui, depuis la mort de Luther, trois ans plus tôt, est le grand chef de l’Église de Saxe. Maczinski écrit : « Il n’est personne à Wittemberg, étudiant lui-même à l’Université du lieu, qui ne recherche l’amitié de Lelius, ne converse volontiers avec lui, et notamment Philippe (Melanchton) qui ne lui cache rien de ses pensées ». Son amitié avec Maczinski et d’autres étudiants polonais engagera le grand voyageur qu’était Lelius Socin à visiter la Pologne. Il y fit plusieurs voyages, notamment en 1556 et 1558. Nous avons, à la date du 24 mai 1558 une lettre de Calvin le recommandant au Prince Nicolas Radziwill, dont le secrétaire était justement Maczinski.

D’autres lettres de Bullinger et de Musculus lui serviront d’introduction dans la société polonaise, alors très portée aux innovations religieuses et très accueillantes à toutes les variétés d’opinions : zwinglianisme, luthérianisme, anabaptisme, néo-arianisme, néo-nestorianisme, etc. Lelius va assister à la diète polonaise de Petrikau, où le nonce du Pape, accompagné de Pierre Casinius, fut très mal reçu (Novembre 1558 – février 1559). Mais Lélius ne restait pas longtemps en place ! Il revint à Zurich, passa en Italie pour disputer son patrimoine à l’inquisition qui le poursuivait pour ses opinions suspectes, échoua dans cette entreprise et revint à Zurich pour y mourir prématurément, en 1562, à l’âge de 37 ans. Lelius était une figure mystérieuse et attirante. Toujours en route, toujours en discussion avec quelqu’un, mais sans acrimonie ni violence. Il prépara les voies à son neveu Fauste, héritier de ses manuscrits bourrés de notes et de ses idées.

Jan Hus au bûcher, 6 juillet 1415.

Son neveu, Fauste Socin était né, lui aussi, à Sienne. Il se rattachait, par sa mère, à l’illustre famille des Piccolomini qui avait donné deux Papes à l’Église : Pie II et Pie III. Resté orphelin de bonne heure, il eut une jeunesse un peu négligée et sa formation subit des lacunes. Comme ses ancêtres et son oncle, il s’adonne aux études de droit, tout en manifestant ce goût familial pour les études et controverses théologiques. Il semble que son oncle, soit par ses lettres, soit par ses entretiens, l’ait détourné très vite du catholicisme.

Quand l’inquisition poursuivit Lelius en 1559, Fauste jugea prudent de s’éloigner : il vint à Lyon, grande ville de commerce de l’époque où abondaient les étrangers et où pullulaient les opinions religieuses diverses. Il y restera trois ans, de 1559 à 1562. Ensuite, il se rendit à Zurich pour recueillir les papiers de son oncle qui venait d’y mourir. Ces papiers, notes érudites, lui fournirent une abondante matière à réflexion. Fauste se nourrit évidemment de son héritage et accepta, finalement, les idées qui y étaient exprimées. Il se vantera, plus tard, avec humour de n’avoir eu d’autres maîtres que la Bible de son oncle !

Page enluminée de la « bible de Carpentras », traduite en Franco provençal.

Le premier fruit de ses études fut la publication d’une « Explicatio primae partis primi capitis Evangelii Joannis ». L’ouvrage paru sans nom d’auteur car Fauste était prudent et il devait publier la plupart de ses ouvrages sous le sceau de l’anonymat. Sa première œuvre traduit déjà son orientation : elle était le programme de l’antitrinitarisme ! En la même année 1562, Fauste revient en Italie. Ses titres de jurisconsulte et ses relations familiales lui donnent l’entrée à la cour, très libre, de François de Médicis à Florence. Il y remplit des charges importantes et est comblé d’honneurs durant les douze années qui s’écouleront jusqu’en 1574. Mais le petit traité, toujours anonyme, qu’il publie, « De Sancta Scripturae autoritate », nous montre qu’il n’oubliait pas au sein de sa vie mondaine, ses préoccupations religieuses.

Représentation anti-catholique par le peintre protestant, Lucas Cranach l’Ancien, du pape en Antéchrist signant et vendant des indulgences. Cranach s’inspire ici du Passional Christi und Antichristi de Martin Luther (1521).

En 1574, soit par lassitude, soit par goût des aventures, il quitte Florence et repoussa par la suite toutes les amicales invitations de la cour grand-ducale. Ensuite, il séjourna quatre années à Bâle et y publia deux de ses plus importants ouvrages : « De Jesu Christo servatore » et « De statu primi hominis ante lapsum ». Tout en refusant à Jésus Christ la divinité proprement dite, il affirmait qu’on devait le vénérer comme le représentant de la « Parole » de Dieu au monde. C’est ce qui explique, qu’en 1578, il se soit rendu à l’invitation de l’antitrinitaire Blandrata, un italien également, de venir réfuter avec lui en Transylvanie, François Davidis, qui repoussait l’adoration due au Christ. Plus tard, ce dernier sera jeté en prison pour ses idées.

Fauste Socin se rendit ensuite en Pologne où le souvenir de son oncle était toujours vivant. Il espérait y trouver des amis, des partisans et une Eglise de son choix. Son expérience fut d’abord décevante : les « Frères polonais » qui étaient des antitrinitaires comme lui, exigèrent qu’il se fît rebaptiser. Il refusa et la communauté le repoussa de ses rangs. Fauste n’admettait pas le baptême des enfants, mais comme il n’attachait pas une grande importance au rite baptismal, il estimait que seuls les non-baptisés devaient recevoir le baptême.

Martin Luther en 1529, par Lucas Cranach l’Ancien.

D’autres conflits le séparaient aussi de ce groupe antitrinitaire anabaptiste de Pologne. Mais il ne se découragea pas et entreprit, avec une belle audace, de rallier ses propres adversaires en réfutant les opinions qu’il ne partageait pas et en s’efforçant de faire l’unité sur les points qui lui étaient communs avec eux, et il réussit dans cette entreprise difficile ! La réaction catholique opérée par le roi Etienne Bathouy l’obligea à quitter Cracovie en 1583. Il se réfugia dans un village voisin où il épousa la fille du seigneur local et acquit une certaine influence au sein de la noblesse polonaise qui était très libre d’allures et indépendante. Il put rester en Pologne jusqu’à sa mort, le 3 mars 1604, sous la protection d’un seigneur, non loin de Cracovie.

Le rêve et la réalisation d’une église socinienne en Pologne

Un élément humain joue toujours dans l’introduction d’une nouvelle orientation religieuse ou philosophique : ainsi les deux Socin appartenaient à l’aristocratie italienne. Ils avaient de la prestance, du charme dans les manières et une éloquence entraînante. Cela explique en partie l’influence qu’ils eurent sur la noblesse polonaise. Fauste utilisera avec beaucoup d’intelligence l’extrême indépendance de cette noblesse pour créer de nombreux groupes, indépendants, d’antitrinitaires. Le courant de pensée introduit par Fauste passait d’autant mieux que l’époque était à l’humanisme et au libre examen de la Bible.

Groupe de réformateurs, de g. à d. : Johannes Forster, Georg Spalatin, Martin Luther, Johannes Bugenhagen, Érasme, Justus Jonas, Caspar Cruciger et Philippe Mélanchthon. Copie d’après l’épitaphe du bourgmestre de Meyenburg par Lucas Cranach le Jeune (1550), maison de Luther, Wittemberg.

Les nobles ouvrirent bientôt des écoles où la jeunesse puisait les idées sociniennes. La plus importante de ces écoles fut celle de Rakow, petit bourg de la province de Sandomir, créé par Jean Sieninski, passé au protestantisme. Il s’y réunit un groupe important d’antitrinitaires et lorsque le fils du fondateur, Jacques Sieninski, passa au socinianisme en 1600, le village devint une sorte de capitale de la nouvelle Eglise. L’enseignement de la théologie et de la philosophie y fut organisé et une imprimerie établie. Les sociniens durent leur forte expansion grâce à ce double outillage : un lieu d’enseignement de haut-niveau et une presse pour publier leurs écrits.

Portrait de Philippe Melanchthon par Lucas Cranach l’Ancien (1543).

De toutes parts, la noblesse envoyait ses enfants à cette sorte d’université libre et fraternelle. On y compta jusqu’à mille étudiants et on y vit, côte à côte, des calvinistes, des anabaptistes, des sociniens et même des catholiques ! Enfin, ce fut à Rakow que se tint régulièrement chaque année, durant une ou deux semaines, le synode des sociniens, comprenant les pasteurs, les anciens et les diacres des différentes communautés. Au-dessous de ce synode général se réunissait des synodes de districts réglant et discutant toutes les questions théologiques dans un esprit démocratique de tolérance et de liberté. Grâce à l’école de Rakow, la succession spirituelle de Fauste Socin se trouva assurée.

Nous pouvons nommer parmi les principaux continuateurs de son œuvre et de sa pensée : Valentin Schmalz (1572-1622) grand polémiste, écrivain fécond et professeur écouté ; Jean Voelkel, Christophe Ostorodt, Jérôme Moskorzowski, Adam Goslaw, André Woidowski, Jean Crell, etc…Pourtant la restauration du catholicisme dont la Pologne fut le théâtre sous le règne de Sigismond III (1587-1632) gêna considérablement le développement du socinianisme : après ce règne, le « Gymnasium bonarum artium » de Rakow, orgueil et citadelle des sociniens, fut fermé en 1638. Vingt ans plus tard, la Diète de Varsovie mettait fin à l’Église socinienne en contraignant les membres à s’expatrier. Ils se répandirent en plusieurs pays. Certains se rendirent en Amérique du Nord et fusionnèrent avec les groupes unitariens d’origine diverses, installés sur place. Dès lors, le socinianisme va se confondre avec l’unitarianisme.

La « théologie » socinienne.

L’empereur Charles Quint par Christoph Amberger, 1532.

Quelques orientations de pensées constitueront la base d’une « théologie », terme que les Socin évitaient d’utiliser, en regard du combat qu’ils avaient mené contre les dogmes catholiques et protestants. Ils misaient, en priorité sur la recherche et la liberté de conscience. Le socinianisme n’eut jamais de confession de foi officielle. En pratique, il a considéré comme telle une œuvre de son fondateur, Fauste Socin, intitulée : » Religionis brevissima institutio per interrogationes et responsiones, quam catechismum vulgo vocant », appelé plus brièvement « Le catéchisme de Rakow ». C’est surtout à partir de ce document que l’on peu comprendre la pensée socinienne. Notons toutefois que le socinien André Wissowatius publia, en 1656 et dans les années suivantes, à Amsterdam, une « Bibliotheca fratrum polonorum, quos unitarios vocant » qui contenait en 5 volumes toutes les œuvres de Fauste Socin, celles de Crell, de Jonas Schlichtling et de quelques autres théologiens moins importants. Cela nous amène à cerner la pensée théologique et philosophique de Fauste Socin.

1° Le concept de la religion « chrétienne ».

Henri VIII par Hans Holbein le Jeune, 1536 environ.

Le « Catéchisme de Rakow » s’ouvre par une définition de ce qu’est la religion chrétienne : « Religio christiana est via patefacta divinitus vitam aeternam consequenti ». Cette religion a perfectionné la religion hébraïque et la religion patriarcale. La foi en Jésus-Christ n’a rien ajouté de nouveau, mais Jésus a introduit des qualités nouvelles dans la religion primitive, en précisant et surélevant les promesses et les préceptes de Dieu. Il est, en fait, un prophète classique. On saisit, immédiatement, l’inspiration anti-trinitaire du propos : le dogme de la Trinité est en effet étranger à la religion patriarcale comme à la religion mosaïque. Dire que Jésus a été seulement un continuateur et un « perfectionneur » du judaïsme, c’est déjà opter pour l’unitarianisme. Mais, pour échapper à une accusation de « néo-judaïsme » le socinianisme était obligé d’intégrer le Nouveau Testament dans sa réflexion et ses propositions, tout en conservant pour l’Ancien Testament un immense intérêt affectif, spirituel et historique. Fauste admet l’inspiration et pensent que les écrivains bibliques ont écrit « In divino spiritu impulsi eoque dictante », mais cette inspiration ne s’étend pas aux détails et Fauste demande alors l’intervention de la raison pour dégager du texte la parole inspirée. Il admet que l’Ecriture peut contenir certaines idées supérieures à la raison, mais non contraire à la raison : « Contra rationem sensumque ipsum communem ».

2° L’unité dans le principe.

Le roi Édouard VI d’Angleterre, pendant le règne duquel la réforme de l’Église anglicane s’orienta davantage vers le protestantisme.

Le grand exemple d’un dogme au-dessus de la raison est naturellement celui de concept d’un divin : la raison ne peut connaître par ses seuls moyens, ni l’existence, ni la nature de Dieu. Il lui faut pour cela la Révélation. Les seules preuves que nous pouvons avoir de Lui, résident dans les Ecritures et dans la contemplation du cosmos (En risquant là une adhésion au panthéisme). Savoir que Dieu est, c’est admettre qu’il serait créateur, mais la    raison affirme, d’autre part, que nous sommes libres et, contre le fatalisme de Luther et Calvin, nous pouvons admettre que l’omniscience de Dieu s’étende au-delà des futurs nécessaires. Fauste Socin, dans cette pensée est tout à la fois un homme de la Reforme, dans le sens du libre examen des Ecritures sacrées, mais dépasse le pessimisme foncier des grands réformateurs. Les sociniens insistent beaucoup plus sur la bonté, la miséricorde et l’équité de Dieu que sur sa justice punitive. Cependant, l’idée centrale repose sur l’unité de personne, en Dieu. Cette unité est affirmée avec force à toutes les pages de l’Ecriture. Elle est l’idée nécessaire au Salut. Le dogme traditionnel de la Trinité professé par les catholiques et les protestants est contraire à la Bible : l’Esprit Saint, en particulier, n’est nulle part appelé Dieu et il paraît clair que, dans les textes bibliques, il n’est rien de plus qu’un attribut de Dieu, une force ou une activité de Dieu. On chercherait aussi en vain, dans l’Ecriture, les mots de « Personne » etde « Génération éternelle du Verbe ». La raison s’oppose invinciblement à ce que dans l’essence divine, il y ait plusieurs personnes : « Plures numero personae in una essentia divina esse non passunt ».

3° la christologie ou que faire de Jésus-Christ ?!

John Foxe, Poids de la parole de Dieu contre les traditions humaines, 1570

Dans cette vision unitaire du Principe se pose la question de la place de Jésus, sur qui repose la création même de la religion chrétienne. Notre référence sera de nouveau le catéchisme de Rakow : tout un passage, sous forme de dialogue, est consacré à cette approche de Jésus et comment le situer. Il nous semble intéressant d’en reproduire quelques passages :

– Enseignez-moi ce que je dois croire de Jésus-Christ ?

– Bien. Tu dois donc savoir seulement, qu’il y a deux choses que l’on doit connaître de Jésus : l’une regarde sa personne, l’autre sa mission.

– Qu’est ce qui regarde sa personne ?

– Ceci, que selon sa nature, il est un homme véritable, ainsi que la Sainte Ecriture l’enseigne à maintes reprises et en particulier dans les passages suivants : « Il est médiateur de Dieu et de l’homme, l’homme Jésus » (1 Tim, II, 5) et « Puisque par un homme mort la mort est venue, de même par un homme viendra la résurrection » (1 Cor, 15, 21). Au surplus, Dieu l’avait dès longtemps annoncé et c’est de la sorte aussi que le professe de la confession de foi que l’on appelle le Symbole des Apôtres, que toute la chrétienté admet avec nous.

– Vous m’avez dit plus haut que le Seigneur Jésus, selon sa nature est un homme. N’a-t-il pas aussi la nature divine ?

– Non, il ne l’est pas. Car cela n’est pas seulement contraire à la droite raison, mais c’est aussi contraire à la Sainte Ecriture.

– Montre-moi comment cela est contraire à la droite raison ?

– Premièrement, en ce que deux essences dont les propriétés sont opposées les unes aux autres ne peuvent aucunement être unies en une seule personne, comme ici : être mortel ou immortel ; avoir un commencement et être sans commencement ; être changeant et être immuable. En outre, en ce que deux natures dont chacune est une personne ne peuvent être unies en une seule personne, car autrement elles ne devraient pas être une seule personne mais deux et il y aurait deux Christs. Or, tout le monde sait qu’il n’y a qu’un seul Christ et qu’il n’y a qu’une seule personnalité.

Charles 1er roi d’Angleterre.

Pour Fauste Socin, Jésus est appelé Verbe par Saint Jean, parce que Dieu à fait de lui sa parole, c’est-à-dire la révélation de sa volonté envers les autres hommes, dans une mission de type prophétique, mais ce Verbe est bien un homme comme nous. Le Verbe était chair dit Saint-Jean et non pas est devenu chair. Le mot grec « égénéto » dans St. Jean (I,14) n’a pas le sens de devenir, mais d’être.

Demeure le problème de la sotériologie : le Christ sauve-t-il l’homme ? Fauste répond que c’est uniquement par sa prédication et ses préceptes qu’il est un modèle. Il tenait ce qu’il a enseigné de ce qu’il tenait de la Révélation et des rites juifs auxquels il a donné une nouvelle signification, surtout dans le domaine de la Cène et du baptême. Ces deux rites ont une valeur symbolique : le baptême doit être donné par immersion et a le même sens que la Cène, une commémoration, comme dans le Zwinglianisme. Le baptême ne demeure, avant tout, qu’une cérémonie d’agrégation à un groupe. Bien que les sociniens parlent du Saint-Esprit comme d’une activité de Dieu en nous et nullement d’une personne divine, ils n’admettent pas la nécessité de la grâce intérieure, car il n’y a de grâce qu’extérieure. Ce qui est là profession d’un pélagianisme (2) radical. Ce qui détruit l’idée de la prédestination chez Luther et Calvin. La résurrection n’est pas la résurrection de notre chair actuelle, mais une résurrection spirituelle qui peut se vivre dans le temps présent. Mais toute cette vie religieuse se déroule dans le corps bien incarné de l’Église.

4°- L’organisation de la communauté socinienne

Michel Servet, portrait de date inconnue.

Comme nous venons de le voir, le socinianisme dépasse et diffère profondément des autres formes du protestantisme : il repousse avec netteté le dogme de la Trinité, celui de l’Incarnation, celui de la Rédemption par le sacrifice de la croix, mais aussi les dogmes du protestantisme luthérien et calviniste : la déchéance originelle, le cerf-arbitre (3), la prédestination absolue, la justification par la foi seule et le biblicisme antirationaliste. En revanche, le socinianisme se rapprocha du protestantisme dans ses conceptions du fonctionnement de l’Église. Il distingue, en effet, comme Luther et Calvin l’Église visible et l’Église invisible et défini la véritable Eglise par la vérité de sa pensée et de son rapport à l’autre, croyant ou non. Ce qui a fait dire à Harnak (4) que le socinianisme « définit l’Église comme une école ». C’est à dire comme une faculté de théologie, où chaque croyant participe à une recherche spirituelle et sociale commune. Les sociniens, bien avant-l’heure vont se définir au coeur d’un système laïc et se veulent totalement indépendants de l’État.

Les offices exigés par le fonctionnement de la communauté ne sont pas des ordinations mais de simples services subordonnés à la communauté entière. Ces offices sont au nombre de trois : les pasteurs ont la charge de l’enseignement et de la prédication ; les anciens administrent la communauté, secondent le pasteur et résolvent les cas litigieux ; les diacres sont préposés aux finances, aux soins des pauvres, des veuves et des orphelins. Les anciens et les diacres sont nommés par la communauté, tandis que les pasteurs sont désignés par le Synode. Il y a deux sortes de Synodes : provinciaux et généraux et y prennent part les pasteurs, anciens et diacres de chaque communauté locale. Le Synode général est la plus haute instance de l’Église, la dernière instance en matière disciplinaire comme en matière théologique. Il se réunit chaque année.

Avant-tout, l’Église socinienne se veut un lieu de tolérance : le recours au « bras séculier » est interdit dans tous les cas. D’autre part, la rébellion contre un pouvoir politique ou religieux, même hostile, n’est jamais permise. Fauste Socin désapprouva formellement les guerres de religion telles qu’elles avaient lieu de son vivant. Les Socin, avec le recul de l’histoire, nous apparaissent comme étrangement modernes pour leur époque de fanatisme religieux. Dans un siècle de sang et de dogmatisme, ils tentèrent d’introduire une dimension nouvelle : celle de l’intelligence au service de la spiritualité…

 NOTES

(1) Heinrich Bullinger : réformateur à Zurich. Successeur de Zwingli.

(2) Pelage et le pélagianisme : Pelage (350-420) était un moine ascète qui, contrairement à Saint-Augustin, assure que le salut vient par son propre mérite et pas uniquement par la grâce.

(3) Le concept de « Serf-Arbitre » : Attaque de Luther contre la notion de libre-arbitre pour y substituer la prédestination.

(4) Adolph von Harnak (1851- 1930) : Théologien et historien célèbre du protestantisme au 19em siècle

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Michel Baron
Michel Baron
Michel BARON, est aussi conférencier. C'est un Frère sachant archi diplômé – entre autres, DEA des Sciences Sociales du Travail, DESS de Gestion du Personnel, DEA de Sciences Religieuses, DEA en Psychanalyse, DEA d’études théâtrales et cinématographiques, diplôme d’Études Supérieures en Économie Sociale, certificat de Patristique, certificat de Spiritualité, diplôme Supérieur de Théologie, diplôme postdoctoral en philosophie, etc. Il est membre de la GLMF.

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